[Trad] L’EMdrive qui défie la physique bientôt revu par les pairs (mais fonctionne-t-il ?)

Une photo de l'EMdrive, qui défie prétendûment les lois de la physique. Image credit: SPR, Ltd., of the EMdrive.
Une photo de l’EMdrive, une cavité tronc-conique dans laquelle on fait rebondir des micro-ondes et qui défie prétendûment les lois de la physique. Image credit: SPR, Ltd., of the EMdrive.

Ce billet est une traduction d’un texte d’Ethan Siegel, astrophysicien et auteur sur Medium, ScienceBlogs et Forbes. Il y explique quelle approche il est sain d’adopter en ce qui concerne les découvertes expérimentales récentes qui agitent les médias et les fans de sciences sur les forums.

« L’action est toujours égale à la réaction ; c’est-à-dire que les actions de deux corps l’un sur l’autre sont toujours égales et de sens contraires. »

Ainsi exprime-t-on la troisième loi de Newton, loi fondamentale de l’univers – autrement connue sous le nom de “conservation de la quantité de mouvement – toujours valide même après l’avènement de la physique quantique et la relativité générale.

Et pourtant, il y a quelques années, un nouveau moteur d’engin spatial prétendant enfreindre cette même loi fut proposé par l’inventeur Roger Shawyer : l’EMdrive.
Contrairement aux moteurs-fusée conventionnels qui génèrent une poussée dans une direction en repoussant de la matière dans la direction opposée, l’EMdrive se veut capable de convertir la puissance d’une source extérieure en poussée positive sans réaction correspondante.

Malgré l’incompatibilité avec les lois de la physique telles qu’elles sont connues, un prototype fut soumis au laboratoire Eagleworks de la NASA. Et surprise, le test s’est révélé positif : il fut observé une poussée malgré l’absence de force en réaction. Et si on en croit le Dr. José Rodal du forum NASA Spaceflight, l’article à propos de l’expérience, “Measurement of Impulsive Thrust from a Closed Radio Frequency Cavity in Vacuum” signé Harold White & al., vient tout juste d’être autorisé à être publié dans la revue scientifique à comité de lecture Journal of Propulsion And Power de l’AIAA.

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Le Dr. Rodal est connu pour être enthousiaste vis-à-vis de l’EMdrive. Image credit: screenshot du NASA spaceflight,qui n’est d’ailleurs pas un site officiel de la NASA, via http://www.nasaspaceflight.com/2015/04/evaluating-nasas-futuristic-em-drive/

Mais qu’est ce que cela signifie ? Qu’est ce qu’implique “publié dans une revue à comité de lecture” ou “relu par les pairs” ? Est-ce qu’on peut conclure que l’effet est réel et que la physique fait lourdement erreur depuis 300 ans ?
Tout d’abord, considérons le fait que ces journaux scientifiques publient toutes sortes de résultats qui se révèlent par la suite sans lien avec la réalité :

  • les neutrinos plus rapides que la lumière qui étaient en fait une erreur de mesure due à un câble mal branché,
  • l’exoplanète α Cen Bb qui après vérification n’existe pas,
  • et l’existence d’une nouvelle particule à 750 GeV dans le LHC, dont le signal a finalement disparu quand on a collecté davantage de données.

Ce que “relu par les pairs” signifie, c’est qu’un scientifique indépendant, expert de ce domaine scientifique, a lu et critiqué le papier, et a déterminé que le papier est d’une qualité suffisante pour avoir une valeur aux yeux de la communauté scientifique. Cela ne signifie pas nécessairement que les résultats ou les conclusions de l’article sont corrects, ou même qu’une réponse réelle est apportée.

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Des résultats préliminaires peuvent passer la revue par les pairs parce qu’ils représentent des contributions intéressantes en terme de développement des sciences, mais cela n’implique pas qu’ils sont forcément valides. Image credit: James Beacham for the ATLAS collaboration, via his Twitter account.

Ce qu’il s’est passé dans le cas qui nous intéresse ici, c’est qu’un prototype a été construit de sorte que quand on lui fournit énormément de puissance, une minuscule poussée est observée. Le ratio de la poussée sur la puissance fournie est de l’ordre de 1,2 ± 0.1 Newtons par Megawatt, en considérant que 1,2 est en gros le poids d’un iPhone 6 tandis qu’un Megawatt représente assez de puissance pour alimenter une habitation occidentale … et 649 autres, en même temps. Plus prosaïquement, il s’agit d’une puissance très importante, tout ça pour fournir finalement une poussée ridicule. Cela dit, si on révolutionne les lois de la physique, et ce avec si peu d’incertitudes de mesure par rapport au signal mesuré, il s’agit bien d’un résultat robuste et important, non ?

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Le champ magnétique surfacique de la cavité de l’EMdrive durant les tests de la NASA. Image credit: NASA Spaceflight forums, via Chris Bergin.

 

Pour revendiquer un tel résultat – qui enfreint clairement les lois de la physique – il faut avoir des preuves plus qu’ordinaires pour le soutenir. A fortiori parce que les lois qui sont remises en question sont plutôt basiques : la troisième loi de Newton puisqu’on a une poussée sans réaction correspondante, et la loi de conservation de la quantité de mouvement.
Les expérimentateurs ne proposent aucun mécanisme physique viable pour l’expliquer, et se contentent de rappeler que la science est expérimentale, et qu’ainsi si l’expérience donne une poussée alors c’est notre compréhension de la physique qu’il convient de revoir, plutôt que l’expérience.
Dans le cas de l’EMdrive, l’appareil testé, la poussée est constamment mesurée entre 30 et 50 µN (microNewton), ce qui donne un ratio de 1,2 N / MW comme vu précédemment. Cela dit, le seuil inférieur de mesure des appareils de mesure employés était tout juste de 10 à 15 µN ! En d’autres termes, ces résultats sont peut-être intéressants mais en tout cas, pas aussi robustes qu’on le souhaiterait.

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De nombreux enthousiastes ont proposé d’employer l’EMdrive pour les voyages interstellaires, mais on est encore loin du jour où cette poussée mystérieuse issue d’un appareil peu efficace propulsera un engin spatial.Image credit: Mark Rademaker, privately (via Twitter), composed for NASA Eagleworks.

Ces résultats positifs marginaux ont passé la relecture par les pairs, et nombreux sont ceux qui rêvent d’une nouvelle forme d’énergie exploitable ou de la révolution de la physique que cela implique. Mais ne nous laissons pas aveugler par cet engouement typique : la promesse d’une énergie gratuite, de propulsion illimitée ou même de voyage interstellaire.
Jusqu’à ce que le prototype soit adapté à une échelle digne de réelles applications et que l’effet en question répliqué expérimentalement, maîtrisé et mis en oeuvre, il est bon de rester sceptique. Quelques tests à petite échelle peuvent mettre en évidence une découverte à ne pas négliger, ou cela peut se révéler être le même genre de Graal que le mouvement perpétuel ou l’énergie libre et autres concepts du genre : on pourrait avoir affaire à des individus qui se bercent d’illusions en construisant quelque chose qu’ils ne comprennent pas.

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L’inventor Roger Shawyer et son prototype EMdrive. Image credit: Roger Shawyer, Satellite Propulsion Research Ltd.

 

A vrai dire je pense que c’est ce qui est advenu de Shawyer, et qu’il a fini par envoyer son prototype à d’autres en leur demandant “qu’est ce que j’ai fait, là ?”
Et la réponse, Roger, c’est que vous avez construit quelque chose que vous ne comprenez pas, qui fait quelque chose que vous ne comprenez pas,et vu que ce n’est pas évident d’un point de vue physique, les gens à qui vous demandez de tester votre appareil risquent de ne pas comprendre non plus. Mais cela ne signifie pas que c’est incompréhensible par la physique moderne ; ça veut seulement dire que si c’est explicable, ceux qui l’ont testé ne s’en sont pas encore rendu compte. Et si je devais me risquer à faire un pronostic, je dirais qu’il y a certainement sortie de matière ou de photons sans que cela ait été détecté jusqu’à maintenant, et la réaction générée est égale en valeur absolue et opposée à la poussée observée. La publication du compte-rendu de l’expérience dans un journal à comité de lecture n’y change rien. Comme Richard Feynmann l’a fort justement dit il y a plusieurs décennies :

« For a successful technology, reality must take precedence over public relations, for nature cannot be fooled. » – Pour aboutir à une technologie exploitable, la réalité physique doit primer sur les relations publiques, car on ne peut contourner les lois qui régissent la nature.

Un commentaire sur “[Trad] L’EMdrive qui défie la physique bientôt revu par les pairs (mais fonctionne-t-il ?)

  1. C’est l’occasion de bien penser la science, la notion d’expérience, de réfutation, de théorie, de critique.

    Une expérience ne peut pas être réfutée.
    seule une théorie peut l’être.

    Ce qu’on appelle réfuter une expérience est en fait proposer une théorie d’artefact, qui explique le résultat , sans remettre en cause la théorie reconnue.
    Si on améliore l’expérience, pour par exemple mesurer dans deux directions, et que l’artefact proposé n’explique plus le résultat, l’expérience devient une anomalie qui peut réfuter les théories du moment.

    en fait les scientifiques ne se laissent pas si facilement embêter et ont un tendance a demander une théorie de l’anomalie.
    Thomas Kuhn dans son livre sur la structure des révolutions scientifiques explique bien ce conservatisme, et explique qu’une anomalie n’est acceptée que quand on y attache une nouvelle théorie, un paradigme ( des théories, mais aussi des pratiques, méthodes, critères, point d’intérêts, distincts), qui explique non seulement les anomalie, mais aussi parfaitement le vieux corpus expérimental.

    C’est pour celà que deux types de sophismes sont régulièrement utlisé.

    l’un d’eux c’est de dire que l’expérience est fausse car elle n’a pas de théorie.

    C’est ce qui s’est passé avec la fusion froide.

    La deuxième plus subtile mais identique, est de dire qu’une expérience est réfutée parce que la théorie de son découvreur est réfutée.

    c’est ce qui s’est passé avec Nasa Eagleworks testant une variante « castrée » du Cannae-Drive de Fetta, où l’on enlevait la partie supposée essentielle.
    Le test de Eagleworks était que, l’EmDrive marchait, le Cannae Drive marchait, le Cannae Drive castré marchait, et que le null (où il n’y avait plus de cavité, mais juste les artefacts lié aux cablages et au générateur) ne marchait pas. Un test aussi avec un diélectrique ajouté marchait mieux.

    La théorie de Fetta était donc réfutée.
    La loi de conservation du mouvement restait contredite.
    Les théorie des artefacts liés aux câblage, au générateur, étaient réfutées.
    Les dielectriques ont de l’importance.

    un résultat nul ne réfute pas des résultats positifs.
    Un résultat nul c’est peut être parce qu’on a un mauvais modèle de la théorie, ou des artefacts, ou des erreurs de réfutation.

    Une équipe russe à reproduit un emdrive et obtenu un résultat nul dans son intervalle de confiance.
    LA théorie de Shawyer prévoyait une force de 10 sigma… ell est donc réfutée a priori.
    La théorie de McCulloch prévoir 2 sigma, et d’ailleurs elle matche à 2x pas mal d’anomalie de rotation de galaxies ou de vitesse de sondes, et mérite donc un écart-type de 2x… on est donc dans le doute…

    C’est en échangeant avec Edmund Storms que j’ai réalisé que la théorie est à la fois toxique mais aussi irremplaçable dans l’analyse des anomalies.
    Sans une théorie on ne sais pas ce que signifie « répliquer » ou « positif ».
    Mais avec une mauvaise théorie on réplique mal, et on ne voit pas ses réussites, ni ses échecs.

    L’exemple des aéroports papous tentant de répliquer les aéroports américains (ce qui a donné le terme cargo cult) montre bien que si on n’a pas de bonne théorie, de bon paradigme, pour un objet, on ne peut pas le répliquer de manière utile.

    A Hollywood, ou dans l’aéronavale, la manière de répliquer un aéroport n’est pas la même, car les problèmes et les besoins ne sont pas les mêmes.

    Un succès de réplication d’un aéroport pour l’aéronavale et pour hollywood n’est pas le même non plus.

    Vous parlez par exemple de N/kW, ce qui dans le cadre des théories de Shawyers et McCulloch n’a pas de sens car vous oubliez le coefficient de qualité de la cavité.
    en fait le paramètre clé serait plutot des N/J, f=coef.Puissance.qualité. avec en plus une question sur les diélectriques.
    La théorie de Harold White (vide quantique) est elle différente (f=coef*p^2)…

    On compare aussi des kW sans savoir la richesse du spectre, qui est un facteur que je sais essentiel. Un magnétron ou un VCO ne se comporte pas pareillement, surtout si le VCO ne se synchronise pas bien, tandis que le magnétron le fait naturellement.
    D’où le fait que dans l’expérience qui sera publiée le VCO est dans une boucle à verrouillage de phase.
    Il répond aussi (au delà même de l’expérience décrite) a un nombre important de théorie d’artefact, en faisant disparaître des sources d’artefacts, ou en les testant dans des versions opposables (changer de sens par exemple, comme Shawyer l’indique).

    Il faut aussi être sceptique sur les théorie des artefacts car, sous le désir ardant de garder une théorie qui marche et les investissements mentaux associés, certains inventent des sophismes, des théories de la conspirations plus improbables que les invasions alien (la fusion froide regorge de théories impliquant les plus grand labo mondiaux conspirant pour ruiner leur réputation) ou des artefacts dignes de la licorne rose invisible (la matière noire en est un exemple flagrant).

    D’un autre coté, tout comme il faut être ouvert aux anomalies, et aux théories en cours d’amélioration, il faut aussi rester ouvert aux théorie des artefacts pas encore bien identifiés…

    au final ma manière de détecter l’anti-science, c’est quand un prétendu scientifique dit qu’il ne faut pas investiguer, mais conclure définitivement et cesser de chercher.

    C’est une version du principe de précaution pour l’académique pétochard qui voit dans toute recherché qui échoue un échec personnel définitif qu’il faut éviter à tout prix, et notamment aux prix de la science, de l’innovation, des générations futures.
    S’il réussi a effectivement interdire la recherche, la publication dans Science et Nature, il aura définitivement atteint son but de ne jamais être pris en défaut, et d’avoir l’immunité totale aux cygnes noirs.
    Égoïstement, dans notre système académique rentier, c’est rationnel, ce qui explique que cette vision absurde soit répandue, et qui explique que le secteur privé soit le seul, malgré ses compétences limitées, à chasser les cygnes noirs, et a se planter 99 fois sur 100.

    à lire
    http://www.huffingtonpost.com/charles-eisenstein/the-need-for-venture-scie_b_8045434.html

    http://singularityhub.com/2015/07/14/why-entrepreneurs-not-government-drive-innovation/

    https://associationslibres.wordpress.com/2015/06/15/accepter-lechec-les-neuroscience-du-foirage/
    http://www.wired.com/2009/12/fail_accept_defeat/2/

    J’aime

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