Porter un masque est-il efficace contre le coronavirus ?

Depuis janvier 2020, nous sommes passés à travers une multitude de rebondissements et tergiversations publiques et médiatiques en rapport à l’évaluation du danger pandémique, de la veille d’éventuelles nouvelles vagues, et des meilleurs moyens de les prévenir. Parmi ces controverses, on peut citer la question du port du masque, et du type de masque porté, afin de réduire la transmission de la maladie au sein de la population.

Plusieurs phénomènes concourent certainement à expliquer l’émergence et la persistance de telles controverses publiques. Parmi ceux-ci, on peut pointer le manque de cohérence des différents gouvernements à ce sujet. Un article récent de la revue Nature souligne ainsi l’opinion changeante et les signaux contraires envoyés par le président des USA, en rappelant l’un des derniers épisodes en date, à savoir sa propre infection par le virus tout en ayant, quelques jours auparavant, moqué son opposant à la présidentielle au motif que celui-ci porte un masque en toutes circonstances [1]. La communication du gouvernement français, en particulier par la voix de son ancienne porte-parole, n’a hélas pas plus brillé sur ce sujet.

Mais la confusion peut également s’expliquer en partie par la précarité des données disponibles au début de la pandémie concernant l’efficacité réelle du port du masque généralisé à toute la population, et ce, en dépit d’un raisonnement intuitif incitant à penser que oui, les masques sont utiles. Le même article de Nature rapporte ainsi qu’en avril, une étude montrait l’inefficacité du port du masque, avant d’être rétractée en juillet [2]. En juin, une étude montrait au contraire l’utilité du port du masque, mais est passée au bord de la rétractation sous le feu des vives critiques concernant sa méthodologie [3]. Dans ce contexte, l’OMS comme d’autres agences de santé, a de fait tardé à émettre des recommandations fermes en la matière, notamment par peur de provoquer soudainement l’assèchement des stocks et la pénurie là où ces masques étaient les plus importants, à savoir dans les hôpitaux [1]

Quelles sont dès lors, à l’heure actuelle, les données concernant l’efficacité du port du masque dans la prévention de la contagion ? Y-a-t-il des différences entre les divers types de masques utilisés, notamment ceux achetés en pharmacie, et ceux que nous confectionnons nous-mêmes ? Les masques ont-ils éventuellement d’autres effets bénéfiques ?

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Combattre la #FakeScience dans les médias

« Ces faits durs et froids sont vraiment impressionnants. Mais on se demandait si vous ne pourriez pas mettre du bullshit réconfortant à la place ? »

« Quel rôle devraient jouer les scientifiques dans la critique de la pseudoscience, fake science et mauvaise science présentée dans les médias populaires ? »

C’est la question que se sont posés A. D. Thaler et D. Shiffman dans un article publié en 2015 dans la revue scientifique Ocean & Coastal Management. [1]

Faisant le constat d’une libéralisation de l’accès à l’information avec l’avènement des réseaux sociaux, les auteurs de cet article se sont effectivement demandés comment les scientifiques professionnels pouvaient, ainsi débarrassés des Lire la suite

Glyphosate : comment en est-on arrivé là ?


Je fais dans ce billet une traduction synthétique de l’article publié dans la revue open access Journal of Public Health and Emergency (JPHE) en octobre 2017.

J’y ajoute certaines observations marginales. Il s’agit d’un éditorial dont la compréhension est aisée et les notions claires. Je vous invite ainsi à le lire directement en anglais. Dans leur déclaration de conflits d’intérêt, les auteurs affirment n’avoir reçu aucun financement pour la rédaction de cet édito, mais précisent avoir travaillé par le passé sur le glyphosate dans des recherches financées par l’industrie. [1] Ceci étant dit, ils concentrent dans cet article un certain nombre d’éléments absolument fondamentaux pour toute personne estimant avoir une opinion sur le sujet : corpus de données utilisé dans l’évaluation de la substance, principe actif vs. formulations, danger vs. risque, etc.. Ces rappels sont fondamentaux et simples de compréhension, mais force est de constater qu’ils ne semblent pourtant pas dominer le « débat » public. On peut facilement imaginer que si c’était le cas, ce « débat » n’existerait pas, ou du moins, pas dans ces proportions et formes là.

Médias, dénis et réalité

L’accès à l’information est de plus en plus aisé. Les médias sont nombreux, et à ceux d’entre eux qu’on pourrait qualifier de « traditionnels » (presse écrite, radio, télévision) se sont ajoutés les médias en ligne et la diffusion d’informations via les réseaux sociaux. Ce contact avec l’information, indépendamment de sa pertinence ou de sa véracité, permet une bien meilleure appropriation par le public de problématiques relatives à sa santé, ou à l’environnement. Hélas, l’information accrocheuse, sensationnaliste, basée sur l’émotion ou le raisonnement motivé, se trouvent Lire la suite

La guerre des vaccins : entre peurs et persuasion.

Couverture du journal Science, avril 2017.

[Niveau : facile] (~2200 mots / ~12 mins) Les vaccins sauvent des vies, mais quelle est la meilleure façon de le communiquer aux parents inquiets pour leurs enfants ?

Le volume d’avril 2017 de la revue scientifique américaine Science comporte un dossier sur les vaccins, non pas sous l’angle de l’infectiologie, mais sous celui du scepticisme, à savoir à l’aune de l’antivaccinisme [1]. On y lit d’ailleurs abondement Paul Offit, sceptique bien connu. Les différents articles de ce dossier sont accessibles librement, mais sont bien entendus rédigés en anglais. Ces articles reviennent notamment sur la quantification de l’effet clairement bénéfique de l’introduction vaccinale illustrée par le cas états-unien [2] ; sur quelques mythes antivaccinaux parmi les plus répandus au premier chef desquels ceux portant sur le ROR depuis 1998 et la fraude Wakefield [3] ; sur les risques réels et fantaisistes de la vaccination (massivement favorables à la vaccination) [4] ; et sur la manière de communiquer des informations scientifiquement fondées (aka non anxiogènes) sur la vaccination comme sur d’autres sujets de déni scientifique (changement climatique, OGM, darwinisme…) [5].

C’est sur cette dernière partie, par Kai Kupferschmidt, que nous allons revenir ici en la synthétisant pour le public non anglophone et en y ajoutant quelques informations marginales. Lire la suite

Pensée conspirationniste et déni de science (climatique) [Difficulté : facile] (2400 mots / ~15 mins)

Maillage tridimensionnel d'un modèle climatique. Les couleurs représentent la température et les flèches le vent. © Vincent Landrin, d'après Laurent Fairhead/LMD/CNRS.
Maillage tridimensionnel d’un modèle climatique. Les couleurs représentent la température et les flèches le vent. © Vincent Landrin, d’après Laurent Fairhead/LMD/CNRS.

Le 19 septembre 2016 a été publié dans la revue d’épistémologie et philosophie des sciences Synthese, un article [1] portant sur la teneur conspirationniste des dénis de science, comme l’anti-vaccinisme ou le climato-scepticisme. Bien qu’applicable globalement à toutes ces formes de déni, cet article porte plus spécifiquement sur le climato-scepticisme, qui est, rappelons-le, le déni du consensus scientifique sur l’existence du changement climatique, et/ou de son origine anthropique, et/ou des risques globaux qui y sont associés.

Ce billet présente une courte synthèse commentée de cet article.

Ce billet a par ailleurs été réalisé à l’occasion de la sortie du film La Terre, le climat… et Homo sapiens, de la chaîne youtube La Tronche en Biais pour la fête de la science 2016 :

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[Synth] Sur la viabilité des croyances conspirationnistes [difficulté : facile] (2000 mots / ~12 mins)

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[EDIT  01/02/2016 : quelques jours sont passés depuis cette publication, et des critiques ont pu émerger sur une faiblesse méthodologique de cet article de D. R. Grimes. Vous pouvez lire le court billet de Nicolas Gauvrit à ce propos ici. La critique est hautement pertinente, et je vous invite à vous souvenir avant d’aller plus loin de ne pas faire dire à cette synthèse -non critique- ce qu’elle ne dirait pas. A mon sens, l’erreur méthodologique pointée par N. Gauvrit est contenue dans les limitations évoquées par Grimes, qui rendent de toute façon toute interprétation trop enthousiaste sujette à caution. Je vous suggère néanmoins de lire cet article, au moins pour sa revue bibliographique sur le sujet, sinon pour les bases qu’il jette d’un moyen d’estimer à la louche la plausibilité d’un complot à grande échelle.]

Le 26 janvier 2016 a été publié dans le journal open access et peer-reviewed PLOS ONE un article intitulé « On the Viability of Conspiratorial Beliefs » par David Robert Grimes. Ce billet en est une synthèse.

Introduction

Les croyances conspirationnistes qui attribuent des événements à des manipulations secrètes d’individus puissants sont largement répandues dans la société. La croyance en une théorie du complot particulière est souvent corrélée avec l’adhésion à d’autres de ces théories dont certains aspects sont très ubiquistes chez différents groupes sociaux. Lire la suite

L’opposition aux OGM du point de vue des sciences cognitives

Cette semaine, l’UE a autorisé l’importation et la commercialisation de produits génétiquement modifiés. Branle-bas de combat chez les opposants.

Il ne s’agira pas dans ce billet de parler des aspects politico-économiques de cette affaire ; une distinction que la majorité bruyante des opposants aux biotechnologies s’échine justement à ne pas faire. Il ne s’agira pas non plus d’aborder les aspects techniques et factuels des biotechnologies ; un domaine que la majorité bruyante des opposants s’échine à ne pas aborder avec rigueur. Il ne s’agira pas non plus de faire œuvre de «  shill », même si, comme il est devenu systématique, j’ai de bonnes raisons de penser que l’accusation me tombera dessus aussi brutalement et gratuitement que le couperet sur la nuque délicate de Marie Antoinette. A propos de cette réelle position sceptique scientifique, je renvoie le lecteur écouter Marc Robinson-Rechavi chez Podcast Science.

Non, en réalité, l’actualité me pousse à revenir sur un article à paraitre en avril dans Trends in Plant Science. Les auteurs, venant des départements de Philosophie et Sciences Morales et de Biotechnologies végétales de l’université de Gand en Belgique, s’interrogent sur les ressorts cognitifs de l’opposition persistante aux OGM dans le grand public.

Les auteurs mettent en lumière quatre points :

  • Le grand public a tendance à se reposer sur un raisonnement intuitif pour porter un jugement sur les OGM
  • Ce raisonnement intuitif inclut une vision naïve de la biologie, téléologique, et basée sur les émotions
  • Les activistes anti-OGM exploitent avec succès ces intuitions pour promouvoir leur cause
  • Les jugements intuitifs écartent le grand public des solutions durables

En effet, l’opposition aux OGM est extrêmement forte, particulièrement en France où toute une niche politique très bien représentée s’est construite sur cette opposition. Mais le lecteur francophone devrait savoir que cette situation peut varier selon les pays. Pourtant, l’opposition aux OGM reste fortement active, et ce dans des environnements culturels extrêmement distants. Ainsi, le gouvernement indien a interdit la culture du Brinjal Bt sous la pression de l’opposition après avoir autorisé sa commercialisation. En Europe, un véritable moratoire s’est abattu sur les biotechnologies conduisant à des standards de régulation extrêmement stricts et couteux concernant l’importation et la culture de produits OGM. En Afrique et en Asie, les conséquences de l’opposition sont pour le moins tragiques et mortifères.

Paradoxalement, le consensus scientifique sur la question, encore une fois, du point de vue strictement technique et factuel, est pour le moins clair. Il a ainsi été proposé que les croyances post-chrétiennes et les nouvelles conceptions romantiques de la nature (ce que j’appellerai les religions New-Age, mais les auteurs n’emploient pas le terme), sont à l’origine de cette rupture. On a aussi pointé le manque de bénéfices immédiats pour le consommateur occidental. Si ces pistes semblent correctes, elles n’expliquent pas encore comment la même opposition semble se produire également dans des cultures non post-chrétiennes et pourquoi le grand public ne rejette pas également toute technologie ne lui apportant pas un bénéfice immédiat, ou encore pourquoi le public préfère-t-il simplement ses conceptions romantiques à la réalité.

Cette rupture patente entre l’opinion publique et le monde scientifique requiert nécessairement une explication, et les auteurs pointent ici du doigt la nature intuitive du raisonnement humain à l’origine de telles méconnaissances des technologies produisant les OGM. Ils soulignent l’implication des raisonnements intuitifs particulièrement forts dans la popularité et la persistance de l’opposition aux OGM. opinions negatives OGM Bien que l’on puisse avoir l’impression d’être totalement maître de ses propres décisions, et que celles-ci sont systématiquement soumises à l’analyse consciente de la situation, la plupart sont en réalité décidées de manière tout à fait intuitive. Ces raisonnements intuitifs, parfaitement normaux et fruits de notre évolution, conduisent à une évaluation directe des risques et des bénéfices auxquels nous sommes apparemment confrontés. Dans le monde auquel le développement de nos sens répond, ces jugements intuitifs conduisent globalement à une bonne évaluation des risques et à notre survie individuelle. Traverser ce torrent furieux à la nage, d’après ce que mes sens me permettent d’appréhender, c’est-à-dire la vision des flots déchainés, le bruit assourdissant des remous, et tout un tas d’autres signaux connexes, me semble une entreprise pour le moins dangereuse. Intuitivement, le bénéfice d’atteindre l’autre rive plus rapidement qu’en faisant un détour de plusieurs kilomètres me semble assez contrebalancé par le risque d’un décès aussi prématuré que désagréable.

Mais la science est souvent contre intuitive. Dans l’observation de l’univers, nos sens se trouvent totalement perdus par l’appréhension de la nature telle que notre espèce n’a pas évolué pour s’y orienter. Notre cerveau ne sait pas appréhender intuitivement l’infiniment grand ou l’infiniment petit. Contrairement au torrent, ce ne sont pas des milieux auxquels nos sens sont adaptés. Fort heureusement, nous disposons d’un deuxième type de raisonnement, réflexif, et qui nous permet de mesurer le poids de différents jeux d’informations de manière consciente. Face à des observations naturellement contre intuitives pour nous, c’est ce type de raisonnement qu’utilisent les scientifiques pour comprendre l’univers de la façon la plus objective possible.

Ainsi, beaucoup de gens ont intuitivement peur des araignées, et très peu ont peur des voitures. Mais objectivement, les voitures sont beaucoup plus dangereuses et mortifères que les araignées. Pour apprécier cela, il faut analyser objectivement des jeux de données qui ne relèvent pas de l’intuition.

La première cause de la popularité et de la persistance de l’opposition aux OGM est bien là : l’activisme en appelle à l’intuition. Ce raisonnement est évidemment séduisant, car il correspond à l’approche la plus directe, simple et compréhensible de l’univers pour l’esprit humain.

La biologie naïve ou populaire est un autre ressort de ce succès. L’esprit humain dispose d’une compréhension intuitive du fonctionnement de la nature. L’un des aspects de cette biologie naïve est l’essentialisme psychologique tendant à la croyance en un cœur invisible et immuable déterminant l’identité des organismes, leur développement et leur comportement. Encore une fois, cela est totalement naturel et fait sens évolutivement. En effet, cette tendance à essentialiser d’autres organismes permet d’appréhender le monde biologique de manière directe et compréhensible. Cette compréhension est encore une fois l’agent de réponses adaptées à un environnement dangereux et à permis aux hommes dans le passé de comprendre intuitivement qu’il valait mieux ne pas croiser la route d’un tigre à dents de sabre. Reconnaître l’essence de ce qui fait un tel prédateur leur a permis d’éviter de se faire manger. Un tel raisonnement présente donc un avantage certain.

Encore une fois, le raisonnement scientifique se trouve être totalement contre intuitif, et ne correspond pas à cet essentialisme populaire. Il est notable de relever ainsi que lors d’une enquête aux USA, plus de la moitié des personnes interrogées ne rejetaient pas l’idée qu’un gène de poisson introduit dans une tomate GM donnerait irrémédiablement le gout de poisson à cette tomate. Dans ce raisonnement essentialiste, l’ADN de poisson, essence de ce qui fait le poisson, doit avoir le gout de poisson. Dans leurs campagnes de communication, les activistes anti-OGM se reposent systématiquement sur cet appel à l’essentialisme à grand renfort de montages photos montrant par exemple des hybrides de tomates et de poissons.

Les auteurs soulignent également la compréhension téléologique de l’univers dans le grand public. Il s’agit de la croyance communément partagée par les religions et les nouvelles conceptions quasiment religieuses de la nature ces dernières années, que l’univers a été créé dans une fin précise. Cette conception de la nature, bien que totalement démystifiée par la biologie évolutive, continue néanmoins d’irriguer nos contemporains qui pensent que les organismes ont été créés tels quels, et que toute modification représente donc une atteinte à un ordre voulu. En ce sens, les OGM sont vus comme n’étant « pas naturels ». Ainsi, qu’ils soient religieux ou sécularisés, les opposants aux OGM accusent souvent les scientifiques de vouloir « jouer à Dieu » ou d’agir « contre la nature ». Ils sont souvent décrits comme des docteurs Frankenstein dont les expériences vont s’échapper et amener l’apocalypse sur Terre.

Un autre trait de l’esprit humain interférant grandement avec l’évaluation objective des risques est l’émotion. Le dégout est ici particulièrement important, car l’opposition semble totalement ignorer les OGM non alimentaires. Ce dégout est probablement le fruit d’une réponse adaptative à l’évitement des pathogènes et poisons alimentaires. Dans le cas des aliments OGM, le dégout provient probablement du sentiment que la modification de l’ADN produit une atteinte à l’essence de l’organisme, le rendant impure et par conséquent impropre à la consommation. L’effet est probablement accru lorsque le gène introduit provient d’une espèce différente ou d’une espèce sous le coup d’un tabou alimentaire culturel. Ainsi, les campagnes anti-OGM présentent des fruits percés de seringues, ou arborant des couleurs inhabituelles, ou prétendent encore que les cultures Bt sont des poisons en passe de contaminer l’environnement. On notera que la bactérie dont provient le gène Bt des cultures OGM est très utilisée et plébiscitée en agriculture biologique, par les mêmes arguant que c’est un poison dans les OGM.

Le glissement vers la condamnation des producteurs et promoteurs des cultures OGM comme étant immoraux voire criminels est devenu central dans l’argumentaire anti-OGM. Il repose sur le dégout moral pour les multinationales accablant les fermiers, les poussant souvent à l’endettement et au suicide.

L’esprit humain n’est pas prédéterminé à croire que les OGM sont des poisons. Cependant, une fois que ces représentations négatives deviennent disponibles et largement diffusées à travers d’intenses campagnes de désinformation par des groupes activistes, ou à cause d’un manque d’opposition scientifiquement informée face à cela, l’esprit humain se trouvera nécessairement hautement réceptif à ces argumentaires séduisant sa façon intuitive de penser, fruit d’un long et efficace processus évolutif.

Il est notable de souligner en vertu des capacités de raisonnement propres à l’esprit humain expliquées supra, que le grand public véritablement inquiet des conséquences sanitaires et environnementales des OGM, peut paradoxalement adopter des stratégies intuitives à l’effet diamétralement opposé à celui recherché en interdisant tout à la fois des technologies promettant des développements agricoles durables et des applications médicales prometteuses.

[Synth] Sur la reprise et la diffusion au premier degré de trolls pourtant évidents

 

 

J’ai récemment fait la synthèse d’un article de février 2015 paru dans Plos One à propos de la diffusion et de l’enracinement des informations sur internet en fonction de leurs sources conspirationnistes ou scientifiques. En ce jour saint de la bonne blague, du bon gros troll gros comme un camion à tel point qu’il sera encore plus goulument repris au premier degré par des sites de désinformations sans le moindre soucis de vérification de l’information et de scepticisme, je pense salutaire de revenir sur un article un peu plus ancien, mais également instructif sur ce phénomène. Au risque de faire doublon, cet article pose les jalons confirmés par celui de Plos One à propos de la diffusion des trolls. A garder dans un coin de sa bibliographie sur la diffusion des informations conspis donc.

Dans cet article publié dans Journal of Trust Management en décembre 2014, les auteurs présentent une analyse quantitative des schémas de consommation de l’information en fonction de sa qualité par les utilisateurs de Facebook. Les pages ont été catégorisées selon leur sujet et les communautés d’intérêt auxquelles elles se rapportent : a) des sources d’informations alternatives (diffusant des sujets supposément négligés par la science et les médias mainstream ; b) de l’activisme politique en ligne ; c) des médias mainstream. Les auteurs ont mis en évidence des schémas de consommation similaires en dépit de la nature très différente des contenus. Ils ont alors classé les utilisateurs en fonction de leurs schémas d’interactions sur différents sujets et ont mesuré la façon dont ils répondaient face à la diffusion de 2788 fausses informations (imitations parodiques ou histoires alternatives).

Le fonctionnement des systèmes socio-techniques, comme tout système socio-cognitif, nécessite l’interaction des individus dans le but d’accroître leur degré d’information et d’abaisser celui de leur incertitude. Lorsqu’il s’agit en particulier de sélectionner l’information, l’efficacité de tels systèmes repose sur la précision et la complétude de l’information proposée. Dans le but d’avoir une information complète, les individus ont besoin de perspectives où les différents points de vue sont présentés aussi objectivement et rigoureusement que possible. Cependant, la multiplication sans précédant des médias sociaux a permis la diffusion active et massive d’informations alternatives. Il s’agit dès lors de mesurer le rôle de ces informations disponibles sur l’opinion publique.

Le World Economic Forum dans son rapport de 2013 a listé la désinformation numérique massive comme l’un des principaux risques pour la société moderne. La perception du public, la connaissance, les croyances et les opinions sur le monde et son évolution sont formées et modulées à travers le prisme des informations auxquelles ce public a accès, la plupart venant de la presse écrite, de la télé, et plus récemment d’Internet. L’internet a changé la façon dont nous pouvons mesurer la croissance et la formation des idées, en particulier sur les réseaux sociaux et leur contenu créé par les utilisateurs. Ceux-ci facilitent l’étude de l’émergence, de la production et de la consommation de l’information.

En dépit des formules enthousiastes à propos de la façon dont les nouvelles technologies auraient accru l’intérêt du public pour les débats politiques et sociaux d’importance, le rôle des systèmes socio-techniques dans le renforcement de l’information est toujours incertain. En effet, l’émergence de connaissance via ce processus a été surnommée l’intelligence collective, voire même la sagesse des peuples.

Dans cet article, les auteurs montrent un exemple de la façon dont de fausses informations sont particulièrement persistantes sur les médias sociaux et favorisent une sorte de crédulité collective. Les auteurs ont procédé à l’analyse quantitative des schémas de consommation de l’information de qualité différente sur Facebook avec un corpus de 50 pages sur lesquelles ont interagi 2,3 millions d’utilisateurs. Dans le but d’étudier les schémas d’attention et de consommation des différents contenus ils ont divisé les pages en catégories selon le genre d’informations véhiculées.

Les résultats proposés par les auteurs montrent que les utilisateurs avec une forte préférence pour les sources d’informations alternatives, probablement motivés par la volonté d’éviter les manipulations des médias mainstream contrôlés par les gouvernements, sont plus sensibles aux fausses informations. Ces résultats suggèrent que les utilisateurs à l’approche la moins systématique dans l’évaluation des preuves (la plus heuristique) sont plus enclins aux informations confortant leurs croyances préalables même lorsqu’il s’agit de parodies évidentes.

Figure 1 Figure 1 Les utilisateurs les plus enclins à réagir à de fausses allégations intentionnellement diffusées (des trolls) sont les consommateurs habituels de sources d’informations alternatives.

La libre circulation des contenus promeut le regain d’attention des utilisateurs pour des problèmes importants comme la crise financière ou les débats politiques. Cependant, les auteurs montrent dans ce travail que les rumeurs infondées sont persistantes sur les médias sociaux et qu’elles peuvent influencer la construction et la révision des croyances des utilisateurs. Les informations basées sur les théories du complot sont capables de créer un climat de désengagement vis-à-vis de la société mainstream et des pratiques officiellement recommandées concernant entre autres les soins et l’alimentation. La pensée conspirationniste expose le public à des hypothèses infondées et difficiles à vérifier en produisant des explications alternatives à la réalité. Les conspirationnistes sont notamment prompts à expliquer d’importants problèmes politiques et sociaux par le complot orchestré par des individus ou des organisations puissantes.

[Synth] « Science vs. Conspiration : contes collectifs à l’époque de la désinformation »

Les auteurs d’une étude italienne publiée dans Plos One en février 2015 ont étudié la façon dont les informations, selon qu’elles viennent de médias conspirationnistes ou de médias scientifiques mainstream, se diffusaient, s’implantaient, et formaient des communautés sur Facebook. Ils se sont pour cela reposés sur un échantillon de 1,2 millions d’individus.

L’avènement du web a fondamentalement changé la dynamique de l’information. Dans ce cadre récent, la pertinence des faits se fond avec des informations déformées voire totalement fausses conduisant ainsi à la création d’un mix d’informations totalement nouvelles.

Comme il a déjà été souligné, les individus peuvent ne pas être informés ou être désinformés, et les corrections apportées lors de la diffusion et l’émergence de croyances erronées ne sont pas efficaces. On a vu par exemple que les campagnes de debunking en ligne avaient plutôt tendance à créer un effet contraire à celui qui était recherché en renforçant les croyances des tenants de théories conspirationnistes.

Dans cet article, une équipe de chercheurs italiens a classé les schémas de traitement de l’information des internautes selon que celle-ci vienne de médias scientifiques mainstream ou de médias conspirationnistes. Les médias scientifiques diffusent des informations de même nature et les sources en sont faciles d’accès. Les médias conspirationnistes aspirent à diffuser les informations négligées et manipulées par les premiers. Plus précisément, les thèses conspirationnistes tendent à réduire la complexité de la réalité en expliquant certains aspects sociaux ou politiques comme des complots conçus par des individus ou des organisations puissantes. Puisque ce genre de positions peut parfois impliquer le rejet de la science, des explications alternatives sont invoquées pour remplacer les preuves scientifiques. Par exemple, les personnes rejetant le lien entre VIH et SIDA croient généralement que ce dernier a été créé par le gouvernement des Etats-Unis afin de contrôler la population afro-américaine.

La diffusion de la désinformation dans un tel contexte peut être particulièrement difficile à détecter pour l’utilisateur à cause de la tendance naturelle des gens à adhérer à des informations en accord avec leur propre système de croyances.

L’augmentation des connaissances doublée d’un monde interconnecté et soutenue par l’accélération sans précédent des progrès scientifiques à exposé la société à un degré croissant de complexité des phénomènes observés. En effet, un glissement du paradigme dans la production et l’utilisation des contenus s’est opéré, accroissant considérablement les volumes aussi bien que l’hétérogénéité des informations accessibles aux utilisateurs. N’importe qui sur le web peut produire, suivre et diffuser activement des contenus et participer de ce fait à la création, à la diffusion et au renforcement de différents contes collectifs. Une telle hétérogénéité de l’information a conduit à l’agrégation des gens autour d’intérêts, de visions du monde et contes communs.

Les contes basés sur les théories du complot tendent à réduire la complexité de la réalité et contiennent intrinsèquement l’incertitude qu’elles génèrent de surcroit. Ils sont capables de créer un climat de désengagement vis-à-vis des médias mainstream et des pratiques officiellement recommandées comme la vaccination, le régime alimentaires, etc.. En dépit de l’enthousiasme général à propos l’intelligence collective, le rôle des réseaux sociaux dans le renforcement de l’information dans les débats et leurs effets sur l’opinion publique reste peu clair. Cependant, le World Economic Forum à listé la désinformation numérique massive comme l’un des risques majeurs des sociétés modernes.

Une multitude de mécanismes anime le flot et l’acceptation de fausses rumeurs qui à leur tour créent de fausses croyances rarement corrigées une fois adoptées par un individu. Le processus d’acceptation d’une allégation (qu’elle soit documentée ou non) pourrait être altéré par l’influence des normes sociales ou par la cohérence avec le système de croyance de l’individu. Une littérature importante s’intéresse aux dynamiques sociales et aux réseaux sociaux dans la contagion et le renforcement de ces croyances. Il a été montré récemment que des rumeurs infondées sur le web, comme le lien vaccins / autisme, le réchauffement climatique induit par les chemtrails, ou les informations secrètes des gouvernements sur les aliens, et les informations mainstream comme les nouvelles scientifiques, sont diffusées d’une façon complètement différente.

L’omniprésence de contenus non fiables pourrait conduire à un mélange d’histoires infondées avec leurs versions satiriques (par exemple la présence de citrate de sildénafil, le principe actif du viagra, dans les chemtrails, ou encore les effets anti hypnotiques du citron, plus de 45 000 partages sur Facebook). Il y a en fait des groupes très distincts, constitués de trolls, fabriquant des pages Facebook satiriques et caricaturant les médias conspirationnistes. Leurs activités peuvent aller des commentaires controversés aux satires et aux memes conspirationnistes, à la fabrication de citations purement fictives et hautement irréalistes ou sarcastiques. Assez souvent, ces memes deviennent viraux et sont utilisés comme preuves sur le web par des activistes politiques.

Dans le travail dont il est question ici, les auteurs se sont intéressés aux schémas de consommation des utilisateurs en fonction de types très distincts d’information. Se concentrant sur le contexte italien et aidés en cela par des pages très actives dans le debunking de rumeurs infondées, ils ont construit un atlas des sources d’informations scientifiques et des sources conspirationnistes sur Facebook. Les pages y sont classées en fonction du genre d’informations qu’elles diffusent et de leur propre description comme visant à des explications alternatives à la réalité, ou des nouvelles scientifiques. Le but des auteurs n’était cependant pas d’alléguer que les informations véhiculées par les sources conspirationnistes sont nécessairement fausses, mais plutôt de voir comment les communautés se forment autour de différentes informations, interagissent et consomment leurs informations préférées.

Les auteurs ont pris en compte les interactions des utilisateurs avec des pages publiques, c’est-à-dire les likes, les partages et les commentaires. Chacune de ces actions a une signification particulière. Un like renvoie à un feedback positif du post, un partage exprime la volonté d’augmenter la visibilité d’une information, un commentaire est la façon de créer le débat en ligne. Les commentaires peuvent être négatifs ou positifs.

L’analyse débute par la délimitation des schémas d’utilisation des informations et des pages structurant les communautés. Ils ont attribué une polarisation aux utilisateurs dès lors que ceux-ci présentaient 95% de feedback positifs pour une catégorie exclusive de pages (conspirationniste ou scientifique). Selon la littérature sur la dynamique des opinions, deux individus sont capables de s’influencer l’un l’autre uniquement si la distance entre leurs opinions est en dessous d’un certain seuil de sorte à ce que les utilisateurs consommant des informations différentes et opposées tendent à s’agréger en des clusters isolés les uns des autres. De plus, les auteurs ont mesuré l’activité des commentaires des uns et des autres dans les communautés opposées, et ont mis en évidence que les utilisateurs polarisés sur les sources conspirationnistes étaient plus concentrés sur les posts de leur propre communauté et plus enclins à la diffusion de leur contenu. D’un autre côté, les utilisateurs de médias scientifiques se montrent moins actifs dans la diffusion de leurs informations et plus enclins à commenter les pages conspirationnistes.

journal.pone.0118093.g005

Les auteurs ont finalement testé la réponse des utilisateurs polarisés face à 4709 théories conspirationnistes satiriques ou complètement aberrantes. 80,86% des likes et 77,92% des commentaires venaient d’utilisateurs conspirationnistes. Ces résultats, cohérents avec de précédentes recherches, mettent en évidence pour les auteurs la relation entre la croyance dans les théories du complot et la nécessité d’un cloisonnement cognitif consistant dans une attitude d’évitement des examens approfondis des informations qui remettraient en cause ces théories. Ce mécanisme s’illustrerait dès lors comme central dans la diffusion de fausses allégations.