L’effet « Bible-believers ».

rednecks
[niveau : facile] (1350 mots / ~ 6 mins)

Lorsque l’on parle des tenants de théories alternatives, c’est souvent une image caricaturale qui nous vient en tête. Le tenant du complot du 11 septembre ou de diverses croyances de visites extraterrestres incarnera ainsi souvent ce gars à l’air fou et portant un chapeau en papier d’alu sur la tête en vous assurant que « ils » savent tout. De la même façon, un anti-darwiniste se verra facilement incarné par un redneck de la bible-belt états-unienne, prêt à tirer sur quiconque s’approchera un peu trop de son mobile-home, après avoir craché son tabac à chiquer en guise de sommation.

Relativement amusantes, ces représentations n’en demeurent pas moins problématiques en cela qu’elles sont assez insultantes d’une part, mais qu’elles sont par ailleurs bien souvent complètement fausses (ok, pas toujours), sinon totalement contraires à la réalité.

De fait, on croit souvent intuitivement que le niveau d’éducation est systématiquement corrélé à l’acceptation de la démarche et des faits scientifiques, et on arrive ainsi plus ou moins subtilement à la conclusion que les croyances irrationnelles et le rejet de science sont l’apanage des gens les moins instruits et Lire la suite

[Trad] Débunker le créationnisme musulman [Difficulté : moyenne] ( 2000 mots / ~12 mins)

Ce billet a été posté par Steven Novella sur Neurologicablog le 19 juillet 2016.

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L’Atlas de la Création d’Harun Yahya

Adnan Oktar, plus connu sous le nom de plume d’Harun Yahya, est un créationniste musulman. Il a écrit plusieurs livres et le web est désormais bourré de ses articles.

Ses arguments sont fondamentalement les mêmes que ceux des créationnistes chrétiens ce qui soulève la question de savoir s’il les a développés indépendamment de ceux-ci ou s’il a simplement lu des sources créationnistes chrétiennes. Il fait ainsi référence à Duane Gish et d’autres sources du même type, de sorte qu’il est permis de penser à une certaine inspiration directe, au moins en partie.

Certaines ressemblances peuvent également venir du fait  qu’il suit un cheminement similaire, à savoir faire n’importe quoi. Il aime par exemple, à l’instar de ses semblables chrétiens, prendre des citations de scientifiques totalement hors de contexte et s’en servir comme argument contre la théorie de l’évolution.

Par ailleurs, il apprécie également de se présenter lui-même comme un intellectuel, en dépit de son ignorance hallucinante sur le sujet de l’évolution. Il semble en effet s’être documenté à ce propos grâce à ce que S. J. Gould appelait les « sources hostiles de seconde main ». En conséquence, son propos penche plutôt vers des strawmen et ne s’approche jamais véritablement de la théorie de l’évolution moderne de sorte que ses estocades soient toujours à côté de la plaque.

Il écrit ainsi :

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[Débunking] FOR THE NIGHT IS DARK, AND FULL OF BULLSHIT : créationnisme dans une école hors contrat des Yvelines, se01ep02.

Le 20 janvier 2016, j’ai publié un billet à propos d’une conférence anti-évolutionniste représentant apparemment l’état de l’enseignement des Sciences de la Vie et de la Terre dans une école hors contrat des Yvelines. Ce billet prenait le temps de réexpliquer les concepts et les faits présentés de manière gravement erronée durant les dix premières minutes de cette conférence diffusée sur Youtube. Pour rappel, en voici le Too Long ; Didn’t Read :

  • Le propos tenu dans la conférence analysée dans ce billet est une présentation réductrice de l’historique de la théorie darwinienne de l’évolution
  • Il attribue par erreur des concepts à des scientifiques qui n’en ont pas la paternité, avec plusieurs décennies de décalage
  • Il ne comprend pas les concepts de micro et macro évolution
  • Il rejette sans motif valable le concept de macro évolution
  • Il ne semble pas comprendre les bases génétiques de la vie et l’unité du vivant
  • Pas plus que la correspondance entre génotype et phénotype
  • Ni le concept d’espèce biologique, qu’il confond (volontairement ?) avec le concept non scientifique de « race »
  • Tous ses exemples sont approximatifs et utilisés à mauvais escient et prouvent souvent le contraire de ce qu’il essaye d’expliquer
  • Il fait une présentation erronée sur le plan philosophique du néo-darwinisme, et inexistante sur le plan scientifique
  • Le niveau général de connaissance et de maîtrise des concepts présentés est plus que médiocre et ne peut en aucun cas constituer un enseignement ou un complément d’enseignement dans le cadre d’un cours de SVT en collège ou en lycée toutes filières confondues
  • L’illettrisme scientifique et les biais de raisonnement ici mis en évidence sont également à la base de mouvances anti scientifiques et rétrogrades très répandues dans le public et les médias : pseudo-médecine, spiritualités New-Age, anti-vaccinisme, pseudo-écologie… et justifient ce débunking.

Si par hasard vous accordiez du crédit au contenu de la conférence ici critiquée, vous gagneriez probablement à lire ce billet dans son entièreté.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre écoute linéaire de cette conférence, en y ajoutant les 15 minutes suivantes. Nous ne prendrons pas le temps de réexpliquer extensivement chaque erreur du conférencier sur la théorie de l’évolution, et nous contenterons de lui apporter la contradiction documentée. J’ai ajouté des sous-titres en suivant la chronologie de la conférence, afin d’identifier rapidement les notions abordées dans le passage discuté. Ce billet-ci marche également de concert avec l’épisode 2 de l’excellente émission Tronche de Fake, qui comporte pour l’occasion quelques ft bien fats.

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Pensée unique : La publication scientifique est-elle interdite aux dissidents ? [Difficulté : facile] (4500 mots / ~20 mins)

Des bactéries, La Main du Créateur, l’homéopathie qui marche, et autres OGM-poisons…

J’ai récemment traduit un billet de Massimo Pigliucci car il parlait de l’accusation de scientisme qui est souvent assénée par des tenants de pseudosciences (ici l’homéopathie) à l’endroit de personnes leur demandant de se conformer aux standards scientifiques de base. Matt McOtelett me faisait remarquer que ce billet était aussi une excellente illustration de l’inanité d’une autre accusation généralement partagée par différents tenants : celle de la publication scientifique aux ordres, verrouillée, interdite d’accès aux chercheurs dissidents vis à vis du consensus scientifique admis.

En effet, lors de n’importe quelle discussion que vous pourrez avoir avec le tenant d’une science alternative, il vous sera retourné qu’on ne peut faire aucune confiance au consensus scientifique, car il ne reflète de toute façon qu’une pensée unique qui ne tolère pas les avis contraires. Bien entendu, selon la croyance des tenants auxquels vous serez confronté, cette pensée unique pourra être diamétralement opposée : un climato-sceptique ? bien entendu que la publication scientifique reflète la pensée unique gaucho-bobo-décroissante du moment ! un anti-OGM ? Bien entendu que la publication scientifique représente la pensée unique ultra-capitalo-scientiste du moment !

Il n’en allait pas autrement dans le billet de M. Pigliucci, où les contradicteurs scientifiques (dont Pigliucci) des homéopathes étaient accusés d’être des scientistes fascistes conformément à la pensée dominante en science. Pour rappel, Pigliucci et Smith ne demandaient qu’une chose : que les critères basiques de scientificité soient appliqués systématiquement en sciences biomédicales, notamment en ce qui concerne l’homéopathie dont ils rappelaient ici que non contente de violer l’éthique, elle besognait aussi salement la méthode scientifique. Lire la suite

Création vs. Évolution : « microévolution » et « macroévolution » [difficulté : facile] (1600 mots / ~10 mins)

ambulocetuscarlbuell

Figure 1 L’ambulocetus, ancêtre de la baleine. Représentation d’artiste (Carl Buell).

Il y a quelques jours j’ai posté un long billet de débunking à propos d’une conférence créationniste également donnée dans une école hors contrat de la région parisienne. Vous pouvez consulter une version plus rapide et moins dense de ce débunking en vidéo ici par l’excellente chaîne youtube de La Tronche en Biais.

Je souhaite revenir ici sur l’argument créationniste majeur qui était mis en avant dans cette première partie de la conférence, et qui était l’acceptation des processus microévolutifs et le rejet des processus macroévolutifs. Au-delà des créationnistes eux-mêmes, beaucoup de personnes, par ignorance de ce qu’il recouvre vraiment, acceptent ou sont déroutées par cet argument. Il est donc salutaire d’en donner ici une approche plus approfondie, mais toujours très simple. Lire la suite

[Debunking] Créationnisme dans une école hors contrat des Yvelines (difficulté : moyenne) (8600 mots / ~30 mins)

Darwin as monkey on La Petite Lune.jpg

Résumé lapidaire de ce long billet :

Too Long ; Didn’t Read …

  • Le propos tenu dans la conférence analysée dans ce billet est une présentation réductrice de l’historique de la théorie darwinienne de l’évolution
  • Il attribue par erreur des concepts à des scientifiques qui n’en ont pas la paternité, avec plusieurs décennies de décalage
  • Il ne comprend pas les concepts de micro et macro évolution
  • Il rejette sans motif valable le concept de macro évolution
  • Il ne semble pas comprendre les bases génétiques de la vie et l’unité du vivant
  • Pas plus que la correspondance entre génotype et phénotype
  • Ni le concept d’espèce biologique, qu’il confond (volontairement ?) avec le concept non scientifique de « race »
  • Tous ses exemples sont approximatifs et utilisés à mauvais escient et prouvent souvent le contraire de ce qu’il essaye d’expliquer
  • Il fait une présentation erronée sur le plan philosophique du néo-darwinisme, et inexistante sur le plan scientifique
  • Le niveau général de connaissance et de maîtrise des concepts présentés est plus que médiocre et ne peut en aucun cas constituer un enseignement ou un complément d’enseignement dans le cadre d’un cours de SVT en collège ou en lycée toutes filières confondues
  • L’illettrisme scientifique et les biais de raisonnement ici mis en évidence sont également à la base de mouvances anti scientifiques et rétrogrades très répandues dans le public et les médias : pseudo-médecine, spiritualités New-Age, anti-vaccinisme, pseudo-écologie… et justifient ce débunking.

Si par hasard vous accordiez du crédit au contenu de la conférence ici critiquée, vous gagneriez probablement à lire ce billet dans son entièreté. Lire la suite

Créationnisme vs. Évolution : peut-on voir une espèce évoluer ?

Suite à la diffusion d’une nouvelle perle créationniste, relayée comme il se doit par les médias alternatifs (probablement aussi par certains mainstreams), j’ai produit il y a quelques temps un billet à propos des preuves multiples, indépendantes et convergentes de l’Évolution, des attaques les plus communément et vainement portées à l’encontre de l’Évolution par les tenants de la Création, et la façon dont y répondre.

Car en effet, si la science avance, multipliant les observations, confirmant ses hypothèses, perfectionnant ses théories et contribuant au passage aux mieux être de l’Humanité (si si), le créationnisme, lui, oserais-je dire la religion, reste quasi strictement inchangé. Dès lors, ce sont les mêmes arguments erronés que l’on voit répétés depuis 150 ans à l’encontre de l’évolutionnisme par les tenants de la Création. Indéfectiblement, inlassablement. Une telle constance forcerait même presque le respect, si elle n’était pas motivée par la seule ignorance acharnée.

A la décharge des créationnistes cependant, il faut bien souligner que nos connaissances à l’époque de Darwin n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui. Il s’agissait à l’époque des balbutiements de la biologie évolutive, et certains arguments créationnistes, bien que déjà erronés, pouvaient se comprendre. Le registre fossile n’était par exemple pas ce qu’il est à notre époque, où nous amassons de plus en plus de spécimens transitionnels. Nous ne connaissions pas, au temps de Darwin, la biologie moléculaire. Par ailleurs, fort des données dont il pouvait alors disposer, spécimens vivants, taxidermisés et fossiles, Darwin ne pouvait pas tout saisir correctement du premier coup. Ainsi, il pensait que l’Évolution était nécessairement le produit d’un processus extrêmement lent et étalé sur des temps très longs, de sorte qu’il ne soit pas possible dans une vie d’homme de réellement « voir » l’Évolution.

De fait, cette idée de « voir » l’Évolution, par exemple en voyant de nos yeux une espèce entrain d’évoluer, a toujours été une marotte créationniste. « On n’a jamais vu une espèce entrain d’évoluer, donc l’Évolution n’existe pas ! ». J’ai déjà abordé ce point dans mon billet sur les preuves de l’Évolution, à propos de la mouche du vinaigre, Drosophila melanogaster. Mais comme me l’a dit un jour un professeur de paléoanthropologie, « on n’est jamais trop pédagogue », et je souhaite revenir spécialement ici sur ce point en détaillant un autre exemple. Ainsi, outre le shoot de Junk Science que je vous offre gratuitement parce que je suis un bon dealer, vous saurez à l’avenir quoi répondre lorsqu’un créationniste vous demandera de façon rhétorique si on peut voir une espèce évoluer :

« Oui ».

Bon, pour le suspens, c’est grillé, mais je vais quand même vous expliquer comment ça marche.

Traditionnellement, pour étudier l’Évolution, les biologistes observent ce qui s’est déroulé dans le passé, de quelques milliers à plusieurs millions d’années, voire même des milliards. Schématiquement, un paléontologue examine des restes fossilisés de dinosaures, un anthropobiologiste examine ceux de taxons pré-humains et humains, etc., de sorte à reconstruire l’arbre de la vie (ou le corail, selon votre imagination), que vous pourrez aussi appeler « arbre phylogénétique » pour briller en société. De fait, les données acquises ainsi sont d’ordre observationnel, comme en astronomie ou en histoire, et non pas expérimental. Il y a donc nécessairement un biais rétrospectif à prendre en compte dans ces études. C’est là qu’un tenant de la Création pourrait arriver et dire « oui ben tes fossiles ils sont morts, tu peux pas les voir évoluer ! ». Correct, Captain Obvious, mais la biologie évolutive ne repose pas uniquement sur l’observation, contrairement à l’histoire, mais également sur l’expérimentation et la prédiction. Ainsi, on observe de plus en plus de cas où des changements environnementaux peuvent provoquer de rapides modifications se rapportant à l’Évolution sur les espèces contraintes par ces changements.

Si les expérimentations sur la mouche du vinaigre D. melanogaster sont anciennes, ce n’est que plus récemment que l’on a commencé les expérimentations sur d’autres espèces à la fois en milieu naturel et en laboratoire. Un bon exemple de cela est celui des guppys.

Changement environnemental, changement phénotypique.

Le phénotype, c’est l’aspect extérieur d’un truc vivant, visqueux ou pas. Un rat au poil noir ou au poil blanc, c’est la même bestiole, mais de différents phénotypes.

Les guppys, ce sont des poissons généralement connus des aquariophiles pour leurs jolies couleurs et leur reproduction abondante. Ils vivent naturellement dans les cours d’eau d’Amérique du nord où ils peuplent les bassins précédant et suivant une petite cascade. Le fondule de son côté, est un autre poisson, vivant dans le même milieu que les guppys. Le fondule est pour le moins couillu, et lors des nuits pluvieuses, il parvient à sortir de l’eau en se tortillant pour se trainer jusque dans les bassins calmes surplombant les cascades. Le guppy utilise une autre technique : meilleur à la nage à contre-courant, il profite des inondations des canaux secondaires lors des fortes pluies pour contourner l’obstacle et coloniser le bassin supérieur.

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« Guppy coppia gialla » by Marrabbio2 – Own work. Licensed under CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons.

Dans le même temps, d’autres poissons plus sédentaires peuplent le même milieu. Ainsi, les brochets cichlidés se cantonnent au bas des chutes d’eau où ils chassent les autres poissons, dont les guppys.

L’obstacle de la chute d’eau scinde donc l’environnement des guppys en deux milieux très différents. En bas de la chute, les guppys sont la proie des brochets, ce qui nuit sensiblement à leur espérance de vie. A contrario, au dessus de la chute, le seul prédateur est le fondule qui ne chasse que très rarement les guppys.

On a ainsi observé en milieu naturel que les guppys vivant au bas des chutes (là où ils sont mangés par les brochets), sont de couleur plus terne, sont plus petits, et arrivent plus rapidement à maturité sexuelle. Au dessus des chutes, les guppys sont chatoyants ce qui augmente leur succès auprès des femelles, sont plus gros, et arrivent à maturité plus tardivement.

De telles différences suggèrent l’action de la sélection naturelle : dans les bassins du haut, les guppys ne sont pas contraints par la prédation et peuvent arborer des couleurs plus vives. Les spécimens les plus chatoyants sont ainsi plus aptes à séduire les femelles attirées par les couleurs vives. En compétition contre les autres mâles pour l’accès aux femelles, les spécimens les plus gros et a fortiori les plus combatifs sont également positivement sélectionnés. En l’absence de prédation, la quantité d’énergie allouée à la croissance est augmentée, et ainsi, les plus gros mâles colorés bénéficient des meilleurs avantages reproductifs, assurant la transmission de ces caractères à leur descendance, et leur maintien et augmentation dans la population aux générations suivantes.

Au pied des chutes d’eau en revanche, la sélection joue différemment. La prédation des brochets aurait tendance à sélectionner négativement (éliminer) les caractères phénotypiques trop visibles (la couleur chatoyante) et à raccourcir l’espérance de vie des guppys (et ainsi allouer plus de ressources à la reproduction rapide plutôt qu’à la croissance). Les individus discrets et prompts à se reproduire sont donc avantagés, leurs chances de reproduction et donc de transmettre leurs caractères à la génération suivante est donc accrue. De génération en génération, ces caractères de discrétion et de maturation rapide se trouvent majoritairement présents dans la population.

De l’observation à l’expérimentation.

Les différences observées entre les populations de guppys vivant au dessus et en dessous d’une chute d’eau semblent donc être le fruit de la sélection naturelle. Mais en l’état, d’autres hypothèses tout aussi valables peuvent entrer en lice. En effet, on peut également penser que seuls les guppys assez forts pour remonter les cours d’eau secondaires arrivent à peupler les bassins supérieurs. Ainsi, seuls ces individus badass colonisent ce milieu, et par un mécanisme évolutif qu’on appelle l’effet de fondation, seul ce caractère se retrouve transmis aux générations suivantes dans cette population fille, alors que d’autres caractères morphologiques se trouvaient dans la population mère. Pour confirmer l’hypothèse de la sélection, il faut donc la reproduire expérimentalement en contrôlant les paramètres.

Lors d’une expérience, on a donc réparti 2000 guppys de façon égale dans dix bassins en laboratoire. Six mois plus tard, des brochets cichlidés furent ajoutés à quatre des bassins, des fondules à quatre autres, tandis que les deux derniers servirent de groupe témoin, et ne contenaient donc que des guppys.

Quatorze mois plus tard, soient dix générations de guppys, les scientifiques comparèrent les populations de guppys dans les dix bassins expérimentaux. Il était impossible de distinguer les guppys des bassins témoins de ceux comportant des fondules : tous les guppys étaient grands et très colorés. En revanche, les guppys exposés aux brochets étaient petits et ternes.

On voyait donc en quelques mois l’action de la prédation sur l’Évolution d’une espèce, et le mécanisme évolutif à l’origine de ces observations semblait bien être la sélection naturelle, puisqu’il n’y avait pas d’effet de fondation à l’origine du peuplement des dix bassins expérimentaux.

Retour sur le terrain.

Ok, mais est-ce que ce qui se passe en labo se passe exactement de la même manière en milieu naturel ? Les scientifiques ont donc repéré de cascades dont les bassins du bas étaient naturellement peuplés de guppys tandis qu’ils étaient absents des bassins du haut. Les bassins inférieurs étaient naturellement peuplés de brochets, et ceux du haut de fondules. Les scientifiques transférèrent une partie des populations de guppys des bassins inférieurs vers les bassins supérieurs et suivirent leur évolution à plusieurs années d’intervalle. Ainsi, bien qu’ils proviennent de populations naturellement exposées à la prédation des brochets, les colonies transplantées dans les bassins supérieurs développèrent rapidement les caractères morphologiques signant l’absence de prédation : maturation tardive, grande taille, couleurs chatoyantes. Dans le même temps, les populations laissées dans les bassins inférieurs conservaient leurs caractères originaux : maturation rapide, petite taille, couleurs ternes.

Le retour en laboratoire confirma par la suite que les différences phénotypiques entre les populations des bassins inférieurs et supérieurs correspondaient à des différences génétiques.

Conclusionnage.

Les travaux sur les guppys ont permis de montrer que des changements évolutifs au sein d’une espèce peuvent être manifestes en quelques années seulement et qu’il est possible de prédire expérimentalement les conséquences de mécanismes évolutifs observés en milieu naturel. De telles données apportent un niveau de preuve extrêmement fort à l’Évolution par sélection naturelle.

Créationnisme : une énième muflerie relayée par les « médias alternatifs »

Figure 1 Pinson des Galápagos. Toutes les illustrations de ce billet viennent de Campbell et al., Biologie, 2009 sauf mention contraire.

Comme c’est régulièrement le cas, les tenants de l’Intelligent design passent sournoisement à l’attaque. Je ne reviendrai pas ici sur ce mouvement créationniste, de loin le plus pernicieux de notre époque, ni sur les mouvements créationnistes en général.

Non, ce qui m’inquiète plutôt, c’est que comme il est devenu de plus en plus commun ces dernières années, les mouvements obscurantistes de tous poils ont le vent en poupe sur les médias alternatifs. Je ne me laisserai pas aller à de la sociologie et de la psychologie de bazar, mais à l’évidence, la mouvance autoproclamée « antisystème » est friande de contenus pseudo-scientifiques. La science admise et démontrée y est effectivement vue comme un vecteur, un agent du système officiel auquel il convient donc de porter l’estocade dès que possible. Les deux milieux trouvent un point d’accord fondamental sur leur peu de considération pour la rigueur intellectuelle et le raisonnement logique. Nul besoin de logique, quand tout ce qui est considéré arbitrairement comme « officiel » est de facto faux et mensonger, et tout ce qui est « alternatif » est, sinon vrai et bon, au moins mieux que ce qui est « officiel ».

Tout ceci ne serait que de peu d’intérêt et assez grotesque si ces médias alternatifs ne jouissaient pas, à la faveur d’internet, d’une audience certaine. Dès lors, certains mouvements obscurantistes, qui contrairement à d’autres n’avaient pas encore trouvé d’assise médiatique, se retrouvent catapultés sur les écrans de consommateurs ne demandant qu’à croire. Et puisque ces informations viennent de médias citoyens dont le business repose sur la prétendue recherche de vérité, il est encore moins besoin de faire preuve d’esprit critique que lorsqu’il s’agit de s’abrutir devant les grandes chaînes nationales.

C’est ainsi qu’a été diffusée le 7 avril sur l’un de ces fameux médias alternatifs francophones, la première partie d’une énième muflerie de l’Intelligent Design. Pour le média bien entendu, il n’est pas question de soumettre cette production à la moindre critique, mais d’en faire la promotion gratuite pour ce qu’elle dégage d’antisystème, d’anti darwinisme, donc d’anti-truc-officiel. Comme toujours dans ces cas là, et comme c’est également le cas sur les piètres médias « officiels » en matière d’information scientifique, les commentaires sous la vidéos peuvent être source de perte de foi définitive en l’intelligence humaine.

Cynisme de sceptique mis à part, les personnes qui adhèrent plus ou moins à ce type de production sont-elles bêtes, stupides, ignares ou mentalement déficientes ?

Catégoriquement non.

D’abord, n’avoir aucune culture fondamentale, et a fortiori aucune culture scientifique n’est pas un crime. Ensuite, ce type de vidéos produites par les tenants du créationnisme moderne est extrêmement pernicieux. Elles sont effectivement joliment réalisées, les explications sont simples, claires, la diction excellente. Les bribes de raisonnement invoquées reposent sur le même argument ressassé pendant une demi heure et est un appel au « bon sens » et à la « saine nature » du spectateur, rendant impossible la compréhension de la théorie de l’évolution.

Mais en science, les faits sont bien souvent contre intuitifs et échappent au bon sens de l’observateur.

Si vous regardez le ciel par cette belle journée de printemps, vous verrez que l’astre solaire tourne autour de vous. Ce matin, le soleil s’est levé derrière ce bois là, à l’Est, et ce soir, il se couchera derrière cette colline là, à l’Ouest. En l’état, tout indiquera à votre « bon sens » et à votre « saine nature » que le soleil s’est littéralement déplacé dans le ciel et qu’il a tourné autour de vous.

C’est ce que les hommes ont longtemps cru dans l’histoire, abusés qu’ils étaient par leur bon sens. Ils n’étaient pas bêtes du tout. Au fur et à mesure du perfectionnement des techniques d’observations et de la multiplication de celles-ci, nous avons pu comprendre qu’en réalité, c’est bien nous, sur Terre, qui tournions autour du soleil, et non pas le contraire. La multiplication des observations objectives nous a permis de nous émanciper le plus possible de notre vue subjective.

De la même façon, l’observation de l’ATP synthase comme elle est présentée dans cette vidéo, nous donne à voir ce qui n’est ni plus ni moins qu’un moteur rotatif moléculaire. Je suis moi-même toujours émerveillé d’en voir une reproduction tourner, ce n’est pas la question. Mais notre vue subjective nous porte à croire qu’il s’agit là d’un produit fini, apparu tel quel et conçu à cette fin. Cette vue subjective ne nous montre pas le processus évolutif ayant conduit à ce moteur.

Pour comprendre le phénomène, il nous faudrait donc l’objectiver, nous donner les moyens par une série d’observations objectives, délivrées au maximum de nos biais d’observateurs de voir ce phénomène.

Dans ce billet, je vais donc énumérer le plus simplement possible les observations objectives qui permettent de voir et de comprendre la théorie de l’évolution. Ce billet s’adresse essentiellement aux personnes qui pourraient tomber sur ce genre de vidéos, et hésiter à leur donner du crédit pour les raisons citées plus hauts, à savoir leur qualité de réalisation et la simplicité de leurs propos, et non pas pour la solidité scientifique de leur contenu. Je reviendrai ensuite sur les différentes critiques qui sont classiquement faites à ces observations des mécanismes étayant la théorie de l’évolution, et les réponses logiques à leur donner.

Qu’est ce que l’évolution des espèces par sélection naturelle ?

L’évolution est le processus par lequel les êtres vivants se transforment de génération en génération par la transmission génétique. La sélection naturelle est le mécanisme principal de l’évolution et favorise la survie des plus aptes en leur permettant de transmettre leur patrimoine génétique à la génération suivante. Ainsi, tout caractère octroyé par une mutation génétique et rendant son porteur plus apte à la survie est positivement sélectionné et transmis à la génération suivante.

Quelles observations permettent aux scientifiques de voir l’évolution sans voyager dans le temps ?

Différentes observations permettent de voir et de prédire l’évolution. Toutes ces observations sont indépendantes les unes des autres, suffisantes en elles mêmes pour soutenir l’évolution sans jamais enfreindre le principe de non contradiction, et convergent toutes vers la même explication. In fine, seule l’évolution permet de comprendre logiquement les transformations observées.

  • L’observation des espèces vivantes actuellement : lors de son voyage aux Galápagos en 1835, Darwin avait observé la présence de différentes sortes de petits pinsons (géospizes) sur les diverses îles de l’archipel. Chaque île était caractérisée par la présente d’une espèce de pinsons qu’on ne retrouvait pas sur les autres îles, et chacune de ses espèces se distinguait par la forme particulière de son bec. Rapidement, Darwin pensa qu’il s’agissait d’une adaptation de chaque groupe de pinsons à la nourriture présente sur l’île, et que tous ces groupes descendaient d’un ancêtre commun semblable. En effet, sur l’une des îles, les pinsons avaient un gros bec pour manger les graines sèches que l’on trouvait sur cette île, alors que sur une autre, les pinsons avaient un bec pointu leur permettant de piquer les oiseaux marins et de se nourrir de leur sang. D’autres encore, sur une autre île, avaient un petit bec agile dont ils se servaient pour mouvoir une brindille dont ils se servaient de pic pour atteindre les larves aux creux des arbres. Darwin présagea que la contrainte exercée par leur environnement avait modelé le bec de chaque groupe de pinsons afin de les rendre aptes à la survie dans cet environnement précis.

    En 1973, un couple de biologistes, Peter et Rosmary Grant, voulu vérifier l’hypothèse de Darwin à propos des pinsons des Galápagos. Ils mesurèrent donc avec précision, année après année, la forme et la dimension des becs des pinsons. Sur les îles où les pinsons se nourrissaient de fruits, ils constatèrent que les années humides, où les fruits étaient nombreux et tendres, les pinsons frugivores à bec fin dominaient. En revanche, après chaque sécheresse, où les fruits étaient peu nombreux et où ne restaient que les plus durs et secs, les pinsons frugivores à bec robuste dominaient. La contrainte environnementale semblait bel et bien influencer la fréquence des caractères morphologiques des becs dans les populations de pinsons.

    Mais le rôle de la sélection naturelle n’était pas encore certain. En effet, on pouvait penser qu’un autre mécanisme était à l’origine de ce changement de fréquence. Par exemple, ce qu’on appelle la plasticité ontogénique et que l’on nomme improprement l’adaptation physiologique, pourrait aussi être à l’origine des faits observés. Cette plasticité ontogénique aurait pu être induite par la nourriture sèche délivrée aux oisillons nés en période de sècheresse, conduisant à une croissance renforcée de leur bec. On observe ce mécanisme chez les populations humaines vivant à très haute altitude par exemple : ces gens présentent souvent des adaptations physiologiques à cette vie rude, acquises pendant leur croissance, comme l’augmentation du volume pulmonaire. Mais si ces gens redescendaient vivre au niveau de la mer, ils ne transmettraient pas ce caractère à leurs enfants. Pour écarter cette hypothèse, les Grant ont systématiquement mesuré les becs de tous les oisillons. Ils ont ainsi pu observer que le caractère morphologique observé chez eux était systématiquement conforme à celui observé chez les parents : les parents gros-bec avaient des oisillons gros-bec, et vice versa. Le caractère était donc bien transmis de génération en génération, sa distribution dans les populations de pinsons reflétait bien la distribution du caractère génétique positivement sélectionné.

    Ce phénomène a de nombreuses fois été observé sur différentes espèces animales et végétales.

  • L’observation de la sélection artificielle induite par l’homme : au tournant de la néolithisation, les sociétés humaines ont commencé à domestiquer des espèces animales et végétales. Le caractère morphologique sélectionné par les agriculteurs, s’il est déterminé par le code génétique de l’organisme sélectionné, sera logiquement transmis à la descendance. Une telle sélection de génération en génération produira des changements notables chez les descendants. Ainsi, les hommes ont sélectionné des milliers d’années durant les plans de maïs portant le plus de grains pour les faire se reproduire entre eux uniquement, et ont renouvelé l’expérience de génération en génération. Soucieux de produire plus de nourriture pour subvenir à leurs besoins, les anciens agriculteurs ont très empiriquement reproduit artificiellement le mécanisme de sélection. Aujourd’hui le maïs que nous cultivons a conservé ces caractères sélectionnés de productivité et n’a plus grand-chose à voir avec sa forme archaïque.

    Cette sélection artificielle, empirique, a été reproduite de nombreuses fois en laboratoire par les scientifiques. Ces derniers utilisent très souvent comme modèle la mouche du vinaigre, Drosophila melanogaster. Ils ont imposé une sélection sur quasiment tous les aspects imaginables de cet animal : taille du corps, couleur des yeux, vitesse de croissance, durée de vie, comportement… Le résultat est absolument constant : la sélection pour un caractère mène à un résultat clair et prévisible. Lors d’une expérience classique, les scientifiques sélectionnèrent un caractère particulier : la présence de soies (une sorte de poil) sur l’abdomen des mouches. A la première génération, toutes les mouches comptaient entre 9 et 10 soies. A chaque nouvelle génération, les scientifiques prélevèrent les 20% de mouches ayant le plus grand nombre de soies. Après 86 générations, le nombre moyen de soies par individu dans la population était de 40 ; il avait quadruplé. Lors d’une expérience suivante, les scientifiques établirent depuis une population commune une première colonie de mouches sélectionnées parmi celles ayant le plus grand nombre de soies, et une deuxième colonie constituée des mouches présentant le plus faible nombre de soies. Après 35 générations de sélection, il n’y avait plus aucun recouvrement du nombre de soies par mouche dans les deux colonies.

    Cette sélection artificielle peut produire des transformations substantielles qui ne se limitent pas à ce que l’on appelle la microévolution. Aujourd’hui, toutes les espèces domestiques, comme les chiens, sont issues de la sélection artificielle de l’homme au cours de son histoire. Chihuahua, Teckel, Lévrier, Mastiff : tous ont été façonnés de génération en génération par la sélection des hommes selon les caractères morphologiques qu’ils souhaitaient voir reproduits à la génération suivante. Remontant le cours des sélections, toutes les variétés de chiens domestiques descendent ultimement des premiers loups domestiqués par les sociétés préhistoriques.

  • L’observation des fossiles : c’est la preuve la plus directe de l’évolution. Le corpus des preuves fossiles est bien plus important qu’il ne l’était à l’époque de Darwin. Les fossiles sont les restes préservés d’anciens organismes vivants. Ceux-ci peuvent avoir été conservés fortuitement dans une coulée d’ambre, dans le permafrost sibérien, dans des cavernes sèches, où encore être pétrifiés dans un très long processus de sédimentation. Les fossiles sont rares, car habituellement, les plantes et les animaux morts se déposent à la surface du sol où ils se décomposent et sont consommés par d’autres organismes. Lorsque le milieu de dépôt permet la conservation des fossiles, ceux-ci sont mis au jour après plusieurs milliers ou millions d’années dans le sol, et sont donc très abimés. Logiquement, si ce phénomène de conservation est très rare, nous ne pouvons connaître que très peu d’espèces anciennes ayant autrefois peuplé la terre. Néanmoins, le nombre de découvertes s’est révélé suffisant pour livrer des informations détaillées sur l’évolution à travers les âges.

    Il est possible de dater les roches dans lesquelles se trouvent les fossiles, et donc de dater les fossiles qui y sont associés, par corrélation. A l’époque de Darwin, au XIXe siècle, les roches étaient datées par chronologie relative ; c’est-à-dire que l’on ne connaissait pas encore de techniques permettant de véritablement dater l’ancienneté des couches géologiques, et celles-ci étaient donc datées les unes par rapport aux autres : une couche géologique placée sous une autre est logiquement plus ancienne que celle-ci. Aujourd’hui, il est possible de déterminer la chronologie absolue des roches grâce à des méthodes physiques qu’on appelle isotopiques. En effet, lorsqu’une roche se forme, certains de ses éléments constitutifs existent sous différentes formes physiques, les isotopes. Ces éléments se dégradent au cours du temps, mais les différents isotopes d’un même élément ne se dégradent pas à la même vitesse. Connaissant la vitesse de dégradation des éléments, il est ainsi possible de faire le rapport quantitatif des isotopes présents dans la roche à dater, et de connaître l’ancienneté de celle-ci.

    Les fossiles permettent d’observer les transitions évolutives. Le fossile de transition le plus célèbre est probablement celui de l’archéoptéryx (qui signifie « plume ancienne »). Cet animal vivait il y a environ 165 millions d’années et est clairement intermédiaire entre les oiseaux et les dinosaures. Ses plumes, très semblables à celles des oiseaux actuels, le rapprochent clairement de ces derniers. Cependant, d’autres caractères, comme les dents, la queue osseuse et d’autres points anatomiques, le rapprochent tout aussi clairement des dinosaures carnivores. Il est en fait tellement semblable à ces derniers que plusieurs spécimens dont la trace des plumes n’a pas été conservée ont été identifiés comme des dinosaures. L’archéoptéryx montre une tendance propre aux espèces de transition qui présentent à la fois certains traits semblables à leurs ancêtres et certains traits semblables à ceux de leurs descendants.
    Aujourd’hui, on connait des fossiles de transition pour tous les groupes majeurs de vertébrés.

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    « Archaeopteryx lithographica (Berlin specimen) » par H. Raab (User:Vesta) — Travail personnel. Sous licence CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons.

  • L’observation anatomique : la théorie de l’évolution doit sa force à sa capacité de fournir un cadre logique autorisant l’interprétation de la diversité de la vie. De nombreuses observations dans tous les domaines ne s’expliquent que par l’évolution. C’est le cas des structures homologues, qui suggèrent une origine commune. Au cours de l’évolution en effet, les mêmes os ont pu servir à des fonctions différentes. Ces os restant visibles, leur présence révèle leur origine évolutive commune. Ainsi, les membres antérieurs des vertébrés (nos bras) sont des structures homologues, c’est-à-dire qu’elles diffèrent en forme et en fonction mais dérivent toutes d’une forme unique chez un ancêtre commun. On peut voir les membres antérieurs de différents mammifères dans l’illustration suivante. Les mêmes structures sont toujours présentes, mais dans des formes différentes : un gros os unique à la base du membre, puis une paire d’os, et un grand nombre de petits os à l’extrémité. Pourquoi ces formes très différentes présentent-elles toujours la même structure ? Sans l’évolution, cette observation est incompréhensible. Mais en admettant que ces différents animaux descendent d’un ancêtre commun, il est aisé de comprendre que la sélection naturelle a modifié la structure de départ pour la faire répondre à des fonctions différentes.

    On peut également voir l’ancestralité commune des différents animaux à travers les stades de leur développement embryonnaire. Les embryons des différents vertébrés se ressemblent souvent durant les stades précoces avant de se différencier peu à peu. Au tout début de leur développement, les embryons humains et ceux de poissons possèdent chacun des poches pharyngées formant diverses glandes et canaux chez l’homme, mais qui deviennent des fentes branchiales chez les poissons. A un stade plus tardif, chaque embryon humain possède une queue osseuse, dont l’adulte conserve une trace avec les vertèbres formant le coccyx, tout en bas de la colonne vertébrale.

    Certaines structures anatomiques sont mal adaptées à leur fonction. La sélection naturelle ne peut agir qu’à partir du matériel génétique présent dans la population. Il n’est donc pas surprenant de voir des structures mal adaptées aux contraintes environnementales, car façonnées avec les moyens du bord.

    L’œil des vertébrés est un excellent exemple d’imperfection. En effet, les photorécepteurs de ces derniers sont tournés vers le fond de l’œil, et non pas vers l’avant, vers la source de lumière. De fait, les fibres nerveuses des cellules photo réceptrices des yeux de vertébrés partent vers l’intérieur de l’œil avant de revenir vers le fond, et occultent donc légèrement la lumière transmise aux photorécepteurs. Par ailleurs, toutes ces fibres nerveuses se rejoignent en un faisceau épais, le nerf optique, comme une gaine électrique, pour traverser la paroi de l’œil en direction du cerveau. Ce trou au milieu du champ de photorécepteurs provoque immanquablement une tache aveugle.

    Les yeux des mollusques en revanches sont beaucoup plus perfectionnés : les photorécepteurs sont dirigés vers l’avant, les fibres nerveuses ne s’interposent pas entre la source de lumière et les cellules photoréceptrices et le nerf optique ne fait pas un trou au milieu des photorécepteurs.

    De fait, la sélection naturelle agit comme un bricoleur et non pas comme un ingénieur. Un bricoleur fait au mieux avec les matériaux à sa disposition, alors que l’ingénieur conceptualise une structure adaptée à une fonction déterminée en cherchant à éviter les erreurs de conception.

    Certaines structures anatomiques ne semblent pas avoir de fonction, comme des vestiges abandonnés. Les structures vestigiales peuvent être expliquées comme des reliquats du passé. En effet, on peut observer des structures anatomique ayant apparemment perdu toute fonction. Les hommes possèdent par exemple des muscles leur permettant de faire bouger leurs oreilles. Alors que les mêmes muscles servent à d’autres animaux à orienter leurs oreilles dans le sens de menaces détectées comme le grognement d’un prédateur, ces muscles n’ont aucune utilité chez l’homme et sont souvent impossibles à utiliser. Notre appendice vermiculaire est également vestigial. On ne lui connait aucune fonction actuelle, alors qu’il sert chez les herbivores à la digestion de la cellulose. De telles observations sont nombreuses, et peuvent également se faire au niveau moléculaire. Ainsi, le poisson des glaces qui vit dans les eaux froides de l’antarctique est quasiment transparent. Ce fait s’explique non seulement par son absence de pigmentation, mais également par la transparence de son sang. Le sang est normalement rouge à cause de l’hémoglobine qu’il contient, la molécule chargée de transporter l’oxygène. Or, plus les eaux sont froides, plus elles contiennent de l’oxygène. L’eau de l’antarctique est tellement froide, 0°C, qu’elle contient suffisamment d’oxygène pour que le poisson des glaces puisse se passer d’hémoglobine. Ce caractère devenu inutile a été supprimé. En revanche, le code génétique du poisson des glaces contient toujours le gène nécessaire à la fabrication d’hémoglobine, il a simplement été désactivé. C’est un gène fossile, ou pseudogène, et ceux-ci s’observent en fait chez de nombreuses espèces.

  • Les observations biogéographiques : la biogéographie est l’étude de la répartition géographique des espèces vivantes. La biogéographie nous permet de voir que des régions différentes abritent des groupes de plantes et d’animaux étonnamment semblables bien qu’ils soient peu apparentés. Il est très difficile d’attribuer autant de similitudes au simple hasard. Au lieu de ça, on comprend très bien que la sélection naturelle ait favorisé des adaptations évolutives parallèles dans des environnements semblables. Ainsi, dans chacun des environnements, la morphologie des groupes de plantes et d’animaux a convergé. On appelle ce phénomène l’évolution convergente.

    On peut ainsi observer deux groupes très importants de mammifères, les marsupiaux et les placentaires, qui ont évolués séparément mais parallèlement dans différentes régions du mondes coupées l’une de l’autre. Chez les marsupiaux, les jeunes naissent à un stade très immature, et ils doivent encore vivre un certains temps dans une poche ventrale. C’est par exemple le cas des kangourous. Ce n’est pas le cas des placentaires.

    L’Australie s’est séparée des autres continents il y a 70 millions d’années. A cette époque, les marsupiaux et les placentaires s’étaient déjà séparés, et on ne trouvait que des marsupiaux en Australie. Aujourd’hui, les marsupiaux australiens ressemblent étonnamment aux placentaires vivants sur les autres continents. Là encore, le hasard ne suffit pas à expliquer ce phénomène qui trouve en revanche une explication complète, logique et sans contradictions comme étant le résultat de l’évolution convergente : des formes de structures similaires apparues dans des environnements différents mais semblables et ayant exercés une pression sélective comparable.

    L’évolution convergente est un phénomène répandu.

    Quelles sont les critiques adressées à la théorie de l’évolution par les créationnistes et comment y répondre ?

Dans le film qui a motivé la rédaction de ce billet, on trouve les mêmes arguments éculés et ressassés par les créationnistes depuis 150 ans. L’appel au bon sens à déjà été rejeté au début de cet article. Le film en question se repose essentiellement sur une très mauvaise interprétation de la notion de hasard, ou ce qu’on appelle les phénomènes stochastiques, si vous voulez briller en société. Je vous présente ici les arguments immanquablement présents dans le film, et ceux qui seront présents dans ses parties suivantes et dans les autres films créationnistes à venir. Ainsi, vous saurez par avance quoi y répondre.

1. L’évolution n’est pas solidement démontrée, ce n’est qu’une théorie !

=> Contrairement à ce que pensent les créationnistes, « théorie » n’est pas synonyme d’  « infondée » ou même d’ « hypothèse ». Une théorie est basée sur des preuves observationnelles nombreuses et solides, des expérimentations largement reproduites indépendamment et des calculs prédictifs fonctionnels. Une théorie scientifique est ainsi bien différente de ce qu’entend par là le grand public, à savoir une proposition gratuite balancée entre la poire et le fromage.

2. Vous n’avez pas de chaînon manquant, on n’a jamais vu de nageoire entrain de se transformer en pied !

=> Cette remarque pouvait se comprendre à l’époque de Darwin, mais depuis, et comme je l’ai expliqué plus haut, on a au contraire découvert de très nombreux et très importants fossiles de transitions montrant les évolutions entre les structures principales. Ça n’empêche pas les créationnistes de ressasser cet argument.

3. Tout ça est trop complexe pour être le fruit du hasard et doit avoir été dirigé par une intelligence supérieure (Intelligent design), une horloge doit avoir été fabriquée par un horloger !

=> L’évolution des espèces par sélection naturelle n’est pas aléatoire. Au contraire puisqu’en favorisant les variations qui conduisent à une meilleure capacité de reproduction de l’espèce, elle agit indépendamment du hasard et conduit au développement d’organes très complexes par petites étapes successives de génération en génération. On connait ainsi de nombreuses formes d’yeux intermédiaires, et parmi eux, des formes imparfaites, comme ceux des vertébrés dont les hommes, surpassés dans leur conception par ceux des mollusques. La conception du dessein intelligent étant censée être parfaite, et l’aboutissement ultime de cette perfection étant censé être l’homme, l’Intelligent design entre en contradiction patente avec les observations factuelles élémentaires. Il viole ainsi le premier principe du raisonnement logique.

4. L’évolution viole la seconde loi de la thermodynamique, car une pile de kapla jetée au sol ne formera jamais une structure organisée par hasard : les évènements aléatoires créent de la désorganisation, c’est la règle de l’entropie !

=> L’entropie opère dans un système fermé, ce que la Terre n’est pas. L’énergie solaire délivrée en permanence par le soleil entretient la vie et tous ses mécanismes.

5. La synthèse d’une protéine est im-po-ssi-bleuh : l’hémoglobine alpha 141 comporte 141 acides aminés successifs, la probabilité pour que le premier, la leucine, soit à sa place est de 1/20, mais la probabilité pour que les suivants soient à la leur est de (1/20)141 !

=> On ne peut pas utiliser des statistiques pour argumenter a posteriori. La probabilité pour qu’un étudiant dans un amphithéâtre ait son anniversaire à un jour donné est de 1/365. Si on suit le même raisonnement, la probabilité que chaque élève d’un amphi de 250 ait son anniversaire au jour prévu est de (1/365)250, et pourtant cet amphi existe bien ainsi que les anniversaires de chaque étudiant.

6. Sélection naturelle ne veut pas dire évolution : vous n’avez jamais pu voir un poisson se transformer en grenouille pour échapper à un prédateur !

=> Ce phénomène a été reproduit artificiellement et expérimentalement. Les différentes variétés de chiens, comme je l’ai expliqué plus haut, présentent des structures extrêmement éloignées, qui seraient probablement jugées comme appartenant à des espèces différentes si on en connaissait que des fossiles. On a pu reproduire expérimentalement de telles modifications de structures associées avec une perte de l’interfécondité. Dans la nature, cela correspond clairement au phénomène de spéciation.

7. La complexité du vivant est irréductible, la machinerie moléculaire de la cellule ne peut s’expliquer par des stades plus simples, car chaque partie d’un processus complexe est nécessaire à l’ensemble !

=> Mais chaque part n’évolue pas comme ensemble d’un système. Chaque part peut être ajoutée, retirée, modifiée tout en étant conservée à la génération suivante pourvu qu’elle permette la survie du système. L’évolution agit sur chaque part qui peut se complexifier au fil du temps par petites touches successives. Depuis 150 ans, les créationnistes ont souvent affirmé que telle ou telle structure était trop compliquée pour advenir naturellement. Chaque fois, une étude scientifique approfondie a permis de comprendre la voie évolutive possible au cours de laquelle la structure s’était formée.

J’espère que ce billet, même lu en diagonale, pourra tomber entre les mains de personnes s’étant posées des questions devant ce film créationniste, ou d’autres dans le même genre. Si c’était le cas, qu’ils sachent que la science ne s’intéresse pas au « pourquoi » -question hautement métaphysique posée en ouverture du film, comme c’est souvent le cas- et ne prétend pas y répondre (on pense même que la question n’a pas vraiment lieu d’être), mais elle s’intéresse au « comment ». C’est l’écueil systématique des créationnistes : prétendre répondre au « pourquoi » en faisant semblant de répondre au « comment », le tout sans aucune assise scientifique.

Si vous avez des questions à poser, même si elles vous semblent stupides ou naïves, n’hésitez pas à le faire dans les commentaires à la suite de ce billet.

[Trad] « Les règles de la logique, partie 1 : pourquoi la logique fonctionne toujours »

Article publié sur The Logic of Science le 27 janvier 2015.

Une introduction à la logique

Je constate souvent dans les débats que les gens ne veulent pas vraiment se plier aux règles de la logique et font des commentaires idiots du type « tu es braqué sur tes opinions ». En réalité, les règles de la logique sont comme les règles mathématiques. Elles sont une propriété immuable et inhérente de l’existence, pas des opinions. De la même façon que 2+2 font toujours 4, les règles de la logique sont toujours vraies et doivent toujours être suivies. La règle la plus basique de toutes sur laquelle toutes les autres reposent est la loi de non contradiction. Cette loi stipule qu’une chose ne peut pas simultanément être A et ne pas être A. En d’autres termes, deux choses mutuellement exclusives ne peuvent pas exister simultanément. Vous ne pouvez pas avoir un triangle circulaire par exemple. Un cercle, par définition, n’a pas de lignes droites ni d’angles. Un triangle de son côté a trois lignes droites et trois angles. Un objet ne peut pas simultanément avoir 3 droites, 3 angles, 0 droites et 0 angles. Si vous rejetez les règles de la logique, vous acceptez simplement la possibilité des triangles circulaires et toute pensée rationnelle se désintègre. Vous voyez que l’on sait tous intuitivement que les règles de la logique fonctionnent et nous les appliquons dans notre vie quotidienne. On ne pense simplement pas très souvent à elles en termes techniques. Imaginez par exemple que votre jauge à essence indique que vous êtes dans le rouge, et que vous savez que cette jauge fonctionne, que conclurez-vous ? Bien évidemment vous allez conclure que vous n’avez plus beaucoup d’essence, mais pourquoi êtes-vous arrivé à cette conclusion ? Sans même que vous vous en rendiez compte, votre cerveau à suivi ce raisonnement :

  1. Ma jauge à essence est conçue pour me dire à quel niveau d’essence je suis
  2. Je sais que ma jauge fonctionne
  3. Ma jauge à essence dit que je n’ai plus beaucoup d’essence
  4. Donc je n’ai plus beaucoup d’essence

C’est une logique déductive simple et claire. Si en revanche vous niez les lois de la logique et alléguez qu’il n’y a que des opinions, vous niez simplement ce syllogisme. Si les règles de logique ne fonctionnent pas, alors le fait que votre jauge à essence fonctionne et est entrain de vous montrer que vous n’avez plus beaucoup d’essence ne signifie pas que vous n’avez plus beaucoup d’essence. Les effets des causes opèrent en conséquence des lois de la logique. Si vous niez les règles de la logique, alors vous niez les causes et les effets.

J’ai dit plus haut que les règles de la logique sont comme les règles mathématiques. En fait elles ne sont pas exactement comme les maths, mais les maths reposent sur elles. Par exemple, tous ceux qui ont fait de la géométrie connaissent probablement les démonstrations. Ce sont des syllogismes logiques simples. Par exemple :

  1. La somme des angles de tout triangle est égale à 180°
  2. Pour un triangle ABC, l’angle A = 90°
  3. Pour un triangle ABC, l’angle B = 45°
  4. Donc, pour un triangle ABC, l’angle C = 45°

Notez que la conclusion est rendue absolument nécessaire par la prémisse. Si les points 1 à 3 sont vrais, alors le 4 doit absolument l’être. L’angle C ne peut en aucun cas être autre chose qu’égal à 45°. C’est la logique, ce n’est pas une opinion. C’est une propriété inhérente de l’univers qui doit absolument être acceptée. Si vous rejetez les règles de la logique, alors vous devez aussi rejetez les règles mathématiques.

Les chrétiens doivent-ils suivre les règles de la logique ?

Même s’il devrait être évident que nous devons suivre les règles de la logique, je suis souvent opposé à une grande résistance de la part de chrétiens. Dans toutes les discussions sur l’évolution, le changement climatique, ou certains points de théologie, ils se retrouvent acculés dans un coin où la logique joue clairement contre eux. Ils se retrouvent à proposer cette allégation : « la logique est simplement la sagesse humaine, mais Dieu est plus haut que l’homme, ainsi nous ne devrions pas croire la logique humaine mais nous reposer sur Dieu ». Au-delà de l’évidente pétition de principe que cela introduit, il y a de sérieux problèmes. Tout (y compris Dieu, supposons qu’il existe), doit être lié aux règles de la logique. Je peux prouver ça par la loi de non contradiction. Imaginez le dialogue suivant entre deux chrétiens :

  • « Dieu peut-il faire le mal en toutes circonstances ?
  • Non.
  • Pourquoi pas ?
  • Parce que sa nature est intrinsèquement bonne.
  • Pourquoi cette nature le prémunit-elle de faire le mal en toutes circonstances ?
  • Parce que c’est impossible d’être parfaitement bon et de faire quelque chose de mal ».

La dernière phrase vous semble familière ? C’est une affirmation de la loi de non contradiction. Si Dieu n’était pas lié aux lois de la logique, alors il pourrait être mauvais et parfaitement bon à la fois. Mais tous les chrétiens s’accordent à dire que Dieu ne peut rien faire de mal, ainsi, s’il existe, il doit être lié aux lois de la logique (c’est aussi la réponse appropriée aux allégations ad hoc absurdes des créationnistes selon lesquelles la logique ne pourrait exister sans Dieu. Elle le pourrait clairement en fait, puisque si Dieu existe, il doit être lié à elles).

Tout ceci rend souvent les chrétiens furieux car ils voient que c’est un affront à l’omnipotence de Dieu, mais c’est seulement parce qu’ils ne comprennent pas correctement le concept d’omnipotence. Les philosophes s’accordent à dire que « la capacité à faire n’importe quoi » est une très mauvaise définition de l’omnipotence. La définition la plus largement acceptée de l’omnipotence est plutôt « la capacité de faire n’importe quoi logiquement possible si on le veut ». Cette définition devient évidente si on reprend l’exemple du triangle circulaire. Peu importe le pouvoir qu’un être puisse avoir, il ne pourrait pas faire un triangle circulaire car l’existence d’un tel objet n’est pas logiquement possible (c’est aussi pourquoi une question du type « Dieu pourrait-il faire un rocher si gros qu’il ne pourrait pas le soulever ? » est un non sens, car évidemment il ne peut pas, puisque ce n’est pas logiquement possible). Donc en résumé, même un être omnipotent doit être lié aux lois de la logique et ne peut rien faire qui ne soit logiquement possible. Ainsi, les allégations selon lesquelles nous ne devrions pas suivre les lois de la logique car ne seraient que « des opinions » ou qu’elles ne sont que « la sagesse des hommes » ou que « toutes les choses sont possibles à Dieu », sont naïves et invalides. Les règles de la logique restent toujours vraies et doivent être suivies dans toutes les conversations et débats rationnels.