[Trad] « L’effet Google University »

Article publié par Steven Novella sur Neurologicablog le 6 avril 2015.

Je ne cesse d’être fasciné par l’expérience sociale que nous vivons depuis une dizaine d’années (et si vous êtes entrain de lire cela, c’est que vous faites partie de l’expérience). Internet et les réseaux sociaux ont changé la façon dont nous accédons à l’information et dont nous communiquons. Le schéma pyramidal traditionnel de diffusion de l’information et de l’opinion s’effrite et est remplacé petit à petit par un système inversé de libre accès pour tous.

Je pense que nous sommes encore entrain d’essayer d’entrevoir les conséquences attendues et inattendues de tels changements. L’un de ces effets occasionnellement observé est la propension de certaines personnes à s’attribuer une expertise qu’elles n’ont pas après avoir été capable de faire une « recherche » sur internet. La démocratisation de l’information a conduit à une fausse impression de démocratisation de l’expertise.

Alors que l’accès gratuit à l’information est très répandu, il n’existe pas d’enseignement permettant au public de savoir comment utiliser cette information pour en tirer le meilleur profit et éviter les écueils les plus communs. Les écoles sont généralement dans les choux en ce qui concerne l’enseignement de la gestion de l’information sur le web et beaucoup d’adultes actuels n’étaient déjà plus dans le cursus scolaire avant que les réseaux sociaux n’existent.

Le résultat est « l’effet Jenny McCarthy ». C’est une célébrité qui pense qu’elle peut substituer sa propre opinion de non-expert au consensus solide des experts sur la sécurité et l’efficacité de la vaccination au prétexte qu’elle a fait « ses propres recherches ». Elle est un exemple patent de ce que la recherche d’informations sur le web peut conduire quelqu’un à une confiance infondée dans une opinion non scientifique, et illustre à quel point la « Google University » peut être extrêmement trompeuse. Il y a quelques écueils spécifiques à l’œuvre ici.

Le premier écueil à fait l’objet de la publication récente d’une série d’expériences conduites par Matthew Fisher, doctorant en psychologie cognitive de l’université de Yale. Il a observé spécifiquement la recherche en ligne d’informations et la confiance accordée en nos propres connaissances sur le sujet recherché. Bien entendu, si nous cherchons et lisons des informations sur un sujet, notre confiance dans nos connaissances sur ce sujet augmente. Fisher cependant a essayé de contrôler autant de variables que possible pour détecter un éventuel effet indépendamment de la façon dont cela affectait nos véritables connaissances.

Il a ainsi observé que le public avait une plus grande confiance en ses connaissances même quand il cherchait en ligne sur un sujet plutôt que d’obtenir ces informations directement, quand le sujet ne présentait pas d’informations pertinentes en ligne, quand les informations pertinentes étaient filtrées, ainsi que quand il lisait une information en ligne plutôt qu’en version imprimée. De fait, l’acte de chercher soi même semblait augmenter la confiance du public dans ses propres connaissances.

Ce type d’expérience est évidemment complexe et nous avons besoin de voir des réplications, mais il semble déjà que l’accès à une vaste somme de connaissances que l’on peut passer au crible augmente le degré de confiance que l’on accorde en ses propres connaissances, indépendamment de la pertinence de ces connaissances.

Il me semble qu’il y a d’autres effets à l’œuvre également, comme le biais de confirmation. La recherche internet est une mine d’informations dans laquelle on peut sélectionner (consciemment ou non) celles de ces informations qui confirment ce que l’on croit déjà ou ce que l’on veut croire. Faire une recherche en ligne sur la vaccination donnera des tonnes d’informations soutenant sa sécurité et efficacité, tandis que quantité d’autres informations rabaisseront la vaccination. Pour n’importe quel sujet polémique, le résultat sera le même.

Le biais de confirmation est puissant et dangereux, spécifiquement parce qu’il donne l’illusion que les données soutiennent nos croyances car nous ne percevons pas le point auquel nous avons filtrée et biaisée cette recherche. Internet est un piège à biais de confirmation.

La version extrême de ce phénomène est ce que nous appelons la « caisse de résonnance ». Le filtrage de l’information peut être formalisé en ligne au sein de communautés où une seule perspective est exprimée, et l’information soutenant cette perspective est partagée, alors que l’information opposée est filtrée ou directement contredite. C’est un effet persistant valable aussi bien pour les sites sceptiques et scientifiques que les pseudo-scientifiques.

Un autre problème potentiel est la confusion entre connaissance et expertise. On voit ainsi souvent des personnes potentiellement très intelligentes, avec un gros bagage de connaissances factuelles, qui arrivent cependant à des conclusions absurdes dans lesquelles elles placent un haut degré de confiance. Le problème avec ces foutaises, c’est qu’elles ne s’engagent pas vraiment avec la communauté intellectuelle pertinente.

Il est crucial d’engager la communauté, spécialement pour des domaines de connaissance hautement techniques et complexes. Il peut être très difficile pour un individu de voir la complexité d’un problème sous tous ses angles et de considérer toutes les perspectives. Laissés seuls, nous aurons tendance à nous raconter des histoires satisfaisantes et à devenir de plus en plus confiants dans la véracité de ces histoires. Engager la communauté aura tendance à mettre à l’épreuve ces histoires, conduisant à une compréhension plus profonde et plus nuancée du sujet. C’est là le cœur de la véritable expertise.

Etudier un sujet seul en faisant des recherches internet peut être une fabrique à foutaises en apportant des connaissances factuelles sans réellement les articuler. Dès lors, l’effet caisse de résonnance peut donner l’illusion d’engagement, mais seulement au sein d’une communauté biaisée et non d’une communauté plus large. Le résultat se manifeste par des personnes qui croient erronément à la suffisance de leurs connaissances dans un domaine qu’elles ne comprennent pas vraiment. L’effet Dunning-Kruger frappe également, et ces personnes ne mesurent pas vraiment le gouffre séparant leur compréhension d’un sujet acquise à la Google University, et la profondeur de compréhension des véritables experts.

Conclusion

Internet peut créer une armée de pseudo-experts bien trop confiants en eux-mêmes. Il y a un certain nombre de parades à cela au niveau individuel :

  • L’humilité. Ne pensez pas qu’une petite somme de connaissances fasse de vous un expert. Respectez les opinions des vrais experts. (Vous n’avez pas à être d’accord, mais prenez les au moins au sérieux).
  • Comprenez l’avantage inhérent d’un consensus d’experts plutôt que l’opinion des individus.
  • Lorsque vous faites des recherches sur internet, cherchez également des informations allant à l’encontre de vos croyances ou conclusions actuelles. Essayez de trouver ce que chacun des partis a à dire, et suspendez votre jugement personnel jusqu’à ce que vous pensiez avoir entendu ce que chacun avait à dire.
  • Comprenez que la recherche en ligne est un piège à biais de confirmation. Google lui-même peut biaiser les résultats de votre recherche. Vous devez contourner cela.
  • Comprenez qu’en plus du biais de confirmation, il y a d’autres biais sur internet, comme les caisses de résonnance, la propagande publicitaire et politique, et les informations délibérément déformées pour soutenir une idéologie. Soyez sur vos gardes quant aux fausses informations, et examinez minutieusement une source avant de vous reposer dessus.
  • Comme toujours, il n’y a aucun substitut au scepticisme et à la pensée critique.

6 commentaires sur “[Trad] « L’effet Google University »

  1. Je ne savais pas que ça avait ce nom là. En tout cas j’y ai été confronté pas plus tard qu’hier soir face à un vegan qui est persuadé qu’un an de régime vegan et des recherches sur internet ont beaucoup plus de valeur qu’une banale consultation chez un professionnel de la santé et/ou de la nutrition.

    Forcément… 😀

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