[Trad] Débunker le créationnisme musulman [Difficulté : moyenne] ( 2000 mots / ~12 mins)

Ce billet a été posté par Steven Novella sur Neurologicablog le 19 juillet 2016.

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L’Atlas de la Création d’Harun Yahya

Adnan Oktar, plus connu sous le nom de plume d’Harun Yahya, est un créationniste musulman. Il a écrit plusieurs livres et le web est désormais bourré de ses articles.

Ses arguments sont fondamentalement les mêmes que ceux des créationnistes chrétiens ce qui soulève la question de savoir s’il les a développés indépendamment de ceux-ci ou s’il a simplement lu des sources créationnistes chrétiennes. Il fait ainsi référence à Duane Gish et d’autres sources du même type, de sorte qu’il est permis de penser à une certaine inspiration directe, au moins en partie.

Certaines ressemblances peuvent également venir du fait  qu’il suit un cheminement similaire, à savoir faire n’importe quoi. Il aime par exemple, à l’instar de ses semblables chrétiens, prendre des citations de scientifiques totalement hors de contexte et s’en servir comme argument contre la théorie de l’évolution.

Par ailleurs, il apprécie également de se présenter lui-même comme un intellectuel, en dépit de son ignorance hallucinante sur le sujet de l’évolution. Il semble en effet s’être documenté à ce propos grâce à ce que S. J. Gould appelait les « sources hostiles de seconde main ». En conséquence, son propos penche plutôt vers des strawmen et ne s’approche jamais véritablement de la théorie de l’évolution moderne de sorte que ses estocades soient toujours à côté de la plaque.

Il écrit ainsi :

« Pour les évolutionnistes, les spécimens fossiles, souvent anciens de centaines de millions d’années, sont des outils pratiques pour leurs théories. Les évolutionnistes prennent un fossile, le relient arbitrairement à une quelconque espèce vivant actuellement, et puis affirment que le fossile est l’ancêtre de l’espèce vivante en question. »

Ce n’est pas très important, mais l’usage du terme « évolutionniste » plutôt que « biologiste de l’évolution » est un énorme indice sur le fait que vous allez avoir affaire avec un créationniste, et que l’appellation « darwiniste » ne tardera pas à suivre. Ce qui est vraiment important, c’est qu’il déforme totalement le processus scientifique.

Les fossiles ne sont pas des outils  utilisés conjointement avec la théorie de l’évolution. Ce sont des preuves, des preuves utilisées pour tester des hypothèses sur les temps anciens, incluant la théorie de l’évolution. Ils ne sont pas non plus reliés arbitrairement à des espèces actuelles. Le fait est que ces ressemblances qu’on appelle des caractères homologues (ou homologies), sont des similarités qui ne dépendent pas directement de leur fonction chez les organismes comparés, et viennent probablement d’un ancêtre commun partagé par ces organismes.

Si vous lisez la littérature paléontologique (ce que Oktar ne semble avoir jamais fait), vous constaterez qu’elle est remplie de descriptions extrêmement pointues des structures anatomiques comparées et du caractère homologique ou non des traits anatomiques comparés, ainsi que des raisons pour lesquelles on attribue telle ou telle relation de parenté évolutive à ces spécimens. Oktar pourrait tout aussi bien affirmer que les éléments ont été placés « arbitrairement » dans le tableau périodique de Mendeleiev ou que les particules sont placées « arbitrairement » dans le Modèle Standard en physique.

Il y a par ailleurs certains spécimens qui ne sont reliés à aucune espèce vivante connue actuellement, notamment certaines branches de la faune cambrienne.

En effet, placer un spécimen dans un clade (c’est-à-dire un groupe évolutionnaire composé d’une branche et de tous ses descendants), ne signifie pas nécessairement que ce spécimen est un ancêtre d’espèces vivant actuellement ou d’espèces éteintes ayant existé après lui. La plupart des fossiles ne sont ainsi pas des ancêtres directs d’espèces plus tardives, mais des parents proches reliés à ces autres espèces par un ancêtre commun. On peut les comparer à des cousins. Ils peuvent ainsi représenter un groupe certes transitionnel vers un groupe actuel, mais également en être un groupe simplement cousin.

La lecture d’un seul paragraphe suffit à constater que Oktar ne comprend pas la théorie de l’évolution ni la science elle-même. En revanche, il est très compétent en ce qui est de condenser une grande quantité d’erreurs dans ses explications. Il poursuit ainsi :

« Si le fossile en question est un poisson par exemple, ils affirment sur la base de quelques os que ce spécimen possède des caractères primitifs ainsi que des organes nouvellement développés et des membres relatifs à un processus de transition vers une ‘plus haute’ forme de vie. »

Oktar ne semble pas saisir la signification de « primitif » chez les biologistes de l’évolution. En effet, ceux-ci utilisent le terme simplement pour caractériser une forme ancestrale relativement à une forme descendante. Vous ne pouvez pas regarder un caractère et décréter qu’il est primitif. Il est seulement primitif relativement à quelque chose de plus récent que lui. L’incompréhension d’Oktar sera plus évidente ensuite et nous y reviendrons. Il introduit également ici le concept de ‘plus haute’ forme de vie, qu’il met entre guillemets ce qui sous entend qu’il est entrain de citer les scientifiques. Sauf que ceux-ci seraient atterrés par ces propos.

L’idée d’espèces étant évolutivement supérieures ou ‘plus hautes’ est totalement dépassée. Toutes les espèces vivantes actuellement sont toutes aussi évoluées les unes que les autres, c’est-à-dire qu’elles ont toutes la même quantité d’histoire évolutive derrière elles. Dès lors, les espèces actuelles ne sont pas ‘plus hautes’ que les espèces anciennes. Cela n’a aucune signification pertinente. Elles sont simplement différentes. Les espèces s’adadptent peu à peu à leur niche écologique, elles ne s’élèvent pas peu à peu vers une sorte de perfection. Ces conceptions sont abandonnées depuis fort longtemps [NdT : et étaient déjà rejetées par Darwin à la base].

Mais cela s’empire pour Oktar :

« Quand une chose vivante apparait dans la même forme que celle qui existait déjà il y a des millions d’années, cela démolit bien évidemment toutes les fables que les évolutionnistes nous racontent à ce propos. Cela démontre simplement qu’un organisme vivant qui –d’après les affirmations des darwinistes- devrait avoir entrepris une évolution considérable après des millions d’années, reste en fait tout simplement étranger à ce processus. Cela démontre en outre  qu’à une époque où, toujours selon les évolutionnistes, seules des formes de vie primitives devaient exister, on pouvait en fait observer des organismes totalement développés avec des caractères complexes et leurs structures propres. »

Oktar s’est trop focalisé sur « l’argument des fossiles vivants ». Il a publié un livre, l’Atlas de la Création, qui consiste simplement en photographies d’espèces vivantes et fossiles, qui prétendent démontrer qu’elles sont identiques, ce qui n’est pas le cas. S’il était nécessaire de démontrer plus avant son incompétence, certains universitaires à qui il avait envoyé son atlas lui ont fait remarquer que certaines de ces photos supposées représenter des espèces vivantes étaient en réalité des appâts de pèche tout ce qu’il y a de plus factice, et non pas de vraies espèces.

Dans tous les cas, c’est le bon moment pour parler des équilibres ponctués. Il s’agit de la théorie de Gould et Eldredge à propos du pattern de répartition des fossiles observés dans les couches géologiques. Gould et Eldredge ont expliqué qu’en fait, la plupart des espèces sont généralement dans des périodes de relatif équilibre avec leur environnement. Durant ces périodes, les pressions sélectives constantes exercées par leur environnement sur ces espèces, maintiennent ces espèces adaptées de manière plus ou moins optimale à leur niche, c’est-à-dire à l’environnement dans lequel elles se trouvent. En l’absence de fortes pressions de sélection directionnelle engendrées par un changement environnemental important, ces espèces ne montrent pas de grands changements morphologiques.

De plus, ces espèces se répartissent le long d’un gradient géographique qui peut être caractérisé par des environnements –des niches- très différents. Ainsi, localement, des groupes d’organismes s’adaptent à leur environnement local, adaptation qui se superpose à un autre mécanisme de l’évolution : la dérive génétique. L’une des populations réparties le long de ce gradient géographique peut alors devenir dominante par rapport aux autres à la faveur de changements environnementaux qui lui sont favorables, ou bien évoluer fortement, de manière directionnelle [NdT : e.g. des poissons de taille moyenne qui évoluent très rapidement vers des poissons de grande taille ou de petite taille => évolution directionnelle], toujours à la faveur d’un changement et d’une nouvelle pression environnementale. Ils pourraient par exemple commencer à utiliser une nouvelle source d’alimentation, ou devoir faire face à un nouveau prédateur.

L’équilibre, ou période de stase, est ainsi ponctué de phénomènes rapides d’évolution à l’échelle des temps géologiques, jusqu’à une nouvelle période de stase. Les espèces marquant ces périodes de stase tendent à perdurer environ 2 millions d’années, ce qui est suffisant pour que quelques un des spécimens aient la chance d’être fossilisés après leur mort et d’apparaitre dans le registre fossile. Les périodes de fort changement, c’est-à-dire les épisodes ponctués, tendent en revanche à concerner une petite partie de la population totale sur une période extrêmement courte de quelques milliers d’années, ce qui est un temps hélas trop court pour être véritablement perceptible à l’échelle des couches géologiques.

Gould et Eldredge ont mis en évidence que ce scénario s’accorde bien avec ce que les paléontologues observent dans le registre fossile, c’est-à-dire la répartition des fossiles dans les différentes strates géologiques successives de la Terre, avec ce qui ressemble à un pattern saltatoire de l’apparition de nouvelles espèces. Ils semblent ainsi avoir résolu ce qui a longtemps été une énigme du registre fossile [NdT : et qui était alors interprétée non pas comme le résultat de l’évolution selon un modèle d’équilibres ponctués, mais comme des trous dans la succession des couches géologiques, certaines époques n’ayant pas laissé de telles couches observables].  Il s’agit toujours de la théorie de l’évolution, mais enrichie du modèle des équilibres ponctués capable d’expliquer le registre fossile, contrairement au seul modèle gradualiste imaginé par Darwin à la base.

Tout cela pour expliquer que l’affirmation d’Oktar selon laquelle les espèces statiques dans le registre fossile réfuteraient l’évolution, est tout simplement erronée. Les scientifiques connaissent ces stases et savent les expliquer. Ce que Oktar et les autres créationnistes semblent oublier, c’est que les périodes de stase sont justement marquées par des périodes ponctuées de forts changements évolutifs.

Pire encore, Oktar semble croire que « primitif » signifie que l’organisme n’est pas entièrement formé. En effet, il ajoute plus loin :

« Puisque ces créatures étaient dans un processus de transition, elles devaient être déformées, déficientes, inaptes. »

Faux. Aucun scientifique ne croit cela, et cela ne fait aucun sens dans la théorie de l’évolution. Ce type de déclaration trahit une incompréhension totale de la théorie de l’évolution et de la sélection naturelle. Toutes les créatures sont transitionnelles d’une certaine façon. Dans tous les cas, à chaque moment de cette transition, elles sont totalement fonctionnelles dans leur forme du moment. Une aile transitionnelle n’est pas une moitié d’aile, c’est autre chose, une autre chose qui est totalement fonctionnelle. L’œil des vertébrés n’a jamais été une moitié d’œil, il était totalement fonctionnel à chacune de ses étapes.

C’est comme si Oktar pensait que les agriculteurs du XVe siècle conduisaient des moitiés de tracteurs non fonctionnelles plutôt que des charrues parfaitement fonctionnelles.

Évidemment, si vous comprenez les concepts « transitionnel » et « primitif » de la même façon erronée qu’Oktar, vous vous attendez à trouver dans le registre fossile des organismes comme La Chose de La Famille Addams.

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Mais ce n’est pas ce qu’on trouve, et ce n’est pas ce que la théorie de l’évolution prédit.

Mais même en exposant une vision aussi puérile de ce qu’est un fossile transitionnel, Oktar doit encore mentir afin d’affirmer qu’il n’existe pas de telles formes dans le registre fossile. Il affirme ainsi spécifiquement qu’il n’y a pas de connexions entre les grands groupes d’organismes comme les poissons et les amphibiens [NdT : « poissons » est un terme inapproprié, mais vous comprenez l’idée], ou entre les reptiles et les oiseaux.

Il doit pour cela ignorer Tiktaalik, qui est un poisson [NdT : cf. supra] transitionnel vers les vertébrés terrestres et qui a été découvert car les paléontologues pouvaient prédire son existence passée à un endroit précis (dans des couches géologiques d’un certain âge que l’on trouve communément dans certaines zones géographiques de nos jours). Il ignore également les désormais nombreuses occurrences connues de fossiles de dinosaures portant des plumes clairement transitionnels entre les théropodes et les oiseaux. Il ignore également le processus évolutif des plumes que nous connaissons actuellement. Encore une fois, une plume primitive n’est pas une moitié de plume qui ne marche pas. Une plume primitive est totalement formée et peut servir à d’autres fonctions que le vol battu, comme l’isolation, la communication ou le piégeage d’insectes. [NdT : en fait Harun Yahya fait encore mieux que ça. Il ignore ces données et prétend qu’il s’agit de hoax diffusés par les évolutionnistes, cf. infra.]

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Illustrations du site d’Harun Yahya expliquant la collusion des médias et des évolutionnistes pour diffuser de fausses découvertes sur la théorie de l’évolution… En bas à gauche, le fossile Tiktaalik fait partie de ces prétendues fausses informations.

Conclusion

Le « débunking » que Oktar entend faire de la théorie de l’évolution ignore largement les faits et est basé sur sa propre incompréhension simpliste de l’évolution comme en attestent ses explications factuellement erronées, ses strawmen et ses citations hors contexte.

En d’autres termes, le créationnisme musulman n’est pas différent du créationnisme chrétien.

(Note : je sais qu’il y a différents aspects de la théorie de l’évolution et différentes sortes de créationnisme, mais par soucis pratique, je le traite ici comme un phénomène général de déni de l’évolution).

3 commentaires sur “[Trad] Débunker le créationnisme musulman [Difficulté : moyenne] ( 2000 mots / ~12 mins)

  1. Bon courage pour expliqué a des fou de dieu, la science… de toute facon si dans le coran il était noté que la gravité n’existait pas, ils ne croiraient pas en la gravité.
    Ca s’appelle le dogmatisme.

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