Non. D’ailleurs si on cherchait vraiment à manger assez de muesli pour s’intoxiquer aux pesticides, c’est en réalité le muesli qui aurait notre peau. Voilà, ceux qui sont venus pour avoir une réponse peuvent économiser 10 minutes et arrêter leur lecture. Maintenant, si vous ne me croyez pas sur parole – et je vous encourage vivement à ne jamais croire sur parole ni moi ni le reste de ce que vous lisez ou entendez sur les sujets scientifiques et polémiques – je vous invite à prendre 10 minutes pour comprendre ce que contient (et ne contient pas) le rapport de Générations Futures.
Les observations savantes et médicales sur la nocivité du tabagisme datent au moins du 17e siècle.
Les observations scientifiques sur la nocivité du tabagisme datent du milieu du 19e siècle.
Les premières études épidémiologiques établissant une forte corrélation entre tabagisme et différentes maladies, surtout le cancer du poumon datent des années 20.
Les premières études de cohortes définitivement conclusives sur la cancérogénicité du tabagisme datent du début des années 50.
La stratégie de manipulation médiatique des « marchands de doute » inventée par Hill et Knowlton en 1953 consiste à créer l’illusion d’un faux équilibre et d’une controverse scientifique aux yeux du grand public afin de nier l’existence d’un consensus scientifique.
La science sur le tabagisme existe indépendamment et préexiste aux manipulations des cigarettiers.
C’est en réaction au consensus scientifique déjà existant et toujours plus solide que la stratégie des marchands de doute est inventée.
L’argument de « Big Tobacco » pour nier l’existence d’un consensus scientifique ou instaurer un faux équilibre est dès lors paradoxalement intenable pour celui qui l’utilise (sur le sujet des OGM par exemple).
De manière assez systématique dans des discussions à propos de faits scientifiques peu admis du grand public, un argument revient en boucle : l’invocation de Big Tobacco. Je vais donc me pencher sur cet argument dans le contexte précis de ces discussions, en commençant par un rapide historique de la science du tabagisme. Lire la suite →
Mise en ligne sur Youtube le 11 mai, une vidéo de l’association militante wemove.eu sobrement titrée “Le glyphosate, un tissu de mensonge” nous propose une analyse se voulant factuelle, des connaissances actuelles portant sur la molécule qui agite si souvent les médias.
Intéressés par les substances présentes dans votre environnement, ou par les risques portant sur votre santé ? Alors reprenons ensemble les arguments exposés dans la vidéo, afin de compléter et enrichir cette dernière avec des sources précises et des explications complémentaires, et faire toute la lumière sur le fameux composé actif du fameux RoundUp de la fameuse entreprise Monsanto. Fameux programme.
Quand toutes les excuses sont bonnes pour ignorer les conclusions scientifiques.
Reprise humoristique de la Fable de la grenouille , qui même si elle n’est pas réaliste, illustre le problème du ressenti des changements progressifs.
GIEC, écolos, Greenpeace, ONG diverses… Bien rares sont ceux qui ignorent tout de ces groupes. Les médias reprennent souvent leurs déclarations, ou s’empressent de lier les éléments de l’actualité à ce fameux Réchauffement Climatique Anthropique (anthropique signifiant “d’origine humaine” ; nous emploierons par la suite RCA par amour des acronymes) dont on nous dit que l’existence est attestée par tous les scientifiques et les experts du climat.
Tous ? Non. Un groupe d’irréductibles climato-sceptiques – qui s’auto-attribuent plutôt le titre de climato-optimistes – résiste encore et toujours à la thèse du RCA. Et la vie n’est pas facile pour les vulgarisateurs, scientifiques et chercheurs qui s’attellent à la dure tâche de contre-argumenter face à eux.
Dans la suite de ce billet, je ne vous conterai pas les aventures d’un quelconque binôme à fort taux de moustache recalé à tous les contrôles anti-dopants. Nous ferons plutôt ensemble un survol des catégories d’arguments climato-sceptiques les plus fréquemment rencontrées, et les analyserons, afin de déterminer s’il est plus rationnel d’accepter, de refuser ou de ne pas conclure quant à la réalité du RCA. Lire la suite →
Gravure sur bois montrant des sorciers suppliciés, Tengler’s Laienspiegel, Mainz, 1508.
En février dernier a été créé un nouveau groupe américain d’activistes anti-OGM, US Right To Know (USRTK), conduit par un ancien activiste de la campagne californienne de labellisation des produits OGM. Au lieu des activités habituelles de désinformation, le groupe s’est porté vers l’intimidation et la calomnie en initiant une procédure de FOIA capable de forcer les fonctionnaires US visés par cette demande citoyenne à rendre publiques des informations privées au motif du « droit de savoir ». Cette procédure n’a à donner aucune preuve en guise de justification d’une telle coercition comme on pourrait s’y attendre pourtant dans le domaine judiciaire, et ne semble reposer que sur la sagesse du peuple. Là-bas comme ici, sous couvert de science citoyenne, les bonnes intentions de surface ont rapidement laissé place aux motivations profondes : le carnet du naturaliste amateur a laissé place au marteau des sorcières.
Face à la réalité du consensus scientifique et à l’impossibilité pour eux d’argumenter sur le terrain des preuves factuelles, les activistes ont depuis longtemps systématisé le recours à la shill card, la carte de la complicité, comme l’explique Steven Novella. C’est simple : si un scientifique (ou toute autre personne), se conforme à l’avis de la science en ce qui concerne les OGM, la vaccination, l’homéopathie… c’est forcément que c’est un complice, un agent secret de l’industrie, payé et/ou formé par elle. Ainsi, nul besoin d’argumenter. C’est évidemment un sophisme odieux. Ce recours est tellement fréquent que c’est devenu un running gag au sein des communautés sceptiques : nous nous traitons volontiers de shills entre nous.
C’est là toute la stratégie appliquée par l’USRTK par cette demande de FOIA en forçant arbitrairement des chercheurs du public à fournir des données personnelles, en espérant pouvoir y cueillir et déformer quelques informations qui permettraient d’étayer l’accusation a priori portée (et déjà jugée !) de complicité avec l’industrie. Choisis pour être coupables.
La première victime de cette chasse aux sorcières a été Kevin Folta, chercheur public en biologie végétale, en poste à l’Université de Floride et travaillant sur les molécules à l’origine de la saveur des fraises, sujet qui n’intéresse pas vraiment les firmes de biotechnologies végétales. Mais K. Folta, biologiste avisé, connaissant le consensus scientifique et les potentialités merveilleuses des biotechnologies végétales (qui le concernent donc directement), a toujours été un défenseur de celles-ci en organisant des cycles de conférences à ce propos. Qu’il défende les biotechnologies parce que le consensus scientifique à propos de leurs produits est très clair, qu’elles présentent des applications incroyables à venir dans les domaines de la santé et de l’alimentation étaient choses inconcevables. Ça ne pouvait être qu’un shill.
Folta face à la procédure administrative s’est donc exécuté, et il a fourni quelques 5000 pages d’emails personnels. Inutile d’expliquer comment, en 5000 pages, il est possible de sortir quelques phrases bien catchy, sorties de leur contexte, pour leur faire dire n’importe quoi. Et c’est ce qui a été fait.
Les e-mails contenaient notamment les échanges entre Folta et Monsanto. Rien de scandaleux, rien d’anormal, c’était même couru d’avance : n’importe quel scientifique du public entretient des rapports avec le secteur privé de son domaine. C’est en effet une source de débouché certain pour ses étudiants, et de collaborations scientifiques. Les spécialistes en recherche biomédicale, les spécialistes en archéologie, etc., sont nécessairement en contact avec le secteur privé de leur domaine.
La messe était cependant dite, il suffisait d’agiter ce chiffon rouge pour que le bucher commence à être dressé en place publique. Par chance, les « preuves » étaient accablantes : non seulement Folta était en contact avec Monsanto, mais il y était question d’argent. En effet, cette correspondance contenait les échanges entourant un don fait par Monsanto à un fond public de l’Université de Floride pour encourager le cycle de communications et vulgarisation sur le thème des biotechnologies et dont Folta est responsable. Le fait que ce don était connu préalablement, publiquement déclaré, fait à l’Université et non pas à Folta lui-même, qu’il ne finançait pas les recherches de Folta, ni même de recherche du tout, et qu’il ne servait, de manière contrôlée, qu’au défraiement de conférences publiques qui existaient déjà avant ce don, n’entrent pas en ligne de compte. Le fait que ces conférences portaient sur les biotechnologies et n’étaient aucunement une promotion ou un lobbying pour Monsanto ni aucune firme privée n’entre pas en ligne de compte. Non, tout ce qui comptait, c’était que Folta était en relation avec Monsanto, et qu’il avait touché de l’argent à cette occasion. Si on pouvait faire croire qu’il avait personnellement touché cet argent pour son propre compte, de manière secrète et illicite, pour le récompenser de son lobbying, c’était encore mieux.
Ainsi, en plus de son bucher, Folta le sorcier aura droit à une mort lente après avoir été promené en public à travers les rues de la cité, livré à la vindicte de la populace.
Que son accusateur et calomniateur, l’USRTK, reçoive lui-même un financement de 114 000 dollars de l’Organic Consumers Assiciation, un groupe de lobbying de l’industrie du bio, pour son propre (et vrai) lobbying, n’entre pas en ligne de compte. Que les « preuves » agitées contre Folta soient inexistantes ou fabriquées, cela n’entre pas en ligne de compte. Que là où un universitaire comme Folta n’est pas payé pour sa communication scientifique, un gourou anti-OGM comme Vandana Shiva touche 40 000 dollars par conférence, cela n’entre pas en ligne de compte. Pour le juteux créneau du lobbying antiscience à propos des biotechnologies, on pourra s’informer ici, mais cela n’entre pas en ligne de compte. La réalité des faits n’intéresse pas les idéologues.
Et après la procédure inquisitoriale vînt le châtiment : le lynchage public utilisant sa mère décédée contre lui, le traitant entre beaucoup d’autres choses de putain, de menteur et bien évidemment de shill, les attaques aussi crasses n’étant pas réservées aux anonymes du net. Ainsi Nassim Taleb déjà bien connu dans le milieu anti-OGM s’est fendu d’une petite création :
Une tentative de publication a même été faite sur PLOS One, heureusement retirée. Il ne fallait pas attendre d’attitude moins indigne des grands médias sur un tel sujet, le New York Times et Le Monde, plus crasseux que jamais.
Quand le lynchage s’est –rapidement- transformé en menaces de violences physiques, par la publication sur Facebook de son adresse personnelle (on connait ces méthodes de fanatiques), Folta a décidé de rendre l’argent dont son programme avait bénéficié (ce que Monsanto a refusé, l’Université ayant alors décidé de le reverser à une banque alimentaire) et de rembourser ce qu’il avait déjà utilisé.
Hypatia, Charles William Mitchell, 1885, Laing Art Gallery (Newcastle-upon-Tyne).
Résumé : Le 8 septembre, Le Monde a repompé sans fact checking supplémentaire un article du New York Times du 5 septembre à propos du recours administratif lancé par l’association d’activistes américains anti-OGM USRTK (US Right To Know). Les deux articles (le même en réalité) entendent apparemment mettre en avant la corruption des scientifiques favorables aux OGM, sans pour autant être capables d’étayer ces allégations. Car si le mot n’est jamais lâché, c’est pourtant bien de cela dont il s’agit. La mouvance antiscience a semble-t-il sur ce sujet définitivement abandonné le recours aux preuves scientifiques (qu’elle était déjà incapable de fournir) et se porte vers d’autres moyens d’action, au titre desquels la calomnie et l’intimidation. La chose serait seulement scandaleuse s’il elle n’était pas portée par de grands médias nationaux comme Le Monde, et ce depuis plusieurs années. Dès lors, elle est également rétrograde et dangereuse, aussi bien vis à vis du cours des progrès technologiques et scientifiques, mais également de l’intégrité morale et professionnelle des scientifiques visés. Rendez-vous à la fin du billet pour un tl;dr.
Cet article intitulé « Aux Etats-Unis, des universitaires au cœur de la guerre d’influence sur les OGM » rapporte les activités récentes d’une association américaine d’activistes anti-OGM, la USRTK, pour US Right To Know, créée en janvier 2015. Comme il me semble être généralement le cas de toute association d’activistes, celle-ci semble être aussi bruyante que peu représentative des aspirations de la population générale sur le sujet. Cet antagonisme m’a toujours semblé particulièrement patent en ce qui concernait les associations ayant trait à l’environnement et à la santé.
Afin de poursuivre son combat, l’USRTK a entamé en février une procédure administrative propre au droit américain par une procédure de FOIA (Freedom of informations request act) auprès de nombreuses universités américaines, de sorte à ce que celles-ci fournissent les mails privés de leurs chercheurs travaillant dans le domaine des biotechnologies. L’association espérait ainsi trouver des preuves de corruption et de manipulation impliquant des chercheurs du public et des industries de biotechnologie. Certaines universités ont refusé, d’autres ont accepté.
L’article du Monde du 8 septembre n’est rien d’autre qu’un copié-collé de celui du NYT, sans aucun travail d’investigation supplémentaire, ni aucune critique factuelle ou mise à l’épreuve journalistique. Dès lors, les écueils de la version originale se retrouvent tels quels dans la version française.
Rappel des faits : le consensus scientifique
Pour les lecteurs qui découvriraient cette controverse médiatique à propos des OGM, il convient de rappeler très clairement que celle-ci n’existe que dans le microcosme médiatique et militant. Si celui-ci irrigue le grand public à l’écœurement, il n’en demeure pas moins diamétralement opposé à l’état du consensus scientifique sur la question à l’heure actuelle. Cette controverse n’existe pas dans le monde scientifique où les méta-analyses (la collecte, le tri et l’analyse de toutes les données sur le sujet), ne témoignent pas de dangerosité supérieure des OGM alimentaires face aux aliments issus de l’agriculture conventionnelle ou bio. Basé sur la totalité des preuves que nous avons à l’heure actuelle, ce consensus objectif est massif.
Déni des faits : l’activisme US
L’action de l’USRTK a donc spécifiquement ciblé des chercheurs du public qui avaient participé au site internet GMOAnswers, mis en place par Ketchum, la société de relations publiques de certaines firmes technologiques comme Monsanto. Ce site à pour but de répondre clairement et précisément aux questions généralement soulevées dans le grand public à propos des OGM alimentaires. La société Ketchum contacte donc régulièrement des spécialistes académiques de la question afin de fournir les meilleures réponses possibles. Rien d’anormal ni de répréhensible, mais il s’agit apparemment d’un redflag pour les activistes. Au début de la procédure, seuls 14 scientifiques étaient concernés ; ils sont aujourd’hui une quarantaine.
Le journalisme scientifique selon Le Monde
Une relative neutralité
Les premiers résultats de cette requête administrative sont ainsi rapportés par Le Monde :
« Salutaire opération transparence sur l’un des sujets environnementaux les plus controversés ? Manœuvre destinée à salir la réputation de chercheurs favorables aux organismes génétiquement modifiés (OGM) ? » Pure rhétorique si l’on se réfère à la position de la section Planète du monde sur le sujet des OGM depuis de nombreuses années. L’hypothèse de la « manœuvre » militante est bien vite oubliée dès le deuxième paragraphe où, sans apporter aucune preuve (tout comme l’article du NYT), Le Monde explique :
« Les courriels publiés montrent comment les firmes agrochimiques utilisent la crédibilité et l’autorité de scientifiques du monde académique dans la guerre d’influence qu’ils livrent à leurs adversaires. »
Or, parmi les quelques 4600 pages de courriels obtenues à ce jour, rien n’a jamais démontré une telle chose.
L’acharnement de l’USRTK, relayé complaisamment par le NYT lui-même docilement copié par Le Monde, s’est rapidement porté vers Kevin Folta, spécialiste en biologie végétale et responsable du département des sciences horticoles de l’université de Floride. K. Folta, de part sa spécialité scientifique, est de longue date un défenseur connu des biotechnologies végétales.
Le cas Folta
En dépit d’un cherry picking éhonté de l’USRTK dans la correspondance de Folta, le NYT n’a pas été capable de fournir la moindre preuve des collusions dont il semble vouloir accabler la communauté scientifique. A sa suite, Le Monde n’a pas brillé par son sens de l’investigation pas plus qu’il n’a jugé utile d’assumer la charge de la preuve. Folta s’est expliqué publiquement à propos des citations tronquées qui ont été brandies contre lui, mais face à ce type d’adversaires (les associations d’activistes relayées par des médias nationaux) et au lynchage public en préparation, autant gueuler dans le cul d’une vache.
Ces calomnies portaient notamment sur un don fait à l’université de Floride par un groupe de firmes incluant Monsanto, au profit d’un programme public de communication et de vulgarisation sur les biotechnologies porté par Kevin Folta. Alors que la procédure était légale, connue et déclarée (sans obligation pourtant, le don n’étant pas un financement de recherche et ne portant pas sur le domaine biomédical), ce à côté de quoi le NYT était déjà passé, Le Monde rapporte ainsi l’affaire :
« En août 2014, Monsanto décide de lui verser un « financement sans restrictions » de 25 000 dollars (22 000 euros) pour lui permettre de poursuivre son travail d’influence. « Je vous promets un solide retour sur investissement », écrit le chercheur. »
A en lire Le Monde, on croirait que Folta a secrètement reçu pour son propre compte la somme de 25 000 dollars en payement de son lobbying. La réalité : Folta, en tant que responsable d’un programme de communication scientifique, à accepté le don de firmes privées à un fond destiné à cette communication par l’université de Floride. Ces fonds sont faits pour recevoir ces dons, qu’ils viennent d’institutions/personnes privées ou publiques. Folta est un chercheur public travaillant dans le domaine des biotechnologies végétales dont le secteur privé est nécessairement une source de débouché et de collaboration pour lui et ses étudiants. Il est normal qu’il soit ainsi en relation avec ces firmes privées. Pour ce don, Folta n’a rien reçu à titre personnel, il n’a pas été payé, ses recherches n’ont pas été financées. Au titre de fonctionnaire, la communication et la vulgarisation sont partie intégrante de son activité et il n’est pas dédommagé pour cela. Ces 25 000 dollars versés au fond de l’université de Floride ont dès lors été utilisés pour l’organisation de conférences sur le thème des biotechnologies, indépendamment des projets de recherches de Folta. Conférences que Folta donnait déjà avant que l’université reçoive ce dont, et qui n’ont pas été modifiées après cette réception. La politique de l’Université de Floride est très claire quant à l’allocation de dons privés au profit d’un programme en particulier : « Les dons faits à l’Université de Floride ne peuvent bénéficier à un individu particulier. En conséquence, les dons faits pour soutenir une activité universitaire d’un membre spécifique de la faculté sont nécessairement faits à l’institution et ne peuvent être transférés à une autre organisation ou institution dans le cas où le membre concerné quitterait l’université ».
En clair, ce don, qui n’a profité ni à Kevin Folta ni à ses recherches, a servi à payer des déplacements, des sandwichs, et un rétroprojecteur pour les powerpoints.
Sans plus d’analyse critique et après avoir repris les allégations infondées du NYT, Le Monde explique encore :
« M. Folta se rend notamment en Pennsylvanie et à Hawaï pour être auditionné par les autorités locales sur le sujet. Il rend compte régulièrement de ses activités à l’industrie, qui prend ses frais en charge – ce qu’il omet de déclarer. »
On ne s’étonnera pas d’apprendre que ce récit à charge est une manipulation. En réalité, et comme nous l’apprennent les documents fournis par le NYT, certains voyages de Folta financés grâce aux dons privés lui ont permis de participer à des auditions publiques dans des états où la question de la labellisation des produits GM était en discussion, ou, dans le cas d’Hawaii par exemple, où la limitation des cultures GM et des pesticides était en discussion. Le NYT lui-même par les documents qu’il fournit montre que cette prise en charge des déplacements et du logement était déjà déclarée. Et même ainsi, il n’y a la aucune preuve ni même suggestion qui pourrait satisfaire le fantasme du lobby antiscience d’un chercheur corrompu (ce qui, bien entendu, peut tout à fait exister par ailleurs).
Les allégations produites par Le Monde ont depuis été balayées comme le rapporte Forbes : ces dons étaient connus, déclarés, contrôlés, et n’ont pas profité à Folta, comme l’explique le directeur de l’Institut de l’Université de Floride pour les sciences alimentaires et agricoles, Jack Payne.
Le cas Shaw
La cueillette aux cerises continue de plus belle lorsque, reprenant docilement sa copie américaine, Le Monde rapporte comme seul autre cas de corruption David Shaw, chercheur à l’Université d’État du Mississipi :
« Les courriels de David Shaw, vice-président pour la recherche et le développement économique de l’université du Mississippi, sont aussi tombés dans l’escarcelle d’USRTK. Au cours de la dernière décennie, ses travaux ont été financés à hauteur de 880 000 dollars (785 000 euros) par Monsanto. »
Ses travaux n’ont pas « été financés à hauteur de 880 000 dollars par Monsanto ». L’une de ses recherches portant sur le RoundUp (la formulation commerciale du Glyphosate par Monsanto) en agriculture a reçu un soutien financier de 880 000 dollards par Monsanto. Encore une fois, ce financement ponctuel est modique dans les activités et la carrière de Shaw. Comme il a déjà été dit, on pourra regretter que cet exemple, qui ne vient étayer aucune accusation de corruption, ne soit pas représentatif d’une carrière et de dizaines d’articles scientifiques publiés indépendamment et préalablement à ce financement précis. Décidément, les faits n’intéressent pas Le Monde.
L’équilibre journalistique
Comme en introduction, Le Monde conclut d’une neutralité toute relative en évoquant pudiquement le financement de chercheurs par l’industrie du bio :
« Reste que USRTK n’a pas procédé à des requêtes de documents ciblant l’industrie de l’agriculture biologique. Et pour cause : celle-ci est le principal financeur de l’association. Le New York Times a donc formulé des requêtes complémentaires auprès de plusieurs universités, cherchant cette fois des liens entre leurs chercheurs et des sociétés misant sur l’agriculture biologique. De tels liens existent même si, note le quotidien américain, « les dépenses en lobbying et en relations publiques de l’agriculture biologique ne représententqu’une petite fraction de celles des sociétés de biotechnologies ». »
Doux euphémisme. L’image de David contre Goliath ne prend pas, comme on pourra le découvrir dans Forbes.
Il serait grand temps, d’abord et avant tout en ce qui concerne les sections scientifiques de leurs médias, que les journalistes abandonnent l’investigation journalistique, faite de fausse balance et de fausse neutralité, au profit de l’investigation scientifique, où seules les données solidement analysées comptent, indépendamment de ses préférences personnelles. Car c’est bien là ce qui reste de cet article : il est incapable d’étayer par des preuves la position qu’il suggère, et ignore purement et simplement l’état de l’art sur la question qui l’intéresse fondamentalement, à savoir la sécurité des OGM alimentaires. La posture scientifique ne peut être qu’étrangère et hostile à ces manières journalistiques. A quand un traitement médiatique de la négation du consensus scientifique à propos des OGM égal à ce qu’il est à propos de la vaccination ?
Les conséquences de l’obscurantisme
A l’activisme fanatique des uns et à la collaboration éhontée des autres, il ne manquait que le terrorisme : face au lynchage public et aux menaces, l’Université de Floride a décidé de rendre la somme, ce que les donateurs ont refusé. L’université a donc décidé de reverser l’intégralité à une banque alimentaire.
Si cette affaire doit avoir un mérite, c’est peut être celui de révéler la différence de perception de ce qu’est un conflit d’intérêt entre le grand public orienté par les médias activistes et les scientifiques. Dans un grand média national, un don (assez modique), au fond d’une université publique pour favoriser la communication scientifique dans un domaine en particulier est vu comme le versement à titre personnel de pots de vins à des scientifiques corrompus. Comme on l’avait déjà vu lors de l’affaire du verre de glyphosate, les scientifiques sont de très mauvais communicants, ils se défendent très mal. Et pour cause, la violence et la subjectivité des postures médiatiques et politiques ne s’accordent pas avec la science. On pourra ainsi reprocher à Folta de s’être mal défendu sur ses relations avec le secteur privé, de n’avoir pas expliqué que dans ce domaine scientifique comme dans n’importe quel autre, les relations public-privé sont courantes, normales et nécessaires (au demeurant, Le Monde n’est-il pas détenu par un trio d’hommes d’affaires richissimes ?). Les échanges de mails, les co-financements, ne sont pas des preuves de corruption. Je peux moi-même être porté à utiliser des kits de diagnostic médicaux donnés à l’université par les fabricants (l’université ne peut pas tout acheter) : il ne me viendrait jamais à l’idée de me considérer en conflit d’intérêt. Tout au plus l’entreprise donatrice serait dument et publiquement remerciée lors de la communication des activités ayant été facilitées par ce don. Et c’est ce que Folta a fait.
Ainsi, Le Monde rapporte quelques citations fumeuses soigneusement choisies et tronquées, déjà publiées par le NYT. A ce propos, Bruce Chassy, visé par l’action de l’USRTK et contacté par Le Monde aurait déclaré : « chasse aux sorcières ». « Ils explorent nos relations avec les industriels car ils ne peuvent pas contester la vérité de nos arguments ».
Ce constat semble on ne peut plus correct et pourrait être reporté sur les acteurs francophones de cette mouvance ; et pour cause, il a déjà été très bien fait par d’autres : si la science ne va pas dans le sens de l’idéologie, faisons sans la science. Alors que du côté scientifique les innovations, toujours plus porteuses de progrès continuent ; du côté activiste, de part et d’autre de l’atlantique et sous le couvert dévoyé de science citoyenne ou de veille citoyenne, les forces obscurantistes sont à l’œuvre. Heureusement, aussi bruyants que puissent-être les lobbys et leurs chantres médiatiques, quel que soit le bord considéré, le consensus scientifique reste hors de leur porté.
Le public et le décideur politique eux, sont hélas aisément trompés. On a vu en France comment l’action violente et la désinformation avaient gravement pu nuire à la recherche publique en biotechnologie. Alors même que le milieu scientifique peine à se faire entendre auprès du grand public, il serait tout à fait scandaleux et dommageable que les programmes de communication subissent les mêmes pressions rétrogrades. La seule arme des scientifiques, et a fortiori des sceptiques, reste la communication basée sur l’état de l’art, car seules les preuves comptent. Des collusions, corruptions et manipulations pourront être exposées de part et d’autre si elles existent vraiment, les preuves sur la question de fond, elles, resteront. Les menaces physiques, le saccage, l’intimidation judiciaire, les lynchages publics, les manipulations médiatiques, sont les armes de nos adversaires. La posture intellectuelle des deux partis nous oblige à combattre nus et les mains liées face à un adversaire en armes.
Nous laisserons-nous pour autant démembrer par ces nouveaux parabalanis ?
Too Long ; Didn’t Read … (tl;dr)
L’USRTK, association activiste anti-OGM américaine a entamé une procédure administrative contre des chercheurs du public en biotechnologies
Cette procédure met en lumière des relations industrie-chercheurs saines et légales
Les dons reçus étaient légaux et déclarés, Kevin Folta n’a reçu aucun payement personnel de l’industrie
Les dons prenaient en charge le défraiement de conférences, Kevin Folta n’a pas été payé pour faire du lobbying ni de la recherche
L’aide financière reçue ponctuellement par David Shaw de la part de l’industrie est légale et déclarée
Ces faits sont couverts de façon biaisée et sans fact checking par Le Monde
Figure 1 Pinson des Galápagos. Toutes les illustrations de ce billet viennent de Campbell et al., Biologie, 2009 sauf mention contraire.
Comme c’est régulièrement le cas, les tenants de l’Intelligent design passent sournoisement à l’attaque. Je ne reviendrai pas ici sur ce mouvement créationniste, de loin le plus pernicieux de notre époque, ni sur les mouvements créationnistes en général.
Non, ce qui m’inquiète plutôt, c’est que comme il est devenu de plus en plus commun ces dernières années, les mouvements obscurantistes de tous poils ont le vent en poupe sur les médias alternatifs. Je ne me laisserai pas aller à de la sociologie et de la psychologie de bazar, mais à l’évidence, la mouvance autoproclamée « antisystème » est friande de contenus pseudo-scientifiques. La science admise et démontrée y est effectivement vue comme un vecteur, un agent du système officiel auquel il convient donc de porter l’estocade dès que possible. Les deux milieux trouvent un point d’accord fondamental sur leur peu de considération pour la rigueur intellectuelle et le raisonnement logique. Nul besoin de logique, quand tout ce qui est considéré arbitrairement comme « officiel » est de facto faux et mensonger, et tout ce qui est « alternatif » est, sinon vrai et bon, au moins mieux que ce qui est « officiel ».
Tout ceci ne serait que de peu d’intérêt et assez grotesque si ces médias alternatifs ne jouissaient pas, à la faveur d’internet, d’une audience certaine. Dès lors, certains mouvements obscurantistes, qui contrairement à d’autres n’avaient pas encore trouvé d’assise médiatique, se retrouvent catapultés sur les écrans de consommateurs ne demandant qu’à croire. Et puisque ces informations viennent de médias citoyens dont le business repose sur la prétendue recherche de vérité, il est encore moins besoin de faire preuve d’esprit critique que lorsqu’il s’agit de s’abrutir devant les grandes chaînes nationales.
C’est ainsi qu’a été diffusée le 7 avril sur l’un de ces fameux médias alternatifs francophones, la première partie d’une énième muflerie de l’Intelligent Design. Pour le média bien entendu, il n’est pas question de soumettre cette production à la moindre critique, mais d’en faire la promotion gratuite pour ce qu’elle dégage d’antisystème, d’anti darwinisme, donc d’anti-truc-officiel. Comme toujours dans ces cas là, et comme c’est également le cas sur les piètres médias « officiels » en matière d’information scientifique, les commentaires sous la vidéos peuvent être source de perte de foi définitive en l’intelligence humaine.
Cynisme de sceptique mis à part, les personnes qui adhèrent plus ou moins à ce type de production sont-elles bêtes, stupides, ignares ou mentalement déficientes ?
Catégoriquement non.
D’abord, n’avoir aucune culture fondamentale, et a fortiori aucune culture scientifique n’est pas un crime. Ensuite, ce type de vidéos produites par les tenants du créationnisme moderne est extrêmement pernicieux. Elles sont effectivement joliment réalisées, les explications sont simples, claires, la diction excellente. Les bribes de raisonnement invoquées reposent sur le même argument ressassé pendant une demi heure et est un appel au « bon sens » et à la « saine nature » du spectateur, rendant impossible la compréhension de la théorie de l’évolution.
Mais en science, les faits sont bien souvent contre intuitifs et échappent au bon sens de l’observateur.
Si vous regardez le ciel par cette belle journée de printemps, vous verrez que l’astre solaire tourne autour de vous. Ce matin, le soleil s’est levé derrière ce bois là, à l’Est, et ce soir, il se couchera derrière cette colline là, à l’Ouest. En l’état, tout indiquera à votre « bon sens » et à votre « saine nature » que le soleil s’est littéralement déplacé dans le ciel et qu’il a tourné autour de vous.
C’est ce que les hommes ont longtemps cru dans l’histoire, abusés qu’ils étaient par leur bon sens. Ils n’étaient pas bêtes du tout. Au fur et à mesure du perfectionnement des techniques d’observations et de la multiplication de celles-ci, nous avons pu comprendre qu’en réalité, c’est bien nous, sur Terre, qui tournions autour du soleil, et non pas le contraire. La multiplication des observations objectives nous a permis de nous émanciper le plus possible de notre vue subjective.
De la même façon, l’observation de l’ATP synthase comme elle est présentée dans cette vidéo, nous donne à voir ce qui n’est ni plus ni moins qu’un moteur rotatif moléculaire. Je suis moi-même toujours émerveillé d’en voir une reproduction tourner, ce n’est pas la question. Mais notre vue subjective nous porte à croire qu’il s’agit là d’un produit fini, apparu tel quel et conçu à cette fin. Cette vue subjective ne nous montre pas le processus évolutif ayant conduit à ce moteur.
Pour comprendre le phénomène, il nous faudrait donc l’objectiver, nous donner les moyens par une série d’observations objectives, délivrées au maximum de nos biais d’observateurs de voir ce phénomène.
Dans ce billet, je vais donc énumérer le plus simplement possible les observations objectives qui permettent de voir et de comprendre la théorie de l’évolution. Ce billet s’adresse essentiellement aux personnes qui pourraient tomber sur ce genre de vidéos, et hésiter à leur donner du crédit pour les raisons citées plus hauts, à savoir leur qualité de réalisation et la simplicité de leurs propos, et non pas pour la solidité scientifique de leur contenu. Je reviendrai ensuite sur les différentes critiques qui sont classiquement faites à ces observations des mécanismes étayant la théorie de l’évolution, et les réponses logiques à leur donner.
Qu’est ce que l’évolution des espèces par sélection naturelle ?
L’évolution est le processus par lequel les êtres vivants se transforment de génération en génération par la transmission génétique. La sélection naturelle est le mécanisme principal de l’évolution et favorise la survie des plus aptes en leur permettant de transmettre leur patrimoine génétique à la génération suivante. Ainsi, tout caractère octroyé par une mutation génétique et rendant son porteur plus apte à la survie est positivement sélectionné et transmis à la génération suivante.
Quelles observations permettent aux scientifiques de voir l’évolution sans voyager dans le temps ?
Différentes observations permettent de voir et de prédire l’évolution. Toutes ces observations sont indépendantes les unes des autres, suffisantes en elles mêmes pour soutenir l’évolution sans jamais enfreindre le principe de non contradiction, et convergent toutes vers la même explication. In fine, seule l’évolution permet de comprendre logiquement les transformations observées.
L’observation des espèces vivantes actuellement : lors de son voyage aux Galápagos en 1835, Darwin avait observé la présence de différentes sortes de petits pinsons (géospizes) sur les diverses îles de l’archipel. Chaque île était caractérisée par la présente d’une espèce de pinsons qu’on ne retrouvait pas sur les autres îles, et chacune de ses espèces se distinguait par la forme particulière de son bec. Rapidement, Darwin pensa qu’il s’agissait d’une adaptation de chaque groupe de pinsons à la nourriture présente sur l’île, et que tous ces groupes descendaient d’un ancêtre commun semblable. En effet, sur l’une des îles, les pinsons avaient un gros bec pour manger les graines sèches que l’on trouvait sur cette île, alors que sur une autre, les pinsons avaient un bec pointu leur permettant de piquer les oiseaux marins et de se nourrir de leur sang. D’autres encore, sur une autre île, avaient un petit bec agile dont ils se servaient pour mouvoir une brindille dont ils se servaient de pic pour atteindre les larves aux creux des arbres. Darwin présagea que la contrainte exercée par leur environnement avait modelé le bec de chaque groupe de pinsons afin de les rendre aptes à la survie dans cet environnement précis.
En 1973, un couple de biologistes, Peter et Rosmary Grant, voulu vérifier l’hypothèse de Darwin à propos des pinsons des Galápagos. Ils mesurèrent donc avec précision, année après année, la forme et la dimension des becs des pinsons. Sur les îles où les pinsons se nourrissaient de fruits, ils constatèrent que les années humides, où les fruits étaient nombreux et tendres, les pinsons frugivores à bec fin dominaient. En revanche, après chaque sécheresse, où les fruits étaient peu nombreux et où ne restaient que les plus durs et secs, les pinsons frugivores à bec robuste dominaient. La contrainte environnementale semblait bel et bien influencer la fréquence des caractères morphologiques des becs dans les populations de pinsons.
Mais le rôle de la sélection naturelle n’était pas encore certain. En effet, on pouvait penser qu’un autre mécanisme était à l’origine de ce changement de fréquence. Par exemple, ce qu’on appelle la plasticité ontogénique et que l’on nomme improprement l’adaptation physiologique, pourrait aussi être à l’origine des faits observés. Cette plasticité ontogénique aurait pu être induite par la nourriture sèche délivrée aux oisillons nés en période de sècheresse, conduisant à une croissance renforcée de leur bec. On observe ce mécanisme chez les populations humaines vivant à très haute altitude par exemple : ces gens présentent souvent des adaptations physiologiques à cette vie rude, acquises pendant leur croissance, comme l’augmentation du volume pulmonaire. Mais si ces gens redescendaient vivre au niveau de la mer, ils ne transmettraient pas ce caractère à leurs enfants. Pour écarter cette hypothèse, les Grant ont systématiquement mesuré les becs de tous les oisillons. Ils ont ainsi pu observer que le caractère morphologique observé chez eux était systématiquement conforme à celui observé chez les parents : les parents gros-bec avaient des oisillons gros-bec, et vice versa. Le caractère était donc bien transmis de génération en génération, sa distribution dans les populations de pinsons reflétait bien la distribution du caractère génétique positivement sélectionné.
Ce phénomène a de nombreuses fois été observé sur différentes espèces animales et végétales.
L’observation de la sélection artificielle induite par l’homme : au tournant de la néolithisation, les sociétés humaines ont commencé à domestiquer des espèces animales et végétales. Le caractère morphologique sélectionné par les agriculteurs, s’il est déterminé par le code génétique de l’organisme sélectionné, sera logiquement transmis à la descendance. Une telle sélection de génération en génération produira des changements notables chez les descendants. Ainsi, les hommes ont sélectionné des milliers d’années durant les plans de maïs portant le plus de grains pour les faire se reproduire entre eux uniquement, et ont renouvelé l’expérience de génération en génération. Soucieux de produire plus de nourriture pour subvenir à leurs besoins, les anciens agriculteurs ont très empiriquement reproduit artificiellement le mécanisme de sélection. Aujourd’hui le maïs que nous cultivons a conservé ces caractères sélectionnés de productivité et n’a plus grand-chose à voir avec sa forme archaïque.
Cette sélection artificielle, empirique, a été reproduite de nombreuses fois en laboratoire par les scientifiques. Ces derniers utilisent très souvent comme modèle la mouche du vinaigre, Drosophilamelanogaster. Ils ont imposé une sélection sur quasiment tous les aspects imaginables de cet animal : taille du corps, couleur des yeux, vitesse de croissance, durée de vie, comportement… Le résultat est absolument constant : la sélection pour un caractère mène à un résultat clair et prévisible. Lors d’une expérience classique, les scientifiques sélectionnèrent un caractère particulier : la présence de soies (une sorte de poil) sur l’abdomen des mouches. A la première génération, toutes les mouches comptaient entre 9 et 10 soies. A chaque nouvelle génération, les scientifiques prélevèrent les 20% de mouches ayant le plus grand nombre de soies. Après 86 générations, le nombre moyen de soies par individu dans la population était de 40 ; il avait quadruplé. Lors d’une expérience suivante, les scientifiques établirent depuis une population commune une première colonie de mouches sélectionnées parmi celles ayant le plus grand nombre de soies, et une deuxième colonie constituée des mouches présentant le plus faible nombre de soies. Après 35 générations de sélection, il n’y avait plus aucun recouvrement du nombre de soies par mouche dans les deux colonies.
Cette sélection artificielle peut produire des transformations substantielles qui ne se limitent pas à ce que l’on appelle la microévolution. Aujourd’hui, toutes les espèces domestiques, comme les chiens, sont issues de la sélection artificielle de l’homme au cours de son histoire. Chihuahua, Teckel, Lévrier, Mastiff : tous ont été façonnés de génération en génération par la sélection des hommes selon les caractères morphologiques qu’ils souhaitaient voir reproduits à la génération suivante. Remontant le cours des sélections, toutes les variétés de chiens domestiques descendent ultimement des premiers loups domestiqués par les sociétés préhistoriques.
L’observation des fossiles : c’est la preuve la plus directe de l’évolution. Le corpus des preuves fossiles est bien plus important qu’il ne l’était à l’époque de Darwin. Les fossiles sont les restes préservés d’anciens organismes vivants. Ceux-ci peuvent avoir été conservés fortuitement dans une coulée d’ambre, dans le permafrost sibérien, dans des cavernes sèches, où encore être pétrifiés dans un très long processus de sédimentation. Les fossiles sont rares, car habituellement, les plantes et les animaux morts se déposent à la surface du sol où ils se décomposent et sont consommés par d’autres organismes. Lorsque le milieu de dépôt permet la conservation des fossiles, ceux-ci sont mis au jour après plusieurs milliers ou millions d’années dans le sol, et sont donc très abimés. Logiquement, si ce phénomène de conservation est très rare, nous ne pouvons connaître que très peu d’espèces anciennes ayant autrefois peuplé la terre. Néanmoins, le nombre de découvertes s’est révélé suffisant pour livrer des informations détaillées sur l’évolution à travers les âges.
Il est possible de dater les roches dans lesquelles se trouvent les fossiles, et donc de dater les fossiles qui y sont associés, par corrélation. A l’époque de Darwin, au XIXe siècle, les roches étaient datées par chronologie relative ; c’est-à-dire que l’on ne connaissait pas encore de techniques permettant de véritablement dater l’ancienneté des couches géologiques, et celles-ci étaient donc datées les unes par rapport aux autres : une couche géologique placée sous une autre est logiquement plus ancienne que celle-ci. Aujourd’hui, il est possible de déterminer la chronologie absolue des roches grâce à des méthodes physiques qu’on appelle isotopiques. En effet, lorsqu’une roche se forme, certains de ses éléments constitutifs existent sous différentes formes physiques, les isotopes. Ces éléments se dégradent au cours du temps, mais les différents isotopes d’un même élément ne se dégradent pas à la même vitesse. Connaissant la vitesse de dégradation des éléments, il est ainsi possible de faire le rapport quantitatif des isotopes présents dans la roche à dater, et de connaître l’ancienneté de celle-ci.
Les fossiles permettent d’observer les transitions évolutives. Le fossile de transition le plus célèbre est probablement celui de l’archéoptéryx (qui signifie « plume ancienne »). Cet animal vivait il y a environ 165 millions d’années et est clairement intermédiaire entre les oiseaux et les dinosaures. Ses plumes, très semblables à celles des oiseaux actuels, le rapprochent clairement de ces derniers. Cependant, d’autres caractères, comme les dents, la queue osseuse et d’autres points anatomiques, le rapprochent tout aussi clairement des dinosaures carnivores. Il est en fait tellement semblable à ces derniers que plusieurs spécimens dont la trace des plumes n’a pas été conservée ont été identifiés comme des dinosaures. L’archéoptéryx montre une tendance propre aux espèces de transition qui présentent à la fois certains traits semblables à leurs ancêtres et certains traits semblables à ceux de leurs descendants.
Aujourd’hui, on connait des fossiles de transition pour tous les groupes majeurs de vertébrés.
L’observation anatomique : la théorie de l’évolution doit sa force à sa capacité de fournir un cadre logique autorisant l’interprétation de la diversité de la vie. De nombreuses observations dans tous les domaines ne s’expliquent que par l’évolution. C’est le cas des structures homologues, qui suggèrent une origine commune. Au cours de l’évolution en effet, les mêmes os ont pu servir à des fonctions différentes. Ces os restant visibles, leur présence révèle leur origine évolutive commune. Ainsi, les membres antérieurs des vertébrés (nos bras) sont des structures homologues, c’est-à-dire qu’elles diffèrent en forme et en fonction mais dérivent toutes d’une forme unique chez un ancêtre commun. On peut voir les membres antérieurs de différents mammifères dans l’illustration suivante. Les mêmes structures sont toujours présentes, mais dans des formes différentes : un gros os unique à la base du membre, puis une paire d’os, et un grand nombre de petits os à l’extrémité. Pourquoi ces formes très différentes présentent-elles toujours la même structure ? Sans l’évolution, cette observation est incompréhensible. Mais en admettant que ces différents animaux descendent d’un ancêtre commun, il est aisé de comprendre que la sélection naturelle a modifié la structure de départ pour la faire répondre à des fonctions différentes.
On peut également voir l’ancestralité commune des différents animaux à travers les stades de leur développement embryonnaire. Les embryons des différents vertébrés se ressemblent souvent durant les stades précoces avant de se différencier peu à peu. Au tout début de leur développement, les embryons humains et ceux de poissons possèdent chacun des poches pharyngées formant diverses glandes et canaux chez l’homme, mais qui deviennent des fentes branchiales chez les poissons. A un stade plus tardif, chaque embryon humain possède une queue osseuse, dont l’adulte conserve une trace avec les vertèbres formant le coccyx, tout en bas de la colonne vertébrale.
Certaines structures anatomiques sont mal adaptées à leur fonction. La sélection naturelle ne peut agir qu’à partir du matériel génétique présent dans la population. Il n’est donc pas surprenant de voir des structures mal adaptées aux contraintes environnementales, car façonnées avec les moyens du bord.
L’œil des vertébrés est un excellent exemple d’imperfection. En effet, les photorécepteurs de ces derniers sont tournés vers le fond de l’œil, et non pas vers l’avant, vers la source de lumière. De fait, les fibres nerveuses des cellules photo réceptrices des yeux de vertébrés partent vers l’intérieur de l’œil avant de revenir vers le fond, et occultent donc légèrement la lumière transmise aux photorécepteurs. Par ailleurs, toutes ces fibres nerveuses se rejoignent en un faisceau épais, le nerf optique, comme une gaine électrique, pour traverser la paroi de l’œil en direction du cerveau. Ce trou au milieu du champ de photorécepteurs provoque immanquablement une tache aveugle.
Les yeux des mollusques en revanches sont beaucoup plus perfectionnés : les photorécepteurs sont dirigés vers l’avant, les fibres nerveuses ne s’interposent pas entre la source de lumière et les cellules photoréceptrices et le nerf optique ne fait pas un trou au milieu des photorécepteurs.
De fait, la sélection naturelle agit comme un bricoleur et non pas comme un ingénieur. Un bricoleur fait au mieux avec les matériaux à sa disposition, alors que l’ingénieur conceptualise une structure adaptée à une fonction déterminée en cherchant à éviter les erreurs de conception.
Certaines structures anatomiques ne semblent pas avoir de fonction, comme des vestiges abandonnés. Les structures vestigiales peuvent être expliquées comme des reliquats du passé. En effet, on peut observer des structures anatomique ayant apparemment perdu toute fonction. Les hommes possèdent par exemple des muscles leur permettant de faire bouger leurs oreilles. Alors que les mêmes muscles servent à d’autres animaux à orienter leurs oreilles dans le sens de menaces détectées comme le grognement d’un prédateur, ces muscles n’ont aucune utilité chez l’homme et sont souvent impossibles à utiliser. Notre appendice vermiculaire est également vestigial. On ne lui connait aucune fonction actuelle, alors qu’il sert chez les herbivores à la digestion de la cellulose. De telles observations sont nombreuses, et peuvent également se faire au niveau moléculaire. Ainsi, le poisson des glaces qui vit dans les eaux froides de l’antarctique est quasiment transparent. Ce fait s’explique non seulement par son absence de pigmentation, mais également par la transparence de son sang. Le sang est normalement rouge à cause de l’hémoglobine qu’il contient, la molécule chargée de transporter l’oxygène. Or, plus les eaux sont froides, plus elles contiennent de l’oxygène. L’eau de l’antarctique est tellement froide, 0°C, qu’elle contient suffisamment d’oxygène pour que le poisson des glaces puisse se passer d’hémoglobine. Ce caractère devenu inutile a été supprimé. En revanche, le code génétique du poisson des glaces contient toujours le gène nécessaire à la fabrication d’hémoglobine, il a simplement été désactivé. C’est un gène fossile, ou pseudogène, et ceux-ci s’observent en fait chez de nombreuses espèces.
Les observations biogéographiques : la biogéographie est l’étude de la répartition géographique des espèces vivantes. La biogéographie nous permet de voir que des régions différentes abritent des groupes de plantes et d’animaux étonnamment semblables bien qu’ils soient peu apparentés. Il est très difficile d’attribuer autant de similitudes au simple hasard. Au lieu de ça, on comprend très bien que la sélection naturelle ait favorisé des adaptations évolutives parallèles dans des environnements semblables. Ainsi, dans chacun des environnements, la morphologie des groupes de plantes et d’animaux a convergé. On appelle ce phénomène l’évolution convergente.
On peut ainsi observer deux groupes très importants de mammifères, les marsupiaux et les placentaires, qui ont évolués séparément mais parallèlement dans différentes régions du mondes coupées l’une de l’autre. Chez les marsupiaux, les jeunes naissent à un stade très immature, et ils doivent encore vivre un certains temps dans une poche ventrale. C’est par exemple le cas des kangourous. Ce n’est pas le cas des placentaires.
L’Australie s’est séparée des autres continents il y a 70 millions d’années. A cette époque, les marsupiaux et les placentaires s’étaient déjà séparés, et on ne trouvait que des marsupiaux en Australie. Aujourd’hui, les marsupiaux australiens ressemblent étonnamment aux placentaires vivants sur les autres continents. Là encore, le hasard ne suffit pas à expliquer ce phénomène qui trouve en revanche une explication complète, logique et sans contradictions comme étant le résultat de l’évolution convergente : des formes de structures similaires apparues dans des environnements différents mais semblables et ayant exercés une pression sélective comparable.
L’évolution convergente est un phénomène répandu.
Quelles sont les critiques adressées à la théorie de l’évolution par les créationnistes et comment y répondre ?
Dans le film qui a motivé la rédaction de ce billet, on trouve les mêmes arguments éculés et ressassés par les créationnistes depuis 150 ans. L’appel au bon sens à déjà été rejeté au début de cet article. Le film en question se repose essentiellement sur une très mauvaise interprétation de la notion de hasard, ou ce qu’on appelle les phénomènes stochastiques, si vous voulez briller en société. Je vous présente ici les arguments immanquablement présents dans le film, et ceux qui seront présents dans ses parties suivantes et dans les autres films créationnistes à venir. Ainsi, vous saurez par avance quoi y répondre.
1. L’évolution n’est pas solidement démontrée, ce n’est qu’une théorie !
=> Contrairement à ce que pensent les créationnistes, « théorie » n’est pas synonyme d’ « infondée » ou même d’ « hypothèse ». Une théorie est basée sur des preuves observationnelles nombreuses et solides, des expérimentations largement reproduites indépendamment et des calculs prédictifs fonctionnels. Une théorie scientifique est ainsi bien différente de ce qu’entend par là le grand public, à savoir une proposition gratuite balancée entre la poire et le fromage.
2. Vous n’avez pas de chaînon manquant, on n’a jamais vu de nageoire entrain de se transformer en pied !
=> Cette remarque pouvait se comprendre à l’époque de Darwin, mais depuis, et comme je l’ai expliqué plus haut, on a au contraire découvert de très nombreux et très importants fossiles de transitions montrant les évolutions entre les structures principales. Ça n’empêche pas les créationnistes de ressasser cet argument.
3. Tout ça est trop complexe pour être le fruit du hasard et doit avoir été dirigé par une intelligence supérieure (Intelligent design), une horloge doit avoir été fabriquée par un horloger !
=> L’évolution des espèces par sélection naturelle n’est pas aléatoire. Au contraire puisqu’en favorisant les variations qui conduisent à une meilleure capacité de reproduction de l’espèce, elle agit indépendamment du hasard et conduit au développement d’organes très complexes par petites étapes successives de génération en génération. On connait ainsi de nombreuses formes d’yeux intermédiaires, et parmi eux, des formes imparfaites, comme ceux des vertébrés dont les hommes, surpassés dans leur conception par ceux des mollusques. La conception du dessein intelligent étant censée être parfaite, et l’aboutissement ultime de cette perfection étant censé être l’homme, l’Intelligent design entre en contradiction patente avec les observations factuelles élémentaires. Il viole ainsi le premier principe du raisonnement logique.
4. L’évolution viole la seconde loi de la thermodynamique, car une pile de kapla jetée au sol ne formera jamais une structure organisée par hasard : les évènements aléatoires créent de la désorganisation, c’est la règle de l’entropie !
=> L’entropie opère dans un système fermé, ce que la Terre n’est pas. L’énergie solaire délivrée en permanence par le soleil entretient la vie et tous ses mécanismes.
5. La synthèse d’une protéine est im-po-ssi-bleuh : l’hémoglobine alpha 141 comporte 141 acides aminés successifs, la probabilité pour que le premier, la leucine, soit à sa place est de 1/20, mais la probabilité pour que les suivants soient à la leur est de (1/20)141 !
=> On ne peut pas utiliser des statistiques pour argumenter a posteriori. La probabilité pour qu’un étudiant dans un amphithéâtre ait son anniversaire à un jour donné est de 1/365. Si on suit le même raisonnement, la probabilité que chaque élève d’un amphi de 250 ait son anniversaire au jour prévu est de (1/365)250, et pourtant cet amphi existe bien ainsi que les anniversaires de chaque étudiant.
6. Sélection naturelle ne veut pas dire évolution : vous n’avez jamais pu voir un poisson se transformer en grenouille pour échapper à un prédateur !
=> Ce phénomène a été reproduit artificiellement et expérimentalement. Les différentes variétés de chiens, comme je l’ai expliqué plus haut, présentent des structures extrêmement éloignées, qui seraient probablement jugées comme appartenant à des espèces différentes si on en connaissait que des fossiles. On a pu reproduire expérimentalement de telles modifications de structures associées avec une perte de l’interfécondité. Dans la nature, cela correspond clairement au phénomène de spéciation.
7. La complexité du vivant est irréductible, la machinerie moléculaire de la cellule ne peut s’expliquer par des stades plus simples, car chaque partie d’un processus complexe est nécessaire à l’ensemble !
=> Mais chaque part n’évolue pas comme ensemble d’un système. Chaque part peut être ajoutée, retirée, modifiée tout en étant conservée à la génération suivante pourvu qu’elle permette la survie du système. L’évolution agit sur chaque part qui peut se complexifier au fil du temps par petites touches successives. Depuis 150 ans, les créationnistes ont souvent affirmé que telle ou telle structure était trop compliquée pour advenir naturellement. Chaque fois, une étude scientifique approfondie a permis de comprendre la voie évolutive possible au cours de laquelle la structure s’était formée.
J’espère que ce billet, même lu en diagonale, pourra tomber entre les mains de personnes s’étant posées des questions devant ce film créationniste, ou d’autres dans le même genre. Si c’était le cas, qu’ils sachent que la science ne s’intéresse pas au « pourquoi » -question hautement métaphysique posée en ouverture du film, comme c’est souvent le cas- et ne prétend pas y répondre (on pense même que la question n’a pas vraiment lieu d’être), mais elle s’intéresse au « comment ». C’est l’écueil systématique des créationnistes : prétendre répondre au « pourquoi » en faisant semblant de répondre au « comment », le tout sans aucune assise scientifique.
Si vous avez des questions à poser, même si elles vous semblent stupides ou naïves, n’hésitez pas à le faire dans les commentaires à la suite de ce billet.
« Si le glyphosate est sûr, allez-y, buvez-en ». C’est la punchline préférée des opposants aux aliments génétiquement modifiés. Je suis auteur scientifique, avocate des biotechnologies, et mère de 2 jeunes enfants. Si seulement je recevais 5 centimes à chaque fois qu’on me demande de boire du glyphosate ou du Roundup (la formulation commerciale du glyphosate), je nagerais dans les pièces de 5 centimes. L’idée selon laquelle le cartel agrochimique crée des variétés résistantes aux pesticides sans aucun souci de sécurité est persistante, mais fausse.
C’est pourquoi j’ai commencé à tweeter ironiquement sous le hashtag #IfItsSafeThenDrinkIt, et je vous implore de le suivre ! Une récente vidéo youtube dans laquelle un prétendu « lobbyiste de Monsanto », le Dr. Patrick Moore a refusé de boire un verre de glyphosate a jeté de l’huile sur le feu des anti-biotech. Le réalisateur français Paul Moreira a interrogé le défenseur de la biotechnologie qui fait des centaines d’interviews en live chaque année. Quand il a dit qu’il croyait que le glyphosate ne causait pas le cancer et qu’en boire un grand verre ne ferait pas de mal à un être humain, Moreira à amené un verre supposément rempli de glyphosate et a invité le Dr. Patrick Moore à en boire. Après quelques vifs échanges, Moore a lancé « non, je ne suis pas un idiot » et a quitté l’interview.
Le 29 mars, Moore a fait une déclaration confirmant qu’il n’est pas un lobbyiste de Monsanto et admettant qu’il avait fait une erreur dans l’interview. Sa bévue n’était pas d’avoir refusé de boire le verre qu’on lui proposait, mais d’avoir donné la possibilité au journaliste de le coincer et de perdre sa maîtrise de lui face à la caméra. Il aurait du expliquer plus clairement qu’alors que le glyphosate n’est pas dangereux pour l’homme, seulement un immature et un fou accepterait de relever ce défit digne d’une confrérie d’étudiants de 1ere année.
Nous devons donner une suite logique à l’erreur du pauvre Dr. Moore. L’échec persistant des américains à comprendre l’intégralité du principe de la toxicologie pour laquelle « la dose fait le poison » démontre le manque de formation à la pensée critique de notre nation [ndtr : pas mieux en France, où a été tournée l’interview]. En effet, il y a plein de substances qui sont sûres, dès lors qu’elles sont utilisées selon les recommandations, comme le glyphosate, mais personne de sain d’esprit n’en boirait un grand verre pour autant. Certains cas concrets amusants ont déjà fait le tour des médias sociaux via le hashtag #IfItsSafeThenDrinkIt. Qu’en est-il alors de quelques engrais organiques de Bioneem ? Yeah ! Ou alors, un verre bien frais de sel de table, de vinaigre, d’eau de vaisselle, ou de laxatifs ? Alors que le hashtag est ironique, il démontre la pure absurdité de prendre le refus de Moore de boire du glyphosate comme une démonstration de sa nocivité.
Alors que je ne suis pas chercheuse, comme auteur scientifique j’ai une très bonne compréhension de la génétique, la génomique, et les biotechnologies. Je sais qu’alors que le glyphosate tue les mauvaises herbes, il ne blessera pas l’homme s’il est utilisé correctement. Les humains, les mauvaises herbes et autres organismes présentent des fonctions vitales assurées par des protéines, les composants fonctionnels de base des êtres vivants. Elles ont plein d’utilités : structurelles, immunitaires, métaboliques, nutritives et enzymatiques et sont faites d’une chaîne d’acides aminés. De fait, chaque organisme a une façon particulière d’obtenir les acides aminés nécessaires à ses différentes sortes de protéines.
La voie métabolique du shikimate, qui n’existe pas chez les animaux, sert à produire des acides aminés spécifiques chez les mauvaises herbes. Les mammifères eux, ne synthétisent pas ces acides là. Les acides aminés essentiels que l’homme ne synthétise pas, il doit les obtenir par son alimentation (il y a d’autres acides aminés que l’homme synthétise, mais la voie métabolique de ceux là n’est pas atteinte par le glyphosate). Le glyphosate interfère avec la voie métabolique du shikimate, ce qui empêche la fabrication de certains acides aminés sans lesquels les mauvaises herbes ne peuvent pas produire des protéines essentielles à leur survie.
Je n’ai pas peur que le glyphosate me rende malade, non plus que ceux auxquels je tiens. Mais même quelqu’un n’ayant pas un très haut niveau scientifique et un peu de bon sens ne voudrait pas boire quelque chose simplement parce que c’est sûr.
En dépit de la classification récente de l’IARC (une agence de l’OMS) du glyphosate comme « probablement cancérigène », les scientifiques ne se prennent pas au jeu. Reprenant les propos d’autres experts, un maître de conférences en chimie analytique de Melbourne, le Dr. Oliver Jones a expliqué que « le public devrait être intéressé par le fait que l’IARC classe aussi 70 autres choses dans la catégorie « probablement cancérigène », dont le travail de nuit. Dans la plus haute catégorie des cancérigènes connus on trouve les boissons alcoolisées et l’exposition au soleil avec le plutonium ».
Le Dr. Jones a rappelé que « la dose fait le poison » : « Oui, les pesticides peuvent être dangereux, mais comme beaucoup d’autres choses communes qui sont également dangereuses dans des quantités et des expositions suffisantes ; la dose fait le poison ». Comme mère de deux jeunes enfants, je ne suis pas effrayée par le glyphosate et je continuerai d’acheter de la nourriture contenant des OGM. En effet, je crains beaucoup plus l’intrusion de la peur infondée dans l’esprit et le cœur de mes proches que des traces de résidus de pesticides. Si un jour j’accepte une interview par des anti-biotech, soyez avertis : si vous me demandez de boire du glyphosate, je vous demande du tac au tac de boire un grand verre de pesticide organique naturel.
Quelque chose de sûr mais que vous ne voudriez pourtant jamais boire ? Tweetez le avec le hashtag #IfItsSafeThenDrinkIt !
*** Kavin n’a pas vraiment avalé son dentifrice et ne condamne pas la consommation de liquides qui ne sont pas conçus pour l’être.
Caricature par James Gillray, 1802 : « La variole, ou les effets merveilleux de la nouvelle inoculation ! ». Cette caricature dépeint les allégations qui circulaient à l’époque selon lesquelles l’inoculation de la variole bovine (une procédure précurseuse de la vaccination que nous connaissons aujourd’hui) conduisait au développement de caractères bovins chez les inoculés. La proximité de telles représentations avec les allégations caricaturales qui peuvent encore irriguer les discours anti-OGM au 21e siècle sont assez frappantes (cette illustration et son commentaire ne figurent pas dans la version originale de l’article ici traduit).
Ce qui m’intrigue, c’est pourquoi les journaux libéraux [ndtr : aux USA, comprendre « progressistes »] reconnaissent les « mauvaises informations » sur les vaccins mais pas sur les OGM (Grist est dorénavant une exception notable, après avoir diffusé des informations biaisées sur les OGM pendant des années). Pour que ce soit clair, la science sur les OGM est aussi solide et reconnue que sur les vaccins. Alors pourquoi les journaux libéraux comme le Huffington Post, qui acceptent le consensus scientifique sur les vaccins, n’acceptent pas celui sur les OGM ?