Article publié par Emil Karlsson sur Debunking Denialism le 11 mai 2018.
Divers activistes et mouvements pseudo-scientifiques se plaignent fréquemment que « la science avait tort avant ». Ils clament que les scientifiques et les résultats scientifiques ne sont pas dignes de confiance et utilisent toute une gamme de tactiques et de clichés pour faire valoir ce point de vue.
Il existe de nombreuses façons de réfuter cette affirmation : la science n’a pas besoin d’être parfaite pour être intéressante, il est pire de se tromper maintenant, la science ne se trompe probablement pas sur les questions fondamentales et la raison pour laquelle nous savons que les gens dans le passé se trompaient est la science elle-même. De plus, la science ne change pas arbitrairement, mais se met à jour et s’améliore. De nombreux modèles plus simples, y compris la mécanique newtonienne, sont encore très précis et utiles aujourd’hui.
Les erreurs passées des sciences ne donnent pas le droit d’affirmer n’importe quoi
Beaucoup des prétendues affirmations historiques faites par les tenants de « la science a eu tort par le passé » ne sont même pas explicitées et plusieurs d’entre elles sont beaucoup plus compliquées qu’elles n’y paraissent à première vue. Elles vont en fait rarement dans le sens de « la science a eu tort dans le passé ». La science est un terme qui désigne de nombreux domaines et méthodes, il n’est donc pas logique de faire des généralisations sauvages entre les disciplines ou d’insister sur le fait qu’une erreur dans le passé dans un domaine signifie que certains domaines complètement différents sont erronés aujourd’hui.
Il est vrai que la science a eu tort dans le passé, mais les affirmations gratuites restent faibles devant les résultats scientifiques. En règle générale, les activistes pseudo-scientifiques font glisser le débat vers des exemples sans aucun rapport avec le sujet en cours de discussion. C’est une diversion, car ce qu’il faut discuter, ce sont les preuves scientifiques contre la pseudo-science dont il est question.
Il s’agit de déterminer si les allégations sont étayées par des preuves ou non. Le simple fait d’affirmer que la science s’est trompée à un moment donné dans le passé n’a rien à voir avec la question de savoir si la position scientifique dominante est fondée sur des données probantes à l’heure actuelle.
Ou, pour dire les choses plus brièvement : la science se trompe-t-elle maintenant ?
La science n’a probablement pas tort sur des domaines entiers.
Pour les questions très larges, la science est probablement globalement performante. Les preuves à propos de sujets comme l’évolution ou l’inefficacité de l’homéopathie sont très nombreuses et solides. De plus, des données probantes convergent indépendamment de nombreuses sources, méthodes et domaines différents. Bien que certains détails puissent être révisés à l’avenir, il est peu probable que des thèmes entiers soient révisés en profondeur. Les preuves sont tout simplement trop nombreuses et trop solides pour que tout se révèle faux en bloc.
Pour bien comprendre ce point, il est important de distinguer les modèles scientifiques, des faits et des observations. Même si un modèle particulier s’avère défectueux, les observations de base qui ont été démontrées à maintes reprises ne seront pas réfutées. Même si nous découvrons un nouveau modèle de gravité quantique, cela ne réfuterait pas l’observation de base selon laquelle les choses tombent au sol quand on les laisse tomber.
Comment on sait que la science a eu tort par le passé
La science avait tort dans le passé. Comment le savons-nous ? Parce qu’une science meilleure, plus robuste et plus fondée sur des données probantes l’a réfutée. Ce n’est pas comme si l’extrémisme religieux, le charlatanisme ou la magie avaient remplacé la science. Il n’y a en pratique aucun cas historique documenté où la science établie avait une position et les mouvements paranormaux en avaient une autre, et l’hypothèse paranormale l’aurait emporté sur les preuves rationnelles.
Pourquoi parier sur le cheval le plus faible alors que le cheval le plus fort a virtuellement toujours gagné ? Pourquoi investir dans des mouvements et des revendications pseudoscientifiques qui se sont plus ou moins toujours révélés être des escroqueries, des faux ou d’autres formes d’absurdités ?
La science n’a pas besoin d’être parfaite pour être raisonnable
Rejeter tout un domaine scientifique ou un produit médical bien testé en faisant valoir que « la science avait tort avant » suppose que la science doit être parfaite. Si elle n’est pas parfaite, on ne peut pas lui faire confiance. Mais il s’agit d’une demande extrême et déraisonnable.
Après tout, personne n’exige que les théories conspirationnistes, les religions ou les idéologies politiques soient parfaites pour être crues. Peu de gens prétendent qu’ils refusent de monter dans une voiture ou sur une bicyclette à moins qu’il n’ait été démontré que le véhicule est infailliblement parfait. Presque personne ne refuse de traverser la rue à moins que l’on puisse garantir à 100% qu’il n’y a pas de risque. Il en va de même pour ce qu’on boit et mange.
La science n’a pas besoin d’être parfaite pour qu’on lui fasse confiance. Il suffit qu’elle soit hautement efficace, fiable et raisonnable. On sait avec un haut degré de certitude que les vaccins fonctionnent et que la terre n’est pas plate. Ces conclusions ne changent pas parce que les scientifiques font parfois des erreurs. Selon cette logique, on ne pourrait compter sur rien (pas même sur soi-même) et on aurait probablement trop peur de faire quoi que ce soit. Il s’agit théoriquement et en pratique d’un non-sens.
La science se met à jour et s’améliore, ses changements ne sont pas arbitraires
La science ne « change [pas] tout le temps d’avis ». Bien que ce qui est considéré comme une science établie et bien étayée puisse changer au fil du temps, ce changement n’est pas aléatoire ou arbitraire. En réalité, la science se met à jour et s’améliore pour s’adapter aux données probantes. Cette capacité d’autocorrection accroît notre compréhension du monde et nous permet d’aider l’humanité. C’est une grande force, pas une faiblesse.
Au contraire, la grande faiblesse serait de continuer à avoir de fausses croyances sur le monde simplement parce qu’un mouvement a eu ces croyances pendant très longtemps. Mettre de côté les fausses croyances sur le monde en faveur de nouvelles preuves est beaucoup mieux que d’ignorer la preuve et de refuser d’abandonner nos fausses croyances sur le monde.
De nombreux modèles plus simples sont encore pertinents et utiles aujourd’hui
Dans la culture populaire, il est communément admis qu’Einstein a réfuté Newton et que, par conséquent, la mécanique newtonienne est erronée. S’il est vrai que la mécanique newtonienne n’est qu’une approximation de la réalité, elle est très précise aux échelles où les humains évoluent couramment. Par exemple, c’est la mécanique newtonienne et les domaines connexes qui sont utilisés pour construire les voitures, les ponts et même les premières navettes spatiales. Nous avons atterri sur la lune avec des mécaniciens newtoniens. La relativité générale n’ajoute que de petites différences dans les calculs qui s’avèrent ne pas avoir d’importance dans la pratique, sauf cas très spécifiques..
Plus important encore, les prédictions faites par la relativité générale (ou tout nouveau modèle scientifique) doivent faire les mêmes prédictions que les modèles plus anciens dans les situations où les deux s’appliquent. En d’autres termes, il doit y avoir un certain degré de correspondance entre les nouveaux et les anciens modèles scientifiques. Par exemple, la mécanique quantique converge vers la physique classique à mesure que le niveau d’échelle analysé augmente.
Les objections sociologiques à la science frappent encore plus durement l’anti-science
Les scientifiques sont des humains. Cela signifie qu’ils font parfois des erreurs, adhèrent à des idéologies dangereuses, succombent à des pressions politiques ou sont corrompus par l’argent.
Ce n’est pas quelque chose qui est spécifique à la science, mais à un grand nombre de domaines d’activité, simplement parce qu’il s’agit d’humains qui, par leur nature même, sont imparfaits. Ce genre de critique sociologique sophistiquée de la science a des mérites, mais s’autodétruit quand on va trop loin.
En effet, la science dispose de nombreux mécanismes et normes d’autocorrection conçus pour prévenir et combattre nombre de ces problèmes. Au contraire, de tels garde-fous sont plus rares voire absents lorsqu’il s’agit de mouvements anti-scientifiques. Ainsi, ces mouvements contraires sont encore plus vulnérables aux erreurs et à la corruption.
Plus important encore, si leur argument de base était vrai, il réfuterait automatiquement leurs propres positions et mouvements aux prétentions scientifiques. En d’autres termes, les versions extrêmes prises par certains militants de la « science avait tort avant » sont fondamentalement contradictoires.
Beaucoup d’exemples de « la science avait tort avant » sont erronés
Galilée n’a pas été réduit au silence par l’establishment scientifique, mais par l’Église catholique. Ce n’était pas parce qu’il a proposé un modèle scientifique avec le soleil au centre et la terre tournant autour de lui. Il s’agissait plutôt d’un conflit personnel avec le Pape au sujet de la religion.
Il n’y avait aucune preuve massive qui prétendait que l’amiante ou le tabac étaient sans danger. En fait, les sociétés d’amiante et de tabac ont caché des preuves qui montraient que c’était dangereux. La plupart des études ont montré que le tabagisme était nocif (et l’est toujours).
Note du traducteur : le cas du tabac est également traité en français dans un article de Plasmodioum publié sur la Théière Cosmique.
Les scientifiques n’ont jamais affirmé avoir des preuves que la terre était plate. En fait, les scientifiques, les philosophes naturels et d’autres intellectuels savaient que la terre n’était pas plate depuis l’Antiquité grecque. Aristote a avancé trois arguments contre l’idée que la terre serait plate. D’abord, l’ombre de la terre sur la lune pendant l’éclipse lunaire. Deuxièmement, le fait que le sommet du navire passe sous l’horizon plus tard que le fond du navire. Troisièmement, et enfin, que les étoiles et constellations visibles différaient selon que l’on se trouve au nord ou au sud de la terre. Eratosthène a même mesuré une circonférence approximative de la terre en mesurant l’angle du soleil à deux endroits différents et en calculant les angles et les distances. Il était étonnamment précis.
Il n’y avait pas de consensus sur le refroidissement mondial dans les années 1970. Peterson, Connolley et Fleck (2008) ont effectué une analyse systématique de tous les articles sur le climat publiés entre 1965 et 1979 et ont constaté que 7 des 71 articles (~10 %) prédisaient le refroidissement, 20 des 71 (~30 %) étaient neutres et 44 des 71 (~60 %) prédisaient le réchauffement.
En d’autres termes, il n’y avait pas de consensus ni même de soutien fort pour la notion de refroidissement global dans les années 1970. Au contraire, la majorité des articles prédisent un réchauffement. Aujourd’hui, le consensus est encore plus écrasant, avec environ 90-100% des articles, des abstracts et/ou des scientifiques experts le soutiennent.
En résumé, bon nombre des exemples historiques présentés par la foule « la science avait tort avant » sont historiquement inexacts à plusieurs égards.
La science a de nombreux domaines et méthodes
La science n’est pas une entité singulière, mais un éventail de nombreux domaines, méthodes et manières d’observer et comprendre l’univers. Ainsi, ce n’est pas un argument valable d’attaquer par exemple l’évolution en disant que la science a eu tort dans le passé sur une question complètement différente dans un domaine complètement différent qui a utilisé des méthodes radicalement différentes.
La comparaison ne tient pas, peu importe les rationalisations alambiquées que les tenants de « science avait tort avant » mettent en avant. Il n’est pas pertinent de souligner des erreurs dans un domaine sans rapport et s’en servir pour saper l’énorme quantité de preuves qui existe actuellement pour les vaccins, par exemple.
Conclusion
« La science a eu tort avant » est un argument très faible.
Il est certainement moins probable de se tromper maintenant que par le passé. En raison de l’énorme quantité de preuves scientifiques à l’appui des modèles scientifiques fondateurs, il est peu probable qu’ils soient complètement réfutés à l’avenir. En fait, la raison même pour laquelle nous savons que la science a eu tort dans le passé, c’est parce que la science actuelle le démontre. Dans leurs attaques contre la science, les critiques supposent implicitement la validité de la chose même qu’ils attaquent. La science n’a pas besoin d’être parfaite pour être fiable et utile.
Les tenants de « la science a eu tort avant » n’exige jamais à rien d’autre d’être parfait avant de l’utiliser. Lorsque la science change, elle ne change pas au hasard. Elle se met à jour et s’améliore. Changer la science pour l’adapter aux faits observables est bénéfique, et non problématique. De nombreux modèles plus simples utilisés dans le passé, y compris la mécanique newtonienne, sont encore très précis aujourd’hui dans de nombreux domaines à notre échelle. Les nouveaux modèles doivent être en accord avec les anciens modèles dans les domaines où ils s’appliquent et sont considérés comme raisonnables.
Beaucoup d’attaques contre la science en raison d’un argument sociologique sophistiqué sont aisément réfutables, puisque les domaines anti-scientifiques auraient au moins des problèmes aussi graves. Les exemples historiques classiques soulevés par les tenants de « la science a eu tort avant » sont inexacts. Enfin, la science dispose d’une grande variété de domaines et de méthodes. Et il n’est définitivement pas crédible d’invoquer des faiblesses ou des problèmes dans un domaine comme argument contre un domaine complètement différent.
Mise à jour du 17/07/2019 : Correction de plusieurs maladresses et lourdeurs de traduction
Le problème sous-jacent à une affirmation telle que « La science s’est déjà trompée » est qu’elle implique une certaine définition, réductrice, de la science, définition qui sert au propos de celui qui la prononce. Il y a ici un argument de type homme de paille à peine voilé, qui consiste à présenter une version déformée de ce à quoi on s’oppose pour pouvoir mieux le critiquer. Si l’on remplace le mot « science » dans l’afirmation ci-dessus par sa définition, l’affirmation devient soit une platitude, soit un non-sens sémantique. On aurait le même résultat avec l’affirmation « La connaissance s’est déjà trompée » (ou son image négative: « L’ignorance a parfois eu raison »). Sur un plan, c’est une évidence triviale. Des connaissances particulières tenues pour vraies à un moment sont considérés fausses par la suite avec l’accumulation d’autres connaissances qui les contredisent. Par contre cela n’invalide pas le mécanisme de la connaissance et ne légitime pas l’ignorance, mais produit exactement l’effet contraire.
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Je suis biologiste, chercheur (à la retraite) et la phrase « La science s’est déjà trompée par le passé » ne me choque pas, c’est une évidence. La biologie regorge d’exemples d’affirmations qui ont été publiées et enseignées et qui se sont avérées fausses (sur les neurones, sur le nombre de gènes dans l’espèce humaine, etc). Heureusement que toute affirmation scientifique est falsifiable (et non encore falsifiée, pour reprendre la terminologie de Popper) ; sinon, quand ce n’est pas falsifiable, c’est un dogme, une croyance, parfois une pseudo-science …
Le problème, c’est qu’est-ce que certains veulent dire en se référant à cette phrase ?
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Le cas de l’amiante est plus compliqué qu’une simple obstruction d’information par les fabricants. Ils ont souvent bon dos les fabricants.
En fait le risque était public plus tôt qu’on ne le dit, et je me souviens en avoir discuté dans les années 70, alors étudiant. Mais l’amiante est généralement un produit naturel, il s’agit d’une roche. Son utilisation visait à faire de l’économie d’énergie. Pour certaines forces politiques, il avait donc toutes les apparences d’une solution à la crise de l’énergie préférable au développement du nucléaire par exemple.Vingt ans plus tard, ces mêmes forces lançaient le scandale.
Au sortir des années 70, la France était considérée comme le pays le plus avancé en matière d’économie d’énergie, ainsi qu’en matière de nucléaire. Si l’on tente un bilan, l’amiante fera plus de victimes en France que le nuage de Tchernobyl n’en fera en Europe.
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N’y a-t-il pas matière à une thèse qui serait la suivante : le risque était connu (à partir d’une certaine date) et ACCEPTE par une société (pas seulement les méchants industriels et les politiciens corrompus, pusillanimes, etc.) qui avait encore une notion du rapport bénéfice-risque.
L’amiante a provoqué des cancers et notamment des mésothéliomes ? L’amiante a sauvé de nombreuses vies !
Cela n’empêche en rien la constatation qu’il y a eu des comportements irresponsables. La différence entrte savoir et agir (en conséquence).
Les affections professionnelles consécutives à l’inhalation de poussières d’amiante ont été inscrites aux tableaux des maladies professionnelles par un décret du 31 août 1950.
Dans le même ordre d’idées, la société acceptait que des mineurs de charbon mourait de silicose avant l’âge, d’où leur régime spécial de retraite avec un âge de départ avancé. On peut multiplier les exemples.
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Bonjour,
Peut-être ceci pourrait-il vous intéresser…
Cordialement
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Cet article m’a fait pensé à une lettre d’Isaac Asimov sur un sujet similaire :
https://chem.tufts.edu/answersinscience/relativityofwrong.htm
Pour résumer ce texte : il écrit que se tromper n’est pas quelque chose de binaire et qu’il y a des choses plus fausses que d’autres. Il prend notamment en exemple la forme de la terre et il propose que déclarer que la terre est ronde est faux, mais bien moins faux que de déclarer que la terre est plate.
La recherche est graduelle et les connaissances s’affinent au cours du temps au lieu de changer complètement. Même si on s’est « trompé » sur la forme exacte de la terre par le passé, ça ne veut pas dire que l’on va découvrir dans quelques années que la terre est en fait en forme de cube ou de donut.
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Si on va par là, on sait très bien que la science est dans l’erreur avec la physique quantique et la relativité générale… Ne pas être capable de décrire la vitesse de rotation des galaxies, l’expansion accélérée de l’univers ou la physique des trous noirs est un aveu de faiblesse enthousiaste des scientifiques. Se dire qu’on utilise des lois en partie erronées -utiles mais approximatives- et qu’on n’a pas encore tout découvert sur le fonctionnement de l’univers est en réalité un puissant moteur de la science.
Si un jour la science devient capable de décrire avec exactitude l’ensemble des phénomènes et qu’il n’y a plus rien qui puisse s’opposer à ses connaissances, on pourra alors la mettre sur un pied d’égalité avec toute autre pseudo-science ou religion, du moins en ce qui concerne l’impossibilité de la réfuter mais en attendant la science se trompe et c’est aussi pour ça qu’elle fonctionne.
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[…] démontage en règle de l’argument « La science s’est déjà trompée par le passé ! ». Traduction en français d’un article passionnant qui démonte cette attaque contre la […]
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