[Trad] « Opposants aux biotechnologies : c’en est assez de la rhétorique du ‘si ce n’est pas dangereux, buvez-en’ ».

Article publié par Kavin Senapathy sur Skepchick le 7 avril 2015.

« Si le glyphosate est sûr, allez-y, buvez-en ». C’est la punchline préférée des opposants aux aliments génétiquement modifiés. Je suis auteur scientifique, avocate des biotechnologies, et mère de 2 jeunes enfants. Si seulement je recevais 5 centimes à chaque fois qu’on me demande de boire du glyphosate ou du Roundup (la formulation commerciale du glyphosate), je nagerais dans les pièces de 5 centimes. L’idée selon laquelle le cartel agrochimique crée des variétés résistantes aux pesticides sans aucun souci de sécurité est persistante, mais fausse.

C’est pourquoi j’ai commencé à tweeter ironiquement sous le hashtag #IfItsSafeThenDrinkIt, et je vous implore de le suivre ! Une récente vidéo youtube dans laquelle un prétendu « lobbyiste de Monsanto », le Dr. Patrick Moore a refusé de boire un verre de glyphosate a jeté de l’huile sur le feu des anti-biotech. Le réalisateur français Paul Moreira a interrogé le défenseur de la biotechnologie qui fait des centaines d’interviews en live chaque année. Quand il a dit qu’il croyait que le glyphosate ne causait pas le cancer et qu’en boire un grand verre ne ferait pas de mal à un être humain, Moreira à amené un verre supposément rempli de glyphosate et a invité le Dr. Patrick Moore à en boire. Après quelques vifs échanges, Moore a lancé « non, je ne suis pas un idiot » et a quitté l’interview.

Le 29 mars, Moore a fait une déclaration confirmant qu’il n’est pas un lobbyiste de Monsanto et admettant qu’il avait fait une erreur dans l’interview. Sa bévue n’était pas d’avoir refusé de boire le verre qu’on lui proposait, mais d’avoir donné la possibilité au journaliste de le coincer et de perdre sa maîtrise de lui face à la caméra. Il aurait du expliquer plus clairement qu’alors que le glyphosate n’est pas dangereux pour l’homme, seulement un immature et un fou accepterait de relever ce défit digne d’une confrérie d’étudiants de 1ere année.

Nous devons donner une suite logique à l’erreur du pauvre Dr. Moore. L’échec persistant des américains à comprendre l’intégralité du principe de la toxicologie pour laquelle « la dose fait le poison » démontre le manque de formation à la pensée critique de notre nation [ndtr : pas mieux en France, où a été tournée l’interview]. En effet, il y a plein de substances qui sont sûres, dès lors qu’elles sont utilisées selon les recommandations, comme le glyphosate, mais personne de sain d’esprit n’en boirait un grand verre pour autant. Certains cas concrets amusants ont déjà fait le tour des médias sociaux via le hashtag #IfItsSafeThenDrinkIt. Qu’en est-il alors de quelques engrais organiques de Bioneem ? Yeah ! Ou alors, un verre bien frais de sel de table, de vinaigre, d’eau de vaisselle, ou de laxatifs ? Alors que le hashtag est ironique, il démontre la pure absurdité de prendre le refus de Moore de boire du glyphosate comme une démonstration de sa nocivité.

Alors que je ne suis pas chercheuse, comme auteur scientifique j’ai une très bonne compréhension de la génétique, la génomique, et les biotechnologies. Je sais qu’alors que le glyphosate tue les mauvaises herbes, il ne blessera pas l’homme s’il est utilisé correctement. Les humains, les mauvaises herbes et autres organismes présentent des fonctions vitales assurées par des protéines, les composants fonctionnels de base des êtres vivants. Elles ont plein d’utilités : structurelles, immunitaires, métaboliques, nutritives et enzymatiques et sont faites d’une chaîne d’acides aminés. De fait, chaque organisme a une façon particulière d’obtenir les acides aminés nécessaires à ses différentes sortes de protéines.

La voie métabolique du shikimate, qui n’existe pas chez les animaux, sert à produire des acides aminés spécifiques chez les mauvaises herbes. Les mammifères eux, ne synthétisent pas ces acides là. Les acides aminés essentiels que l’homme ne synthétise pas, il doit les obtenir par son alimentation (il y a d’autres acides aminés que l’homme synthétise, mais la voie métabolique de ceux là n’est pas atteinte par le glyphosate). Le glyphosate interfère avec la voie métabolique du shikimate, ce qui empêche la fabrication de certains acides aminés sans lesquels les mauvaises herbes ne peuvent pas produire des protéines essentielles à leur survie.

Je n’ai pas peur que le glyphosate me rende malade, non plus que ceux auxquels je tiens. Mais même quelqu’un n’ayant pas un très haut niveau scientifique et un peu de bon sens ne voudrait pas boire quelque chose simplement parce que c’est sûr.

En dépit de la classification récente de l’IARC (une agence de l’OMS) du glyphosate comme « probablement cancérigène », les scientifiques ne se prennent pas au jeu. Reprenant les propos d’autres experts, un maître de conférences en chimie analytique de Melbourne, le Dr. Oliver Jones a expliqué que « le public devrait être intéressé par le fait que l’IARC classe aussi 70 autres choses dans la catégorie « probablement cancérigène », dont le travail de nuit. Dans la plus haute catégorie des cancérigènes connus on trouve les boissons alcoolisées et l’exposition au soleil avec le plutonium ».

Le Dr. Jones a rappelé que « la dose fait le poison » : « Oui, les pesticides peuvent être dangereux, mais comme beaucoup d’autres choses communes qui sont également dangereuses dans des quantités et des expositions suffisantes ; la dose fait le poison ». Comme mère de deux jeunes enfants, je ne suis pas effrayée par le glyphosate et je continuerai d’acheter de la nourriture contenant des OGM. En effet, je crains beaucoup plus l’intrusion de la peur infondée dans l’esprit et le cœur de mes proches que des traces de résidus de pesticides. Si un jour j’accepte une interview par des anti-biotech, soyez avertis : si vous me demandez de boire du glyphosate, je vous demande du tac au tac de boire un grand verre de pesticide organique naturel.

Quelque chose de sûr mais que vous ne voudriez pourtant jamais boire ? Tweetez le avec le hashtag #IfItsSafeThenDrinkIt !

*** Kavin n’a pas vraiment avalé son dentifrice et ne condamne pas la consommation de liquides qui ne sont pas conçus pour l’être.

Featured image © 2015 Kavin Senapathy

11 commentaires sur “[Trad] « Opposants aux biotechnologies : c’en est assez de la rhétorique du ‘si ce n’est pas dangereux, buvez-en’ ».

    • Bonjour fennec23,

      Merci de l’intérêt que vous avez porté à ce billet.

      Il me semble que vous faites erreur, mettons cela sur le compte de l’heure tardive :

      – La review de Lancet Oncology n’a pas été publiée « moins de 15 jours après… » mais plus de 15 jours avant. Elle est en effet parue en ligne le 20 mars, et ce commentaire de Kavin Senapathy le 7 avril. Cette tentative de discrédit n’a donc aucun sens. Même l’article de Foucart que vous citez est ante-daté du 25 mars. L’heure tardive donc.

      Cliquer pour accéder à GlyphosateWHOIARC2ALancetOncology.pdf

      – Même sans cette très simple vérification, il relevait du bon sens commun de comprendre que les commentaires sur la « polémique glyphosate » ne pouvaient arriver qu’après le début de cette polémique avec le compte rendu de l’IARC qui se reposait en partie sur la review de Lancet.

      – Cette revue très intéressante à fait l’objet d’un commentaire assez aisément compréhensible pour les non spécialistes et traduit en français ici :

      https://latheierecosmique.wordpress.com/2015/03/29/trad-glyphosate-et-cancer-que-disent-les-donnees/

      Vous pourrez y apprendre que la polémique n’existe pas scientifiquement, et qu’en outre, l’article de Lancet non seulement ne soutient pas les positions polémiques qu’on peut lire dans la presse, notamment dans Le Monde, mais de plus, ne semble pas soutenir non plus la classification de l’IARC en dehors du précautionnisme attendu de toute agence de régulation. Je vous recommande amicalement la lecture intégrale de cet article et de quelques autres articles de vulgarisation scientifiques que je pourrai vous recommander, simples à comprendre, dénués de réactions émotionnelles, et basés sur les faits scientifiques, si la compréhension objectives des faits vous intéresse.

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      • Kavin a une biographie qui parle pour elle: pas vraiment de diplôme, un poste de « conseillère » dans une firme biotech (une manière compliquée de dire que c’est une lobbyiste). Cela rend son buzz suspect car elle n’a ni le bagage universitaire, ni l’indépendance pour vraiment être libre de parole.

        Si sur le fond elle a raison -en effet le glyphosate est un poison au même titre que le sodium et c’est bien la dose qui fait le poison- la démonstration un peu barnum a de quoi faire rire. Mais où donc était elle pour défendre les pâtisseries à la cannelle au Danemark? Monsanto a beaucoup de chance car des auteurs présentés comme indépendants font sa communication gratuitement avec des arguments … grotesques?

        A ma connaissance « c’est pas grave, il y a d’autres choses plus toxiques » n’est pas une donnée très objective, et elle en général frappée du seau de la mauvaise foi.

        Hélas même si la dose est faible, l’accumulation est toujours possible1 avec des européeens qui littéralement urinent du glyphosate. Plusieurs pays ont interdits le Glyphosate ces derniers temps, ce qui est plutôt rassurant. Et enfin, d’antiques mémos de l’EPA refont surface. Tout comme des études (discutées certes) sur les effets catastrophiques de ce produit sur la flore digestive.

        1 http://omicsonline.org/open-access/detection-of-glyphosate-residues-in-animals-and-humans-2161-0525.1000210.pdf

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  1. L’argument du « vous pouvez en boire un grand verre, ça ne vous fera aucun mal » viens du lobby pro-glyphosate et non des opposant aux OGM. Ne jouez pas au Calimero.

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    • Bonjour Glouphop,

      Merci d’avoir pris le temps de commenter !

      Je vous invite à relire le billet, car il semble qu’il vous ait échappé quelques informations importantes. Comme le fait que si boire un verre de glyphosate n’est en effet pas dangereux pour la santé, ça n’en reste pas nécessairement appétissant, de même que vous conviendrez qu’il semble difficile d’accepter de manger une pleine assiette de fumier, quand bien même on en dépose sans problème dans les champs.

      Il ne s’agit donc pas de « jouer au Caliméro » mais uniquement d’expliquer que « buvez du [insérer n’importe quoi] sinon ça veut dire que c’est dangereux » n’a pas de sens et n’est qu’un procédé de manipulation du public 🙂

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      • J’ai très bien compris l’argument de la dose, le problème n’est pas là. Je répète donc puisque vous ne semblez pas avoir assimilé ce que j’ai dis. L’argument de pouvoir boire du glyphosate pour souligner qu’il agit sur une voie métabolique spécifique aux plante et pour souligner qu’il est biodégradable (argument par ailleurs mensonger) est tiré d’une publicité pour le roundup. S’il est utilisé comme contre-argument aujourd’hui par les écologiste l’idée de pouvoir en boire viens de Monsanto.

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      • Allons Glouphop, maintenons la cordialité de l’échange, point n’est besoin d’agressivité 🙂

        Je n’ai à aucun moment parlé de dose, ce n’était pas du tout mon propos. Mon propos est que ce qui est comestible n’est pas nécessairement appétissant. Peu importe qui apporte l’argument, Monsanto, opposants au glyphosate ou ma voisine.

        Je ne trouve par ailleurs aucune référence à une quelconque publicité de Monsanto employant cet argumentaire ; d’autant plus que le RoundUp, contrairement au glyphosate, n’est pas du tout comestible, du fait des tensio-actifs qui y sont ajoutés. Vous pourriez m’aider et m’indiquer où je pourrais trouver cette publicité ?

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