Porter un masque est-il efficace contre le coronavirus ?

Depuis janvier 2020, nous sommes passés à travers une multitude de rebondissements et tergiversations publiques et médiatiques en rapport à l’évaluation du danger pandémique, de la veille d’éventuelles nouvelles vagues, et des meilleurs moyens de les prévenir. Parmi ces controverses, on peut citer la question du port du masque, et du type de masque porté, afin de réduire la transmission de la maladie au sein de la population.

Plusieurs phénomènes concourent certainement à expliquer l’émergence et la persistance de telles controverses publiques. Parmi ceux-ci, on peut pointer le manque de cohérence des différents gouvernements à ce sujet. Un article récent de la revue Nature souligne ainsi l’opinion changeante et les signaux contraires envoyés par le président des USA, en rappelant l’un des derniers épisodes en date, à savoir sa propre infection par le virus tout en ayant, quelques jours auparavant, moqué son opposant à la présidentielle au motif que celui-ci porte un masque en toutes circonstances [1]. La communication du gouvernement français, en particulier par la voix de son ancienne porte-parole, n’a hélas pas plus brillé sur ce sujet.

Mais la confusion peut également s’expliquer en partie par la précarité des données disponibles au début de la pandémie concernant l’efficacité réelle du port du masque généralisé à toute la population, et ce, en dépit d’un raisonnement intuitif incitant à penser que oui, les masques sont utiles. Le même article de Nature rapporte ainsi qu’en avril, une étude montrait l’inefficacité du port du masque, avant d’être rétractée en juillet [2]. En juin, une étude montrait au contraire l’utilité du port du masque, mais est passée au bord de la rétractation sous le feu des vives critiques concernant sa méthodologie [3]. Dans ce contexte, l’OMS comme d’autres agences de santé, a de fait tardé à émettre des recommandations fermes en la matière, notamment par peur de provoquer soudainement l’assèchement des stocks et la pénurie là où ces masques étaient les plus importants, à savoir dans les hôpitaux [1]

Quelles sont dès lors, à l’heure actuelle, les données concernant l’efficacité du port du masque dans la prévention de la contagion ? Y-a-t-il des différences entre les divers types de masques utilisés, notamment ceux achetés en pharmacie, et ceux que nous confectionnons nous-mêmes ? Les masques ont-ils éventuellement d’autres effets bénéfiques ?

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Le salut de Charles Darwin à la respectitude.

En ce jour anniversaire de la naissance de Charles Darwin (le 12 février 1809), je songe à la chronique, drôle mais sérieuse, délivrée par Sophia Aram le 10 février sur la radio France Inter, notamment à ce passage croustillant :

« si Darwin avait « « « respecté » » » les croyances de son époque, il se serait contenté de relire la Genèse jusqu’à ce que les dinosaures s’excusent eux-mêmes de ne pas être créationnistes. A l’heure qu’il est, Salman Rushdie réciterait des versets du Coran à la mosquée d’Al-Azhar plutôt que de vivre sous la menace des religieux qui dénoncent toujours son manque de respect » (à 1m07).

Si le rire jaune que doit susciter l’écoute de ce passage concernant Salman Rushdie me parait assez évident (on a peine à décider ce qui vaut mieux entre Lire la suite

Virus et distorsions médiatiques

Factfulness

En 2018 a été publié le livre posthume de Hans Rosling, intitulé Factfulness. H. Rosling vous sera peut-être un nom familier si vous vous intéressez au scepticisme scientifique ou à l’étude des grands jeux de données des Nations Unies sur l’état du monde actuel (niveaux d’alphabétisation, de couverture vaccinale, etc.). Avant d’être un vulgarisateur, H. Rosling était un médecin dont le travail a notablement consisté à se rendre dans des zones où émergeaient des épidémies inconnues afin d’en identifier les causes, et a fortiori de mettre en place des stratégies de lutte contre la dissémination des agents infectieux identifiés.

Hans Rosling, 1948-2017.

Ce livre a été écrit dans les dernières semaines de la vie de son auteur. Alors qu’il se savait condamné à court terme, Hans Rosling a consacré ses ultimes forces à s’assurer que son plaidoyer pour une compréhension factuellement fondée du monde qui nous entoure puisse parvenir au plus grand nombre. Il est possible de retrouver gratuitement son travail sur le site de la fondation Gapminder. A l’image de cet élément biographique, le contenu de cet ouvrage (et du site de Gapminder) est à la fois incroyablement optimiste, et tout à fait terrible.

Au travers de différents chapitres, l’auteur conduit le lecteur à s’interroger sur ce qu’il croit savoir du monde actuel, et ce que les données les plus exhaustives sur la question posée permettent en réalité de dire et de prévoir. Il est tout à fait frappant de constater de manière systématique que les personnes interrogées (de larges populations réparties dans différents pays) n’ont bien souvent qu’une très médiocre connaissance de l’état actuel du monde. Pire encore, cette méconnaissance pointe la plupart du temps vers les approximations les plus pessimistes, qui sont dans le même temps les plus éloignées de la réalité. Et cette tendance frappe aussi bien les groupes d’experts et personnes à haut niveau de diplôme, que les non-diplômés ; les progressistes que les conservateurs. Et il me semble salutaire de désamorcer ici l’objection intime que pourraient certainement se faire beaucoup de personnes à la lecture de ces lignes : Lire la suite

[Trad] Déconstruire la science pour mieux la légitimer

Cet billet a été publié en deux parties par le philosophe des sciences Massimo Pigliucci sur son blog Footnotes to Plato le 28 décembre 2018.

Partie I

Quelle est la place de l’aspect social dans la fabrication de la science ? Si on regarde des manuels scientifiques, on se rend compte que la dimension sociale du savoir scientifique brille par son absence. La science reflète supposément le monde tel qu’il est réellement, indépendamment de nos petites vies respectives. D’un point de vue classique, il s’agit du summum de l’activité rationnelle, libre d’influences sociales. Bien sûr, la science est portée par des êtres humains, mais leur background et leur vie sociale sont simplement considérés comme non pertinents. Ce qui compte, ce sont les mérites intellectuels d’une théorie scientifique, et non pas qui a pu la concevoir. Ce qui compte, ce sont les preuves, et non pas qui a bien pu les collecter. Cette partition tranchée entre le social et le rationnel peut se retrouver en philosophie des sciences également. Étant donné que les facteurs sociaux sont invisibilisés dans le rendu final de la science, beaucoup de philosophes ont effectivement sous-estimé le rôle moteur de ces facteurs dans l’acquisition des connaissances scientifiques.

Ces dernières décennies, les sociologues et les historiens ont essayé de ramener la science sur terre, mais beaucoup d’entre eux s’en sont retrouvés amenés à une opposition tout aussi simpliste. Les influences sociales sur la science ont autant été un objet de délectation pour ses critiques les plus cyniques, qu’un repoussoir pour ses admirateurs, et ceci pour la même raison : la peur (ou l’espoir), que cela pourrait ruiner la crédibilité de la science. Dans un article que j’ai co-écrit avec mon complice habituel, Maarten Boudry (publié dans Perspectives in Science and Culture, edited by K. Rutten, S. Blancke, and R. Soetaert, Purdue University Press [1]), nous discutons des origines historiques de cette opposition qui a culminé dans le spectacle déplorable des science wars. Le présent billet constitue un résumé étendu de ce papier, et j’espère que vous l’apprécierez. Lire la suite

Combattre la #FakeScience dans les médias

« Ces faits durs et froids sont vraiment impressionnants. Mais on se demandait si vous ne pourriez pas mettre du bullshit réconfortant à la place ? »

« Quel rôle devraient jouer les scientifiques dans la critique de la pseudoscience, fake science et mauvaise science présentée dans les médias populaires ? »

C’est la question que se sont posés A. D. Thaler et D. Shiffman dans un article publié en 2015 dans la revue scientifique Ocean & Coastal Management. [1]

Faisant le constat d’une libéralisation de l’accès à l’information avec l’avènement des réseaux sociaux, les auteurs de cet article se sont effectivement demandés comment les scientifiques professionnels pouvaient, ainsi débarrassés des Lire la suite

Les vampires, l’archéologie et les médias

Individu inhumé dans le cimetière de Drawsko, Pologne, 17e – 18e siècle. La faucille autour du cou est probablement le signe d’une pratique apotropaïque destinée à empêcher le défunt de se relever comme un vampire. Photo rognée par rapport à l’original publié dans Gregoricka et al., 2017 [1].

En ce mois d’octobre, vous avez peut être vu passer quelques articles de presse concernant la découverte archéologique d’une tombe de « vampire ». L’occasion pour moi de dire quelques mots de ce personnage mythique, et du traitement médiatique de telles découvertes. Ces nouvelles ne sont pas nécessairement farfelues, mais cela ne nous interdit pas d’y jeter un œil à la fois intéressé et critique. Lire la suite

Qui ne partage pas ses résultats ? La transparence des essais cliniques en Europe

L’outil en ligne Trials Tracker a été développé dans le cadre de ces recherches et permet de vérifier facilement qui ne partage pas ses résultats d’essais cliniques en Europe.

Too Long ; Won’t Read…

– Une équipe de l’Université d’Oxford a récemment publié une étude sur la transparence des essais cliniques conduits dans l’UE.

– Les chercheurs montrent que les institutions académiques respectent peu la réglementation européenne concernant la déclaration des essais cliniques, contrairement aux compagnies pharmaceutiques.

– L’équipe a développé un outil en ligne permettant de vérifier régulièrement la mise en conformité de ces déclarations pour chaque sponsor.

 

Une étude publiée le 12 septembre 2018 dans le journal scientifique BMJ s’est intéressée au respect des règles européennes en matière de déclaration des résultats d’essais cliniques par les sponsors académiques et commerciaux de tels essais dans l’Union Européenne [1]. On retrouve à la tête de ces recherches le sceptique britannique Ben Goldacre de l’Université d’Oxford (et du blog Bad Science), dont nous avons récemment parlé des travaux ici sur la prescription d’homéopathie en Angleterre, ou encore ici pour son plaidoyer pour l’éducation basée sur les preuves.

Cette étude montre qu’une majorité d’essais cliniques Lire la suite

[Trad] Démarquer la science de la pseudoscience

Dans le modèle copernicien du système solaire, les orbites sont circulaires. Ce modèle, falsifié par les observations des astronomes, a cependant été conservé jusqu’à sa modification par Kepler.

Ce billet a été posté en anglais par Massimo Pigliucci sur le site « Ask a philosopher » le 9 juin 2014. Selon le principe de ce site, un internaute a posé la question « de quelles manières nous pourrions essayer de départager la science et la pseudoscience ». Massimo Pigliucci apporte ici une première réponse.

La distinction entre science et pseudoscience, est ce que nous appelons en philosophie des sciences le problème de la démarcation, un terme qui a été forgé par Karl Popper dans la Lire la suite

[Trad] L’agriculture biologique et l’environnement

Ce billet à été posté en anglais par Steven Novella sur le blog sceptique Science-Based Medicine le 25 mai 2017.

Le marketing implique parfois des connaissances scientifiques utiles à vous faire croire des choses fausses avec le but spécifique de vous vendre quelque chose, qu’il s’agisse d’un produit, d’un service, ou même d’une idéologie. Le lobby bio, par exemple, s’est très bien débrouillé pour créer un effet halo positif autour de lui sur des questions de santé et d’environnement pour les produits bio qu’il commercialise, tout en discréditant ses concurrents (ces dernières années, cela à surtout concerné les OGM).

Cependant, ces allégations concernant la santé et l’environnement sont toutes démonstrativement fausses. Les aliments bio ne sont ni meilleurs pour la santé, ni plus nutritifs que les aliments non bio. De plus Lire la suite

[Trad] La science derrière le procès Johnson vs. Monsanto

Ce billet a été posté en anglais sur le blog Science-Based Medicine le 15 août 2018 par Steven Novella.

Le 10 août 2018, un jury populaire de Californie a accordé à monsieur Dewayne Johnson 289 millions de dollars de dommages contre la firme Monsanto, aujourd’hui détenue par Bayer. La décision était motivée par l’allégation selon laquelle D. Johnson, jardinier, aurait développé son lymphome non hodgkinien [NdT : un cancer de certaines cellules sanguines] à la suite de son exposition au Roundup, un herbicide ayant le glyphosate pour principe actif et développé par Monsanto.

Cette décision sera très certainement Lire la suite