Qui ne partage pas ses résultats ? La transparence des essais cliniques en Europe

L’outil en ligne Trials Tracker a été développé dans le cadre de ces recherches et permet de vérifier facilement qui ne partage pas ses résultats d’essais cliniques en Europe.

Too Long ; Won’t Read…

– Une équipe de l’Université d’Oxford a récemment publié une étude sur la transparence des essais cliniques conduits dans l’UE.

– Les chercheurs montrent que les institutions académiques respectent peu la réglementation européenne concernant la déclaration des essais cliniques, contrairement aux compagnies pharmaceutiques.

– L’équipe a développé un outil en ligne permettant de vérifier régulièrement la mise en conformité de ces déclarations pour chaque sponsor.

 

Une étude publiée le 12 septembre 2018 dans le journal scientifique BMJ s’est intéressée au respect des règles européennes en matière de déclaration des résultats d’essais cliniques par les sponsors académiques et commerciaux de tels essais dans l’Union Européenne [1]. On retrouve à la tête de ces recherches le sceptique britannique Ben Goldacre de l’Université d’Oxford (et du blog Bad Science), dont nous avons récemment parlé des travaux ici sur la prescription d’homéopathie en Angleterre, ou encore ici pour son plaidoyer pour l’éducation basée sur les preuves.

Cette étude montre qu’une majorité d’essais cliniques n’est pas rapportée comme le requièrent depuis quelques années les règles de l’Union Européenne. Depuis 2016 en effet, tous les essais cliniques conduits dans l’Union doivent être déclarés et indiquer leurs résultats sur le registre des essais cliniques de l’Union Européenne (EUCTR, pour European Union Clinical Trials Register) dans les 12 mois suivant l’achèvement des essais.

Les résultats des essais cliniques sont très importants car ils sont à la base de l’information utile aux professionnels de soins, aux patients et aux décideurs politiques quant aux bénéfices et à la sécurité représentés par tels ou tels médicaments ou pratiques thérapeutiques.

Les chercheurs ont donc analysé la base de données de l’EUCTR afin d’en extraire les données concernant les essais cliniques et la déclaration de leurs résultats. Au total 31 821 entrées correspondant à autant d’essais cliniques furent répertoriées. Ces entrées correspondaient à tous les essais cliniques dont les résultats étaient exigés selon des guidelines établies par l’UE en 2012, jusqu’au 19 décembre 2016, afin de laisser effectivement 12 mois de battement entre cette date et la collecte des données le 17 janvier 2018. Une quinzaine supplémentaire était laissée aux 12 mois réglementaires en conformité avec le temps généralement nécessaire à l’Agence Médicale Européenne pour ajouter les résultats déclarés à la base de données. Les critères de sélection dans cette population générale (constituée d’essais cliniques) comprenaient toutes les entrées dont les essais étaient marqués comme terminés (avant le 19 décembre 2016 donc), à l’exception de ceux pour lesquels la date précise de fin d’essais n’était pas indiquée ou douteuse, ainsi que certains types d’essais particuliers qui n’étaient pas recouverts par les mêmes règles de déclaration. Ainsi, 3 essais furent exclus car leur date de fin était incohérente (par exemple 2041) ; 20 287 furent exclus car leur statut n’était pas correctement complété (il n’était pas possible de savoir s’ils étaient encore en cours ou terminés) ; 3392 essais supplémentaires furent exclus car s’ils étaient toutefois bien terminés, aucune date de fin précise n’avait été indiquée (et il n’était donc pas possible de savoir s’ils avaient enfreint les délais ou non) ; 540 furent exclus car leur date de fin était indiquée mais ils n’avaient pas encore dépassé les 12 mois réglementaires pour la déclaration de leurs résultats ; enfin 325 essais particuliers (pour lesquels les mêmes règles ne s’appliquent pas) furent également exclus.

Sélection des données dans le registre européen des essais cliniques. Après exclusion des entrées inexploitables, seule la partie bleue est prise en compte pour cette étude.

Ainsi, sur 7274 essais cliniques passés en revue, 49,5% d’entre eux ne s’étaient pas pliés à ces réglementations communautaires. Le bât blesse particulièrement les essais conduits par des sponsors académiques (càd des universités ou instituts publics), puisque parmi ceux-ci, seulement 11% se plient aux règles de déclaration des résultats obtenus contre 68,1% des essais conduits par des sponsors commerciaux (càd des compagnies pharmaceutiques).

Le meilleur élève académique en la matière se trouve être l’université écossaise de Dundee avec l’enregistrement de 82% de ses essais déclarés dans la base de données européenne. En revanche, 32 universités parmi les plus importantes de l’Union ont échoué à enregistrer le moindre de leurs résultats. On trouve parmi celles-ci la Charité-Universitätsmedizin de Berlin, l’Institut Karolinska de Suède, l’Université belge de Ghent, l’Université de Heidelberg, l’Université de Cologne, l’Université de Erlangen-Nuremberg, le NHS Foundation Trust de l’Université de Manchester, l’Hôpital universitaire de Leciester NHS Trust, l’Universtité d’Uppsala, l’Université libre de Bruxelles, l’Université d’Oslo ou encore les Hôpitaux de Paris et les Hospices Civils de Lyon. Un certain nombre d’institutions académiques supplémentaires affichent des scores particulièrement faibles, comme l’Université Médicale de Vienne (5% de déclaration), l’Université et Hôpitaux de Copenhague (8,3%), ou encore l’Université Ludwig-Maximilians de Munich (7,1%). L’université d’Oxford, à laquelle appartiennent les auteurs de cette étude, se place plutôt parmi les bons élèves, avec 80,8% de déclaration. En revanche, les sponsors commerciaux tendent effectivement à afficher de hauts scores de déclaration, c’est à dire, à mieux satisfaire les exigences réglementaires européennes. On peut ainsi citer Novartis (94,7%), GSK (92,1%), Pfizer (96%), Merck (89,4%), Roche (87,1%), ou encore Sanofi (99,1%).

Autre problème en dehors du faible suivi des règles européennes en matière de déclaration des résultats, un grand nombre d’informations portées au registre sont tout simplement incohérentes. Il peut par exemple assez souvent s’agir de statuts ne correspondant pas entre eux lorsque des essais sont conduits dans plusieurs pays en même temps, si bien qu’il soit possible de douter quant à la bonne conduite et à l’achèvement de toutes les sous-parties de tels essais. Globalement, 29,4% des essais enregistrés comme étant terminés ne comportaient cependant pas de date de fin, et il était donc impossible d’évaluer leur conformité aux règles de déclaration des résultats.

Lors du processus de revue par les pairs de cet article, il a été suggéré qu’une partie non négligeable des résultats de ces essais pourrait en fait avoir été publiée dans la littérature scientifique, communiquée à des colloques ou intégrée à la littérature grise, ce qui tendrait à surévaluer la part des recherches pour lesquelles aucun résultat n’est réellement connu. Les auteurs ont donc manuellement recherché les résultats de 100 essais cliniques extraits au hasard parmi ceux n’ayant indiqué aucun résultat au registre européen dans les 12 mois attendus. Parmi ceux-ci, 46 furent retrouvés dans des journaux scientifiques et 5 dans la littérature grise. Si cela permet bien de revoir à la hausse la proportion d’essais cliniques pour lesquels des résultats sont effectivement connus, cela fait également apparaître l’efficacité très supérieure d’un système de référencement régulièrement mis à jour et permettant facilement d’y faire des recherches systématiques et automatiques en extrayant massivement les données qu’il contient, de même que de surveiller de manière fine l’évolution des données qui y sont déposées. De surcroît, les essais faisant l’objet de communications scientifiques n’en satisfont pas pour autant les règles de transparence exigées par l’Union Européenne.

En somme, les auteurs ont montré que les sponsors académiques (et ceux qui conduisent peu d’essais cliniques), tendent fortement à ne pas observer les nouvelles règles de transparence de l’Union Européenne. A contrario, ce respect est très élevé voire parfait chez les sponsors commerciaux. Les scientifiques font l’hypothèse que les premiers pourraient ne pas être suffisamment au courant de ces obligations, et que les chaînes de responsabilités à ce propos pourraient être plus floues dans le milieux académique. Effectivement, pour ce qui est des sponsors commerciaux, le responsable administratif des essais alors conduits est légalement responsable de la déclaration des résultats, ce qui conduit probablement à une certaine application dans le respect des règles de transparence. Si ces résultats semblent décevants en ce qui concerne les sponsors académiques, ils n’indiquent en rien qu’il soit impossible d’améliorer la situation. Les hauts scores obtenus par les sponsors commerciaux montrent au contraire la possibilité de contrôler efficacement les résultats obtenus, dans ce cas là par l’industrie pharmaceutique. Au titre des améliorations nécessaires rendues visibles par cette étude se trouve également la mauvaise qualité d’une part importante des informations enregistrées sur un tel registre, ce qui devrait faire l’objet de prochaines recherches.

Ces efforts de promotion et d’évaluation de la transparence des essais cliniques est assez nouvelle, et n’a hélas pas encore obtenu de résultats éclatants. En effet, la législation états-unienne de 2007 s’étant emparée du même problème n’a jusqu’ici connu qu’un succès très modéré, les consignes de déclaration des résultats d’essais cliniques étant encore largement ignorées (ces règles sont néanmoins différentes de celles de l’UE). Il est notable de constater qu’une part importante des institutions impliquées en Europe semblent également peu enclines à améliorer cette situation. Plus qu’une tentative à courte vue de Name & Shame, les auteurs espèrent par ces travaux inciter les mauvais élèves à identifier leurs propres manque de transparence, à les corriger, et à les évaluer de nouveau grâce aux outils développés dans le cadre de ces recherches.

Pour Ben Goldacre, leader de cette étude et directeur du DataLab de l’université d’Oxford : « Nous ne pouvons pas faire des choix éclairés à propos des meilleurs traitements à utiliser en tant que médecins ou patients, si tous ces résultats ne sont pas rapportés. […] Nous espérons que nos données aideront les sponsors [d’essais cliniques] à mettre un peu d’ordre chez eux », (cité par Times Higher Education).

Sur l’outil en ligne Trials Tracker, régulièrement mis à jour, il est possible de consulter facilement les déclarations de résultats des sponsors européens d’essais cliniques. Ici, les informations concernant les laboratoires Roche.

Car en effet, l’accent est bien mis sur la transparence et son évaluation permanente, comme a l’habitude de le faire cette équipe. Ces recherches se sont de fait accompagnées de la création d’un outil en ligne permettant de contrôler facilement les déclarations de résultats des essais cliniques conduits dans l’Union Européenne et extraites de l’EUCTR. Cet outil est régulièrement mis à jour, ce qui permet de visualiser l’évolution de la mise en conformité des sponsors de tels essais vis à vis des règles communautaires [2].

On ne peut qu’espérer pour l’avenir que de tels outils participent non seulement à identifier de tels problèmes de transparence, mais également incitent à leur résolution.

Bibliographie

[1] Goldacre B. et al., Compliance with requirement to report results on the EU Clinical Trials Register: cohort study and web ressource, BMJ, 2018.

[2] Powell-Smith A. & Goldacre B., The TrialsTracker: Automated ongoing monitoring of failure to share clinical trial results by all major companies and research institutions, F1000Research, 2016.

Un commentaire sur “Qui ne partage pas ses résultats ? La transparence des essais cliniques en Europe

  1. Très intéressant, et cela viens contredire la légende populaire des labos sponso par des entreprises qui ne publie pas au contrario du milieu des « études independantes/ universitaire » qui serait moins biaisées . C’est donc un élément assez rassurant sur la méthode de création du consensus. Il serait souhaitable d’avoir un meilleur taux chez les universitaires tout de même.

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