En 2003, des chercheurs écrivant dans l’American Journal of Medicine ont découvert quelque chose qui pourrait changer la façon de penser les nouveautés médicales. Ils ont regardé 101 études publiées dans les meilleurs journaux scientifiques entre 1979 et 1983 qui proclamaient avoir découvert une nouvelle thérapie ou technologie médicale vraiment prometteuse. Seulement 5 d’entre elles aboutirent à une mise sur le marcher dans la décennie suivante. Seulement 1 d’entre elles était toujours vraiment utilisée au moment de la publication de 2003.
C’est une chose que vous ne saurez jamais en lisant la presse. Prenez une procédure miracle récente contre la MS (Multiple Sclerosis). La MS est une pathologie dégénérative sans traitement. Chez les patients, le système immunitaire attaque les enveloppes protégeant les nerfs, perturbant fatalement les communications entre le cerveau et le corps ainsi qu’une cascade de syndrome tragique : mouvements incontrôlés, perte de l’acuité visuelle, incontinences, décès prématuré.
En 2009, retournement : un chercheur italien, le Dr. Paolo Zamboni, affirme avoir guéri la MS de sa femme en « débloquant » les veines de sa nuque. Il postula que la MS n’était pas une maladie auto-immune mais une maladie vasculaire. La recherche était contre intuitive, elle donnait de l’espoir aux personnes atteintes de MS, et reposait sur une histoire personnelle séduisante impliquant la quête d’un homme pour sauver sa femme. C’était la voie royale pour les journalistes qui proclamèrent la « thérapie libératrice » comme un triomphe médical permis par une histoire d’amour.
Malheureusement cependant, la découverte de Zamboni n’avait pas la consistance qu’on lui prêtait. Ce qui n’avait pas attiré autant l’attention que la romance de l’histoire, c’était que cette étude était de petite taille et de qualité moyenne. D’autres chercheurs, qui essayèrent de répliquer les résultats échouèrent. Des cas de complications et de rechutes chez les patients firent bientôt surface.
Ce cycle recommence encore et toujours. Une étude initiale promet des miracles et des anecdotes font du battage autour. Puis les chercheurs montrent finalement que ce n’était que du vent.
« Il y a une grosse, très grosse différence entre la façon dont les médias pensent les nouvelles médicales et comment les scientifiques les pensent », me disait récemment Naomi Oreskes, professeur d’histoire des sciences à Harvard lors d’une interview. « Pour vous, ce qui fait que c’est nouveau, c’est que c’est nouveau -et ça crée un biais dans les médias qui recherchent les résultats ultra récents. A mon avis, les résultats ultra récents devraient être considérés comme probablement faux ».
Beaucoup d’études médicales sont erronées.
C’est un fait que toutes les études sont biaisées et imparfaites. La réalité émerge dans le foisonnement d’études sur une même question. Cette réalité n’émerge pas de miracles, d’idées uniques et géniales, ou du « moment eureka ». Elle arrive après un long et laborieux travail d’examen minutieux des résultats, de leur réplication, et de leur discussion dans la communauté scientifique. Le but de tout cela est de donner des résultats fiables et précis, et non les résultats farfelus d’une unique expérience ou les biais de la croisade d’un chercheur solitaire.
De la façon dont fonctionne la science, nous, journalistes, et notre audience, ne nous saisissons que des découvertes prometteuses. Ces découvertes ultra récentes sont excitantes et pourraient – pourraient, seulement – révolutionner la médecine et mettre fin aux souffrances de nombreuses personnes. Nous sommes souvent poussés à faire du battage autour de scientifiques, comme Zamboni, qui sont déjà sous la pression de l’obtention de financements de recherches et de publications.
Nous n’attendons pas le consensus scientifique, nous en rapportons peu, et trop tôt, et nous laissons les patients et les décideurs politiques à des gaspillages, des blessures, ou des voies sans issue qui aboutissent à des espoirs déçus et des échecs médicaux.
Cette tendance pourrait être minimisée si nous pouvions simplement nous rappeler que l’écrasante majorité des études en médecine sont des échecs.
Matthew Herper a récemment détricoté un nouveau documentaire à propos d’un traitement « miraculeux » contre le cancer. Alors que la thérapie expérimentale montrée dans le film semble être le Saint Graal sur le moment, elle est aussi la dernière d’une longue liste de solutions apparemment « révolutionnaires ». D’après l’une des sources d’Herper, en fait, il y a plus de 200 échecs recensés de supposés traitements révolutionnaires contre le cancer ces dernières années.
Un recensement des découvertes cliniques montre qu’en moyenne, seulement 3000 des 50 000 articles publiés chaque année reposent sur un protocole solide et sont suffisamment significatifs pour relever du soin aux patients. Ça représente 6%.
Assez souvent, une étude en contredit une autre, comme celles sur différents types d’aliments supposés prévenir ou accroître le risque de cancer. La réalité est quelque part dans l’ensemble de ces études, mais nous rapportons chaque étude isolément avant un nouveau volte face (le vin rouge allongera votre espérance de vie pendant une semaine avant de vous tuer la semaine suivante).
Pour une étude qui cherchait à déterminer si ce que nous mangeons quotidiennement est associé à des risques de cancer, on a sélectionné 50 ingrédients présents dans les recettes du Boston Cooking-School Cook Book. Beaucoup d’aliments ont fait l’objet de publications clamant à la fois des résultats positifs et des résultats négatifs.
Les chercheurs ne peuvent pas toujours répliquer les résultats des autres, et pour diverses raisons, beaucoup n’essaient même pas. Finalement, 85% -soient 200 milliards de dollars- des dépenses annuelles pour la recherche sont gaspillés dans des études mal conçues ou redondantes.
Ainsi, les résultats des recherches médicales récentes seront généralement faux avant que peut-être, finalement, si nous sommes chanceux, ils se révèlent corrects. Concrètement, seule une petite partie de tout ce qui est nouveau en science sera utile aux hommes.
Il n’y a pas de traitement contre notre addiction au battage médiatique autour des découvertes médicales.
Nous vivons une époque sans précédant d’exploration scientifique. A travers internet, nous avons ce monde de connaissance à portée de main. Mais plus d’informations implique de facto plus de mauvaises informations, et le besoin de scepticisme n’a jamais été aussi grand.
Je me demande souvent si il y a le moindre véritable intérêt à rapporter des recherches très récentes. Les journaux publient leurs résultats, et le public s’en saisit, mais ça n’a pas toujours été le cas : les journaux ont été élaborés pour la discussion de pair à pair, non la consommation de masse.
Pour les journalistes, il est difficile dans le système médiatique actuel de résister au chant des sirènes de l’exclusivité. Nous sommes incités à trouver de nouveaux sujets sur lesquels écrire, tout comme les scientifiques et les instituts de recherche ont besoin d’attirer l’attention sur leurs travaux. Les patients, bien sûr, veulent de meilleurs soins médicaux, de meilleurs protocoles, et de l’espoir.
Mais ce cycle nous heurte et obscurcit la réalité scientifique que les recherches ont à nous présenter (en dépit des résultats extrêmement ténus et non validés de la thérapie contre la MS, des patients en souffrant ont traversé le monde entier pour faire lever des fonds et inciter les politiques à favoriser les recherches sur le traitement).
Pour ma part, j’ai essayé de rapporter les études récentes dans leur contexte, avec une revue systématique -les meta-analyses de toutes les meilleures études sur des questions cliniques- à chaque fois que c’était possible. Lorsque des scientifiques ou des journalistes livrent prématurément une découverte au public, j’essaie d’expliquer que la réalité est probablement toute autre, que ce n’est probablement pas une révolution du tout. Plus je le fais, et plus je réalise la justesse des propos de Oreskes d’Harvard, John Ioannidis de Sanford et que d’autres chercheurs reconnus répètent depuis des années : nous avons besoin de voir l’accumulation des découvertes scientifiques, dans cet ensemble nous trouverons ce qui sera susceptible d’aboutir à des avancées pour le bien être des individus et des sociétés.
Lorsqu’on se détourne de la pile des traitements magiques et miraculeux, on se concentre plus probablement sur les choses qui comptent vraiment pour la santé, notamment l’éducation, l’égalité, l’environnement.
Ce n’est pas toujours facile, et les forces à l’œuvre sont puissantes. Mais j’essaie de procéder minutieusement, de me rappeler à moi même que beaucoup de ce que je vois aujourd’hui est irrémédiablement imparfait et qu’il est nécessaire de laisser le temps au temps.
Jenny McCarthy faisant étalage de son « expertise » lors d’un meeting « Green Our Vaccines », Washington, 2008.
Le thème majeur du blog Science-Based Medicine, c’est l’application de la bonne science en médecine pour maintenir et améliorer la qualité des soins aux patients. De fait, on passe un temps considérable à disséquer les traitements médicaux basés sur les pseudo-sciences, la mauvaise science, la non-science, et à essayer de prévenir leur contamination de la médecine par leurs assertions et leurs traitements non scientifiques. Souvent, ces assertions et traitements sont décrits comme challengeant le consensus scientifique et finissent par être présentés aux médias – voire malheureusement parfois dans la littérature scientifique – comme des alternatives valides à la médecine [ndtr : à la médecine scientifique]. Pensez à l’homéopathie. Pensez aux points de vue anti-vaccination. Pensez aux divers traitements anti-cancer alternatifs. Quand une telle médecine pseudo-scientifique est critiquée, la réaction fréquente de ses tenants est d’attaquer le consensus scientifique. En effet, j’ai [ndtr : David Gorski] montré dans un autre article que le chiffon rouge de tels charlatans est une est une hostilité envers le concept même de consensus scientifique.
J’ai même cité comme exemple de cette attitude un tweet de Jane Orient, MD, directeur de l’American Association of Physicians and Surgeons (AAPS). C’est une organisation de médecins franc-tireur dans l’action de rejeter le consensus scientifique sur l’innocuité de la vaccination, son absence de lien avec l’autisme ou le syndrome de mort subite du nourrisson (SIDS, Sudden Infant Death Syndrome), que le VIH est la cause du SIDA et que l’avortement ne cause pas le cancer du sein, pour n’en citer que quelques uns. On voit également l’AAPS embrasser quelques points sérieusement farfelus et très à droite [ndtr : on parle des USA] comme l’inconstitutionnalité du Medicare ou encore le fait que les médecins ne devraient pas être liés à la déontologie les forçant à une pratique basée sur les connaissances scientifiques qui seraient un affront à la relation privilégiée médecin-patient et à la liberté d’un praticien de faire à peu près ce qu’il veut pour traiter un patient.
Je poste à nouveau le tweet du Dr. Orient :
« Le scepticisme est l’essence de la science ; le consensus est sa mort »
Comme je l’ai dit à cette époque, en surface, cela semble plutôt raisonnable, mais, comme je l’ai discuté à de nombreuses reprises, la science consiste en fait à aboutir à un consensus provisoire à propos de la façon dont l’univers fonctionne. De tels consensus sont challengés en permanence par les scientifiques. Parfois, ils se révèlent incorrects et nécessitent une révision, et parfois ils sont renforcés. C’est ainsi que la science fonctionne.
La raison pour laquelle j’ai soulevé ce problème, c’est que je suis tombé sur quelques articles à propos de ce sujet. Le premier est de John Horgan, intitulé « Everyone, Even Jenny McCarthy Has the Right to Challenge Scientific Experts ». Ayant une tendance au sarcasme, ma première pensée à été de renvoyer ça comme un homme de paille (du moins le titre), car je sais qu’aucun défenseur de la science (moi le dernier) ne dirait qu’un non expert –oui, même Jenny McCarthy- n’a pas le droit de challenger les experts. Quand on se plaint à propos du faux équilibre, ce n’est pas parce que nous pensons que les anti-vaccinistes, par exemple, n’ont pas le droit de challenger des experts supportant le consensus scientifique. C’est plutôt parce que nous argumentons –correctement, je pense- que les médias présentent bien trop souvent ces challenges comme faussement équivalents au véritable consensus scientifique alors challengé et à mettre en substance quelqu’un comme Jenny McCarthy sur le même plan que de vrais scientifiques. Les exemples abondent et ont été discutés sur ce blog même, embrassant beaucoup de sujets d’importance, comme Influenza, les traitements douteux pour le cancer, l’homéopathie, l’innocuité et l’efficacité des vaccins, la psychose alimentaire de Vani Hari (alias The Food Babde) et beaucoup d’autres sujets.
« Il y a des années, j’étais entrain de donner un cours de science à l’école de journalisme de Columbia sur les difficultés à couvrir les médicaments psychiatriques quand un étudiant, qui , je me rappelle, était médecin, leva la main. Il dît qu’il n’avait pas compris le problème, que je devrais simplement rapporter les faits que les pharmacologues rapportent dans les journaux scientifiques.
J’étais tellement ébahi par une telle naïveté que je l’ai simplement fixé, en essayant de comprendre comment répondre poliment. J’ai eu une réaction similaire en tombant sur le texte récent du journaliste Chris Mooney : « This is Why You Have No Business Challenging Scientific Experts ».
Mooney est affligé, assez clairement, que tant de gens rejettent le consensus scientifique sur les causes anthropiques du réchauffement climatique, l’innocuité des vaccins, la cause virale du SIDA, l’évolution des espèces. Mais la solution proposée par Mooney pour les non scientifiques de céder à l’opinion des « experts » est bien trop drastique ».
Assez bizarrement, l’article de Chris Mooney cité par Horgan n’est pas particulièrement récent. Quasiment 10 mois. Quoi qu’il en soit, oui, cet étudiant malchanceux avait une attitude assez naïve, mais ce qu’il dît alors n’était pas vraiment relatif à ce que Mooney argumentait, nonobstant le rapprochement qu’en fait Horgan. Il y a une différence non négligeable entre dire « vous n’avez pas d’intérêt à challenger les experts scientifiques » et « vous n’avez pas le droit de challenger les experts scientifiques ». Le premier est un avertissement donné aux gens n’ayant pas l’expertise appropriée pour challenger un consensus scientifique sans dire pour autant qu’ils n’aient pas le droit d’entreprendre un tel challenge. Ce à quoi appelle Mooney, c’est la reconnaissance que concernant le challenge d’expertise, il faut bien plus qu’une recherche Google.
L’article de Mooney reposait largement sur le point de vue du Pr. Harry Collins de Cardiff University, qui dirige le Centre For The Study Of Knowledge Expertise Science de la faculté de sciences sociales. Plus spécifiquement, Mooney parlait d’un livre de Collins intitulé Are We All Scientific Experts Now? Dans ce livre, Collins livre une solide défense de l’expertise scientifique. D’après Mooney, Collins est connu pour son enquête pour laquelle il fut immergé pendant une dizaine d’années dans la communauté des physiciens des ondes gravitationnelles au point qu’il devint si familier de leur culture qu’il parvenait à piéger les physiciens en leur faisant croire qu’il était l’un d’entre eux. Pendant cette période il réfuta plusieurs mythes à propos de la science, comme « l’instant eureka » et l’idée selon laquelle les scientifiques suivent toujours les données où elles mènent quand en fait parfois ils s’accrochent à maintenir des paradigmes à la face de nouvelles preuves contraires. Comme Mooney le souligne, tout ça fait que « pendant que le processus scientifique se poursuit dans le long terme, le court terme est vraiment désordonné, plein de fariboles, d’erreurs, de confusions, et de personnalités ».
J’ai dit presque exactement la même chose moi-même plus de fois que je ne peux m’en souvenir. A court terme, la science peut être incroyablement désordonnée. Les résultats préliminaires prometteurs révèlent souvent un effet déclin, et apparaissent moins solides. En médecine, en particulier, les praticiens et les scientifiques s’accrochent parfois à d’anciens paradigmes plus longtemps qu’ils ne devraient en dépit des données nouvelles. D’un autre côté, parce que des vies humaines sont en jeu, c’est assez compréhensible. Parc qu’avoir tort en médecine à propos de nouvelles découvertes peut causer de véritables dommages aux êtres humains, les praticiens tendent à être plutôt conservateurs dans leur pratique et exigent des preuves très solides. Parfois, cette tendance va trop loin. En effet, un trait d’humour circulant en médecine affirme qu’aucun traitement n’est jamais vraiment abandonné tant que le dernier lot de médecins qui y ont été formés n’est pas retraité ou mort. En fait, ce n’est pas si mal, et les médecins sont attentifs aux études négatives. Il y a beaucoup de choses que nous faisions comme chirurgiens dans les années 90 pour traiter le cancer du sein, par exemple, que l’on ne fait plus et des choses qu’on ne faisait pas alors (et auxquelles on avait pas encore pensé) que l’on fait maintenant. Il y a aussi une tendance compensatoire chez les médecins à sauter sur le train en marche de nouveaux traitements avant leur validation totale, parfois pour des avantages commerciaux, parfois simplement pour faire partie des pionniers. La cholecystectomie laparoscopique au début des années 90 vient immédiatement en tête comme exemple de cette tendance.
De même, aussi désordonnée que soit la science, je suis d’accord avec Mooney lorsqu’il dit que dans le long terme, le processus scientifique fonctionne. J’aime aussi le concept de Tableau Périodique des Expertises de Collins, décrit par Mooney :
« Lisez tout ce que vous voulez en ligne, dit Collins, ou même, lisez la littérature scientifique professionnelle comme un outsider ou un amateur. Vous allez intégrer beaucoup d’informations, mais vous n’aurez toujours pas ce qu’il appelle l’expertise interactionnelle, qui est l’expertise résultant de la fréquentation intime d’une communauté scientifique et de l’échange d’opinions avec ses membres.
‘Si vous tenez vos informations uniquement de journaux, vous ne pouvez pas dire si un papier est pris au sérieux par la communauté scientifique ou pas’, dit Collins. ‘Vous ne pouvez pas avoir une bonne image de ce qui est entrain de se dérouler en science depuis la littérature’. Et bien entendu, les commentaires internet biaisés et idéologiques sur cette littérature sont encore plus dangereux. »
L’expertise interactive requière une solide expérience avec une spécialité du genre de celle qui ne peut s’acquérir seulement en lisant la littérature et implique par essence, dans une certaine mesure, une véritable expérience dans l’étude et la recherche pour la spécialité concernée. Nos professeurs en faculté de médecine soulignent souvent que la moitié de ce que nous étudions sera obsolète dans dix ans. Que l’estimation exacte soit juste ou non n’est pas le point important qui est que la médecine et la connaissance médicale changent assez rapidement au gré des nouvelles découvertes scientifiques et que nous, les médecins, devons apprendre à nous adapter et à intégrer ces nouveautés dans notre pratique. Il n’est pas inhabituel pour gérer toutes ces nouveautés de s’en remettre à la société des médecins et des scientifiques. Une façon de faire cela est d’assister à des conférences médicales et scientifiques relevant de notre spécialité. (Par exemple, je vais à Houston plus tard cette semaine pour assister au colloque de la Society for Surgical Oncology, et en avril je vais assister au colloque annuel de l’American Association for Cancer Research à Philadelphie). Nous formons des sociétés de professionnels qui rassemblent des groupes d’experts ensemble pour régulièrement produire et actualiser les guidelines basées sur les meilleurs données existantes.
Pour montrer la différence entre la connaissance de la littérature et la connaissance interactionnelle, Collins utilise cette analogie :
« L’étape suivante après la compréhension populaire est le genre de connaissance venant avec la lecture de la littérature de première main ou de quasi première main. On appellera ça la ‘source de connaissance primaire’. De nos jours, internet est une ressource puissante pour ce type de matériel. Mais même les sources primaires fournissent seulement une étroite ou laborieuse appréciation de la science dans ses zones profondément discutées bien que cela soit loin d’être évident : lire la littérature primaire peut être si difficile, et le matériel peut être si technique que cela donne l’impression qu’un véritable mystère technique est entrain de s’accomplir.
Il se peut que les niveaux de certitude qui viennent avec la littérature primaire soient un facteur nourrissant la ‘sagesse des peuples’ [le point de vue selon lequel les gens ordinaires sont sages dans les domaines de la science et de la technologie]. Mais n’importe quel amateur essayant d’appliquer les connaissances acquises dans un manuel de réparation automobile finira bien assez tôt par apprendre que beaucoup moins peut être fait en ayant seulement lu que ce qui pourrait réellement l’être en la matière. Le même principe s’observe chez les doctorants en science. Leur première expérience de véritable recherche scientifique est généralement un choc bien qu’ils soient habitués à lire la littérature scientifique et à reproduire des expériences. Mais même les scientifiques expérimentés ont tendance à ne pas mesurer la masse de connaissance tacite dont dépend leur activité. Ainsi, les études sur la transmission des connaissances tacites montrent, entre autres, que les scientifiques vont s’embarquer en confiance dans un projet expérimental en ayant rien fait de plus que lire la littérature et, seulement plus tard, découvrir le degré de pratique associée et d’échanges verbaux nécessaires au succès de l’expérimentation (pour générer la capacité à faire la chose plutôt qu’à en parler). Étant donné le manque de recul sur leurs propres connaissances tacites des scientifiques, ce n’est pas une surprise que le public naviguant sur des publications scientifiques ou le net puisse facilement en venir à penser qu’il a trouvé une source de compréhension directe.
Une image familière de nos jours est celle du patient informé visitant son médecin, armé d’une pile de documents imprimés et trouvés sur internet. Alors que ces informations rassemblées, spécialement dans le contexte d’une discussion de groupe, peuvent être intéressantes, il est important de ne pas perdre de vue ce que les sociologues ont mis en évidence : une solide formation et expérience est nécessaire pour évaluer de telles informations. Les sociologues de la science semblent oublier les leçons de leur propre sujet assez facilement. »
Exactement.
Rien de cela ne revient à dire que ceux qui n’ont pas atteint ce niveau de connaissance interactionnelle sur un sujet n’ont pas le droit de critiquer le consensus scientifique sur ce sujet. En revanche, cela avertit ceux qui voudraient être critiques d’éviter l’orgueil de penser que leur science populaire ou même leur connaissance de la littérature primaire est suffisante.
C’est également important de se rappeler qu’il y a des consensus scientifiques, et que donc il y a des consensus scientifiques. Ce que je veux dire, c’est que certains consensus sont plus forts que d’autres, chose qu’Horgan semble ignorer ou minorer. Par exemple, il semble assez content de lui-même lorsqu’il fait quelque chose de bien que Stephen Hawking a fait de mal. L’année dernière, les cosmologistes ont entrepris un projet appelé Background Imaging of Cosmic Extragalactic Polarization (BICEP2) ayant rapporté la première preuve directe d’inflation cosmique, une théorie selon laquelle l’univers est passé par une période extrêmement rapide d’expansion tout de suite après le Big Bang. Hawking a fait un pari avec un autre scientifique, un cosmologiste, Neil Turok, directeur du Perimeter Institute au Canada, que les ondes gravitationnelles des premiers instants après le Big Bang seraient détectés par BICEP2. Il a même crié victoire sur la BBC, conduisant quasiment Horgan à l’énervement avant qu’Hawking ne se révèle avoir tort :
« Rien de moins qu’une autorité comme Stephen Hawking a déclaré que les résultats de BICEP2 présentaient ‘une confirmation de l’inflation’. J’ai néanmoins anticipé Hawking et les experts de BICEP2, réitérant mes doutes acquis de longue date sur l’inflation. Et devinez quoi ? Hawking et l’équipe de BICEP2 avaient tort.
Je ne suis pas entrain de me vanter. Ok, peut être, un peu. Mais mon opinion est que je faisais ce que les journalistes sont supposés faire : questionner les assertions même si –spécialement si- elles viennent de sources faisant autorité. Un journaliste qui ne fait pas ça n’est pas un journaliste. Il est un agent de presse aidant les scientifiques à colporter leur production ».
Là est le problème. Il y a une différence énorme entre le consensus scientifique bien établi et l’avant-garde de la cosmologie. Oui, Stephen Hawking est indéniablement un expert, mais il exprimait une opinion scientifique sur un sujet qui n’était pas (et n’est toujours pas) du tout une science établie. Son erreur n’est pas honteuse. Il s’est avéré que l’équipe de BICEP2 s’est fondue avec un autre groupes de scientifiques de l’Agence Spatiale Européenne (ASE) pour analyser les données de BICEP2 et du satellite Planck de l’ASE et ils trouvèrent que les précédentes analyses avaient négligé des facteurs pouvant produire de faux positifs. Encore une fois, c’est le genre de retournement qui n’est pas inhabituel quand les chercheurs sont à la pointe des découvertes scientifiques.
C’est une chose vraiment différente lorsque la science nous dit que l’homéopathie ne peut pas marcher, que les vaccins sont sûrs et efficaces, que les traitements énergétiques relèvent plus de la magie que de la science. De plus, comme un commentateur l’a fait remarquer à Horgan, les « tout premiers doutes raisonnables (c’est-à-dire basés sur de vrais arguments scientifiques) à propos des résultats de BICEP2 étaient postés sur des blogs de cosmologistes professionnels, et non pas par les questions soulevées par les journalistes eux-mêmes (bien que oui, ils aient été relayés plus tard par les journalistes) ». Aussi, comme un autre commentaire l’a souligné, le fait que l’équipe de BICEP2 avait tort à propos de l’interprétation de leur expérimentation ne signifie pas nécessairement qu’elle avait tort à propos de l’inflation cosmique. Ce commentaire soulignait aussi (comme je viens de le faire), que l’inflation n’est pas encore une théorie faisant consensus.
Horgan continue en disant que « c’est précisément parce que nous, journalistes, sommes des outsiders, que nous pouvons parfois juger un domaine plus objectivement que des insiders ». Bien, oui et non. Il pourrait bien être possible pour un outsider comme Horgan de juger des conflits d’intérêt, divulgués ou non, plus aisément que ne pourraient le faire des « insiders », comme dans le cas des financements pharmaceutiques et l’influence sur le développement des médicaments. En effet, compulsez simplement par exemple l’un des excellents travaux de Brian Deer exposant la fraude scientifique d’Andrew Wakefield. Regardez simplement ce que Ben Goldcare a accompli. A moins qu’Horgan n’atteigne le niveau de connaissance interactionnelle, ses avis sur un domaine scientifique, en particulier sur le consensus dans ce domaine là, ne devraient pas être traités comme étant équivalents à ceux des vrais experts.
Malheureusement, Horgan loupe ce point dans sa conclusion :
« Google est entrain de travailler sur des algorithmes pour évaluer la crédibilité des sites web basée sur leur contenu factuel. Mais il n’y aura jamais le moindre moyen de déterminer a priori si un consensus scientifique donné est correct ou non. Vous devez faire le travail compliqué d’investigation et peser les pours et les contres. Et n’importe qui peut faire ça, moi y compris, Mooney et même Jenny McCarthy.
L’article d’Horgan référencé dans la dernière phrase (Michele Bachmann Wasn’t Totally Wrong about HPV Vaccines) m’a fait bondir sur ma chaise. Bien qu’Horgan souligne qu’il ne croyait pas les inepties de Bachmann à propos du Gardasil causant des retards mentaux, il semble agglomérer les questions sur la stratégie marketing de Merck pour le Gardasil pour savoir si une vaccination de masse en vaut la dépense avec des propos jetant le discrédit sur le Gardasil par la critique de ce marketing pharmaceutique plutôt qu’en se concentrant sur l’analyse de la balance scientifique risques-bénéfices du vaccin.
Beaucoup de commentateurs ont d’excellentes répliques à opposer à l’argument d’Horgan selon lequel n’importe qui, y compris Jenny McCarthy, Chris Mooney, et biensûr, John Horgan, peut faire le « travail compliqué d’investigation dans » un consensus scientifique et « peser les pours et les contres » : et n’importe qui peut jouer au Basket, y compris moi, Michael Jordan, et Stephen Hawking.
Ou encore :
« Les gens peuvent prétendre être des scientifiques. Ça ne fait pas d’eux des scientifiques. Ils peuvent oublier qu’ils ont échoué en mathématiques au collège, réussi en histoire de l’art à la faculté, et sont devenu acteurs. Je peux aussi oublier que je n’ai pas joué au Real ou à Manchester, mais le foot, c’est quand même cool. L’expertise nécessite beaucoup de travail difficile. Les gens prétendant avoir de l’expertise quand ils n’en ont pas sont arrogants. James Inhofe lançant une boule de neige n’est pas expert en climatologie. Appelez ça un coup de com’ si vous voulez, mais c’était un coup de com’ qui a montré qu’il ne connaissait pas la différence entre climat global et temps local. Oui il a le droit d’avoir ses croyances, mais les autres ont le droit d’en rire si ses croyances relèvent d’une profonde ignorance ».
Précisément. C’est là que Horgan loupe encore le problème. Ce n’est pas à propos des gens sans expertise qui n’auraient pas le « droit » de questionner le consensus scientifique. Clairement, une lecture honnête de cet article indique que même Mooney n’entend pas ça lorsqu’il dit « vous n’avez pas d’intérêt » à questionner le consensus scientifique. (Ceci dit, comme je l’ai récemment appris en publiant sur Slate.com, c’est habituellement l’éditeur qui choisit le titre, non l’auteur). Ça concerne plutôt la façon dont ce concensus est interrogé. Quand il est interrogé comme Jenny McCarthy et les anti-vaccinistes le font, usant de désinformation, de pseudo-science, de cherry-picking et d’interprétations erronées d’autres études scientifiques, un tel challenge se mue en négationnisme et devrait être exclu. En d’autres termes, ce qui compte, c’est comment on questionne les découvertes scientifiques. Vraiment.
Finalement, c’est aussi de savoir comment le questionnement d’un consensus scientifique par un non expert devrait être évalué. Quelqu’un comme Horgan devrait avoir un minimum de crédibilité pour questionner un consensus scientifique basé sur son expérience comme journaliste scientifique, particulièrement lorsqu’on parle de quelque chose qui n’est pas un consensus fort (l’inflation cosmique), et si encore il s’agit bien d’un consensus. Quelqu’un comme Jenny McCarthy, sans aucune expertise pertinente même en atteignant le niveau de connaissance de la littérature primaire, n’a pas de crédibilité du tout. Des gens comme moi ou Mooney disant qu’elle n’a « pas d’intérêt » à faire de telles déclarations est simplement le prix qu’elle paye pour étaler son ignorance devant le monde entier, particulièrement quand son ignorance contribue à de réelles dégradations de la santé publique par l’augmentation du nombre de parents na vaccinant pas leurs enfants. Ultimement, ce que semble défendre Horgan, c’est que l’on devrait prendre les pseudo-expertises au sérieux. Je ne suis pas d’accord.