[Synth] « Science vs. Conspiration : contes collectifs à l’époque de la désinformation »

Les auteurs d’une étude italienne publiée dans Plos One en février 2015 ont étudié la façon dont les informations, selon qu’elles viennent de médias conspirationnistes ou de médias scientifiques mainstream, se diffusaient, s’implantaient, et formaient des communautés sur Facebook. Ils se sont pour cela reposés sur un échantillon de 1,2 millions d’individus.

L’avènement du web a fondamentalement changé la dynamique de l’information. Dans ce cadre récent, la pertinence des faits se fond avec des informations déformées voire totalement fausses conduisant ainsi à la création d’un mix d’informations totalement nouvelles.

Comme il a déjà été souligné, les individus peuvent ne pas être informés ou être désinformés, et les corrections apportées lors de la diffusion et l’émergence de croyances erronées ne sont pas efficaces. On a vu par exemple que les campagnes de debunking en ligne avaient plutôt tendance à créer un effet contraire à celui qui était recherché en renforçant les croyances des tenants de théories conspirationnistes.

Dans cet article, une équipe de chercheurs italiens a classé les schémas de traitement de l’information des internautes selon que celle-ci vienne de médias scientifiques mainstream ou de médias conspirationnistes. Les médias scientifiques diffusent des informations de même nature et les sources en sont faciles d’accès. Les médias conspirationnistes aspirent à diffuser les informations négligées et manipulées par les premiers. Plus précisément, les thèses conspirationnistes tendent à réduire la complexité de la réalité en expliquant certains aspects sociaux ou politiques comme des complots conçus par des individus ou des organisations puissantes. Puisque ce genre de positions peut parfois impliquer le rejet de la science, des explications alternatives sont invoquées pour remplacer les preuves scientifiques. Par exemple, les personnes rejetant le lien entre VIH et SIDA croient généralement que ce dernier a été créé par le gouvernement des Etats-Unis afin de contrôler la population afro-américaine.

La diffusion de la désinformation dans un tel contexte peut être particulièrement difficile à détecter pour l’utilisateur à cause de la tendance naturelle des gens à adhérer à des informations en accord avec leur propre système de croyances.

L’augmentation des connaissances doublée d’un monde interconnecté et soutenue par l’accélération sans précédent des progrès scientifiques à exposé la société à un degré croissant de complexité des phénomènes observés. En effet, un glissement du paradigme dans la production et l’utilisation des contenus s’est opéré, accroissant considérablement les volumes aussi bien que l’hétérogénéité des informations accessibles aux utilisateurs. N’importe qui sur le web peut produire, suivre et diffuser activement des contenus et participer de ce fait à la création, à la diffusion et au renforcement de différents contes collectifs. Une telle hétérogénéité de l’information a conduit à l’agrégation des gens autour d’intérêts, de visions du monde et contes communs.

Les contes basés sur les théories du complot tendent à réduire la complexité de la réalité et contiennent intrinsèquement l’incertitude qu’elles génèrent de surcroit. Ils sont capables de créer un climat de désengagement vis-à-vis des médias mainstream et des pratiques officiellement recommandées comme la vaccination, le régime alimentaires, etc.. En dépit de l’enthousiasme général à propos l’intelligence collective, le rôle des réseaux sociaux dans le renforcement de l’information dans les débats et leurs effets sur l’opinion publique reste peu clair. Cependant, le World Economic Forum à listé la désinformation numérique massive comme l’un des risques majeurs des sociétés modernes.

Une multitude de mécanismes anime le flot et l’acceptation de fausses rumeurs qui à leur tour créent de fausses croyances rarement corrigées une fois adoptées par un individu. Le processus d’acceptation d’une allégation (qu’elle soit documentée ou non) pourrait être altéré par l’influence des normes sociales ou par la cohérence avec le système de croyance de l’individu. Une littérature importante s’intéresse aux dynamiques sociales et aux réseaux sociaux dans la contagion et le renforcement de ces croyances. Il a été montré récemment que des rumeurs infondées sur le web, comme le lien vaccins / autisme, le réchauffement climatique induit par les chemtrails, ou les informations secrètes des gouvernements sur les aliens, et les informations mainstream comme les nouvelles scientifiques, sont diffusées d’une façon complètement différente.

L’omniprésence de contenus non fiables pourrait conduire à un mélange d’histoires infondées avec leurs versions satiriques (par exemple la présence de citrate de sildénafil, le principe actif du viagra, dans les chemtrails, ou encore les effets anti hypnotiques du citron, plus de 45 000 partages sur Facebook). Il y a en fait des groupes très distincts, constitués de trolls, fabriquant des pages Facebook satiriques et caricaturant les médias conspirationnistes. Leurs activités peuvent aller des commentaires controversés aux satires et aux memes conspirationnistes, à la fabrication de citations purement fictives et hautement irréalistes ou sarcastiques. Assez souvent, ces memes deviennent viraux et sont utilisés comme preuves sur le web par des activistes politiques.

Dans le travail dont il est question ici, les auteurs se sont intéressés aux schémas de consommation des utilisateurs en fonction de types très distincts d’information. Se concentrant sur le contexte italien et aidés en cela par des pages très actives dans le debunking de rumeurs infondées, ils ont construit un atlas des sources d’informations scientifiques et des sources conspirationnistes sur Facebook. Les pages y sont classées en fonction du genre d’informations qu’elles diffusent et de leur propre description comme visant à des explications alternatives à la réalité, ou des nouvelles scientifiques. Le but des auteurs n’était cependant pas d’alléguer que les informations véhiculées par les sources conspirationnistes sont nécessairement fausses, mais plutôt de voir comment les communautés se forment autour de différentes informations, interagissent et consomment leurs informations préférées.

Les auteurs ont pris en compte les interactions des utilisateurs avec des pages publiques, c’est-à-dire les likes, les partages et les commentaires. Chacune de ces actions a une signification particulière. Un like renvoie à un feedback positif du post, un partage exprime la volonté d’augmenter la visibilité d’une information, un commentaire est la façon de créer le débat en ligne. Les commentaires peuvent être négatifs ou positifs.

L’analyse débute par la délimitation des schémas d’utilisation des informations et des pages structurant les communautés. Ils ont attribué une polarisation aux utilisateurs dès lors que ceux-ci présentaient 95% de feedback positifs pour une catégorie exclusive de pages (conspirationniste ou scientifique). Selon la littérature sur la dynamique des opinions, deux individus sont capables de s’influencer l’un l’autre uniquement si la distance entre leurs opinions est en dessous d’un certain seuil de sorte à ce que les utilisateurs consommant des informations différentes et opposées tendent à s’agréger en des clusters isolés les uns des autres. De plus, les auteurs ont mesuré l’activité des commentaires des uns et des autres dans les communautés opposées, et ont mis en évidence que les utilisateurs polarisés sur les sources conspirationnistes étaient plus concentrés sur les posts de leur propre communauté et plus enclins à la diffusion de leur contenu. D’un autre côté, les utilisateurs de médias scientifiques se montrent moins actifs dans la diffusion de leurs informations et plus enclins à commenter les pages conspirationnistes.

journal.pone.0118093.g005

Les auteurs ont finalement testé la réponse des utilisateurs polarisés face à 4709 théories conspirationnistes satiriques ou complètement aberrantes. 80,86% des likes et 77,92% des commentaires venaient d’utilisateurs conspirationnistes. Ces résultats, cohérents avec de précédentes recherches, mettent en évidence pour les auteurs la relation entre la croyance dans les théories du complot et la nécessité d’un cloisonnement cognitif consistant dans une attitude d’évitement des examens approfondis des informations qui remettraient en cause ces théories. Ce mécanisme s’illustrerait dès lors comme central dans la diffusion de fausses allégations.

6 commentaires sur “[Synth] « Science vs. Conspiration : contes collectifs à l’époque de la désinformation »

    • Effectivement Stéphane, et non pas scénarios au sens des projections démographiques ou du GIEC, mais bien de Hollywood. D’ailleurs il serait intéressant de mesurer les fréquentations respectives des cinémas et des conférences par les conspirationnistes d’une part, et les personnes à orientation plutôt scientifique d’autre part.

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  1. Bonjour,

    J’aime beaucoup vous lire mais j’ai découvert une petite coquille – entre crochets ci-dessous :

     » Cependant, le World Economic Forum [à] listé la désinformation numérique massive comme l’un des risques majeurs des sociétés modernes. »

    Merci pour votre travail de vulgarisation scientifique et de démystification, cela fait du bien de lire de la cohérence et de la logique dans ce monde d’opinions pré-mâchées et enrobées de pathos…

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  2. La science observe des faits , les theories n’ont rien a y faire , le conspirationisme non plus … Quand des scientifiques avec des preuves denoncent des faits qui ne plaisent pas a tout le monde. Le scandale des mensonges sur le VIH en est l’exemple le plus flagrant avec la confusion entretenue entre VIH et Sida le syndrome est reel observable ,soignable d’apres Montagnier lui meme Le VIH lui est introuvable et CQFD ne peut se transmettre … Opposer science et complots est ridicule un complot n’a aucune valeur tant qu’il n’est prouvé ….

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