Article publié par Thom Scott-Phillips sur The Conversation le 23 mars 2015.
Les croyances anti-vaccination peuvent causer de réels et substantiels problèmes de santé comme on a pu le voir avec la récente épidémie de rougeole aux USA. Ces évènements sont aussi choquants et inquiétants que leurs conséquences sont prévisibles. Mais si ces conséquences sont si prédictibles, pourquoi les croyances persistent-elles ?
Ce n’est pas simplement que les anti-vaccinistes ne comprennent pas comment les vaccins fonctionnent (certains peut-être, mais pas tous). Ce n’est pas non plus que les anti-vaccinistes sont opposés à toute la médecine moderne (je suis certain que beaucoup d’entre eux prendront tout de même des antidouleurs s’ils en ont besoin). Donc le problème ne se résume pas à une stupidité crasse. Certains anti-vaccinistes ne sont pas à ce point stupides, et certaines personnes à ce point stupides ne sont pas anti-vaccinistes. Il y a quelque chose de plus subtil à l’œuvre.
Les théories naïves
Nous avons ce que les psychologues appellent les théories « populaires » ou les théories « naïves » quant à notre vision de la façon dont le monde fonctionne. Vous n’avez pas besoin d’apprendre les lois de Newton pour croire qu’un objet tombera sur le sol s’il ne repose sur aucun support. C’est une partie de notre physique naïve qui nous donne une bonne capacité de prédiction pour des objets de taille moyenne sur Terre.
La physique naïve n’est en revanche pas un si bon guide en dehors de cet environnement. Les physiciens professionnels qui travaillent sur des objets microscopiques et gigantesques ainsi que l’univers au-delà de notre planète, produisent souvent des connaissances agressives pour le sens commun.
Aussi bien qu’en physique, nous avons des théories naïves du monde naturel (la biologie naïve) et du monde social (la psychologie naïve). Un exemple de biologie naïve est la « causalité vitaliste », la croyance intuitive qu’un pouvoir vital ou une force de vie acquise grâce à la nourriture et à l’eau que nous consommons est à l’origine de l’efficacité de l’être humain, le prémunissant de la maladie et lui permettant de grandir. Les enfants acquièrent cette croyance très jeunes.
Des théories naïves en tous genres tendent à persister même face à des preuves et à des arguments contradictoires. De manière encore plus intéressante, elles persistent même chez des personnes qui, à un plus haut degré de compréhension, savent qu’elles sont fausses.
Dans une étude, des adultes ont été questionnés très rapidement sur l’état « vrai » ou « faux » d’assertions scientifiques qui leur étaient présentées. Ces assertions pouvaient être scientifiquement vraies et naïvement vraies (« une balle en mouvement perd de la vitesse »), scientifiquement vraies mais naïvement fausses (« une balle en mouvement perd de l’altitude »), scientifiquement fausse mais naïvement vraie (« une balle en mouvement perd de la force »), ou scientifiquement fausse et naïvement fausse (« une balle en mouvement perd du poids »).
Les adultes avec un haut degré d’éducation scientifique trouvaient les bonnes réponses, mais étaient significativement plus lents à répondre quand la théorie naïve contredisait leur compréhension scientifique. La compréhension scientifique ne remplace pas les théories naïves, elle les supprime.
Les idées fixes
Au fur et à mesure que des idées se répandent dans une population, certaines se fixent et deviennent communes et d’autres non. La science de ces phénomènes est appelée épidémiologie culturelle. De plus en plus de résultats dans ce domaine montrent comment les théories naïves jouent un rôle majeur dans le fait de rendre des idées plus fixes que d’autres. De la même manière que certains d’entre nous ont une vulnérabilité biologique naturelle à certaines bactéries alors que d’autres ne l’ont pas, nous avons une vulnérabilité psychologique naturelle à certaines idées et pas à d’autres. Certaines croyances, bonnes ou mauvaises, sont tout simplement infectieuses.
Voici un exemple : la saignée a persisté en Occident pendant des siècles, alors même que c’était très souvent dangereux pour le patient. Une revue récente des données ethnographiques a montré que la saignée a été pratiquée d’une manière ou d’une autre dans beaucoup de cultures sans rapports les unes avec les autres tout autour du monde.
A la suite de ça, une expérimentation a montré comment les histoires qui n’ont originellement aucun rapport avec la saignée (par exemple une coupure accidentelle), peuvent, quand elles sont répétées encore et encore, devenir des histoires à propos de la saignée même chez des individus sans aucun rapport avec cette pratique.
Ces résultats ne peuvent pas être expliqués par l’efficacité médicale de la saignée (qui est dangereuse) ou par la perception qu’on se ferait des médecins occidentaux (puisque beaucoup des populations concernées par cette étude n’avaient aucun rapport avec eux). En fait, le succès culturel de la saignée vient de ce qu’elle consonne avec notre biologie naïve et en particulier notre idée intuitive de la causalité vitaliste.
La saignée est une réponse naturelle à une croyance naïve selon laquelle la force vitale de l’individu a été polluée d’une manière ou d’une autre et que cette pollution doit être extraite. Les croyances anti-vaccination en sont un complément naturel : les vaccinations sont des poisons potentiels qui doivent être retirés du corps à tout prix.
A un niveau naïf, intuitif, nous pouvons tous nous identifier à ces croyances. C’est pourquoi on peut les voir tournées en ridicule dans les divertissements.
Dans Dr. Strangelove de Stanley Kubrick, le général américain Jack D. Ripper explique à Lionel Mandrake, capitaine de la Royal Air Force, qu’il boit uniquement de l’eau distillée, de l’eau de pluie et de l’alcool pur malt, car, croit-il, l’eau du robinet est délibérément empoisonnée par les communistes pour « ruiner et corrompre tout nos précieux fluides corporels ». Cette blague fonctionne car la paranoïa de Ripper porte sur quelque chose que nous reconnaissons tous : le besoin de garder notre corps pur de toute agression de substances étrangères. Les anti-vaccinistes pensent qu’ils font de même.