Association entre prescription d’homéopathie et mauvaises pratiques de soins en Angleterre

Une équipe de l’université d’Oxford en Angleterre a récemment publié une étude des pratiques de soins des médecins généralistes anglais, intitulée « Is use of homeopathy associated with poor prescribing in English primary care? A cross-sectional study », dans le Journal of the Royal Society of Medicine. [1] Cette équipe, dirigée par Ben Goldacre (auteur du blog Bad Science), s’est intéressée en particulier à la prescription de remèdes homéopathiques par ces professionnels de santé.

L’homéopathie est effectivement emblématique des thérapies dites « alternatives », présentées comme « complémentaires » à la médecine scientifique (c’est-à-dire basée sur des méthodes d’évaluation et des preuves). Il importait donc pour les auteurs de comprendre dans quelle mesure l’homéopathie était prescrite par leurs confrères : s’inscrit-elle dans une dynamique de prescription particulière ? Est-elle ponctuelle ? Généralisée ?

Rappelons que l’homéopathie est pour le moins controversée. Bien entendu, cette controverse n’est pas scientifique, puisque de ce côté là, de multiples études ont déjà montré son absence d’efficacité spécifique au-delà du placebo, et la non-plausibilité totale des principes théoriques supposés l’étayer. En clair, non seulement l’homéopathie ne fonctionne pas, de manière démonstrative, mais ce constat était de toute façon attendu au regard de ses principes théoriques fantaisistes. Cette inefficacité est régulièrement démontrée dans la littérature scientifique et fait l’objet de communications des académies de sciences et de médecine, des ministères de la santé et autres institutions médicales dans le monde. [2][3][4][5][6]

Car ces principes sont restés quasiment inchangés depuis plus de 200 ans, époque à laquelle l’homéopathie est inventée, et alors que la médecine scientifique n’existe pas encore. L’homéopathie s’inscrit donc dans les pratiques thérapeutiques pré-scientifiques, héritées du Moyen-Âge et de l’Antiquité. Il est à noter que le terme « allopathie » inventé à cette époque par le fondateur de l’homéopathie pour distinguer cette pratique de soins des autres de son temps, désigne alors toute la médecine pré-scientifique en dehors de ce que l’inventeur appelle lui même l’homéopathie. Le Skeptic’s Dictionary résume tout cela en prenant soin de ne citer que des homéopathes.  Ainsi, lorsqu’ils épousent l’emploi du terme « allopathie », les commentateurs en défense de l’homéopathie se trouvent très mal avisés : ils croient désigner ainsi la médecine scientifique du 21e siècle, mais désignent les pratiques médiévales pré-scientifiques encore en usage au début du 19e siècle. C’est un peu comme si on voulait s’évertuer à parler du « Royaume de France » dans son acception ancienne en croyant désigner ainsi de manière pertinente l’actuelle République française. C’est la raison pour laquelle nous n’emploierons jamais le terme « allopathie », car en réalité, cette pratique a disparu peu après que l’homéopathie eut été inventée, et son utilisation en connaissance de cause relèverait de la manipulation.

La controverse est donc purement sociale, médiatique, voire politique.

Les auteurs de cette étude se sont appuyés sur les données publiques (et massives) du système de santé britannique, le NHS, qui compile en ligne l’ensemble des prescriptions des médecins généralistes sur le territoire britannique. Cet outil consultable en ligne, Openprescribing, est présenté par Ben Goldacre dans cette vidéo. Cette base de données met continuellement à jour les prescriptions opérées par les médecins généralistes sur des périodes de 1 mois. Elle permet donc d’évaluer de manière plus objective leurs pratiques de soins que des enquêtes d’auto-évaluation par exemple. Il est ainsi possible d’estimer la qualité des pratiques en notant entre autres la propension à prescrire les médicaments ayant les meilleurs rapports efficacité-prix. C’est à ce type d’indicateurs que les auteurs de cet article ont comparée la variable « prescription d’homéopathie » chez 7618 praticiens répertoriés après un premier tri. Parmi cette population et sur une période de 6 mois entre 2015 et 2016, 644 praticiens ont prescrit au moins une fois de l’homéopathie, soient 8,5 % (ce qui est notablement peu). Sur ces prescripteurs d’homéopathie, 363 n’avaient fait qu’une seule prescription de remèdes homéopathiques, seuls 38 avaient fait plus de 10 prescriptions d’homéopathie, et 3 en avaient fait plus de 100.

Les données sont vastes, complètes, la population générale importante (les médecins généralistes) et la pratique ciblée peu étendue (le volume de prescription d’homéopathie). Un quelconque signal impliquant cette dernière devrait donc être très significatif. Or, c’est bien un signal qu’ont mis en évidence les chercheurs : les résultats montrent une association forte entre la prescription d’homéopathie et des prescriptions globalement de qualité moindre. Pire, la réponse était ici dose dépendante, c’est à dire que plus la propension à prescrire de l’homéopathie était importante, plus la qualité globale des prescriptions s’en ressentait. Ainsi, les profils au plus mauvais score quant à la qualité de leurs prescriptions (en ne prenant pas en compte l’homéopathie), avaient 2,1 fois plus de chance de prescrire également de l’homéopathie. Seuls 3,9 % des meilleurs scores (meilleure qualité de soin) étaient susceptibles de prescrire également de l’homéopathie, alors qu’ils étaient 12,8 % dans les plus mauvais scores.

En clair, les auteurs ont mis en évidence que la prescription d’homéopathie est significativement associée chez leurs confrères britanniques à de plus faibles performances sur différents indicateurs de leur pratique. Cette association était d’autant plus significative que le volume de prescriptions d’homéopathie est relativement faible (ce dernier point est plutôt une bonne nouvelle d’ailleurs), et que l’effet détecté est dose-dépendant (c’est à dire que plus la prescription d’homéopathie est forte, plus les scores sur la qualité des soins sont mauvais, ce qui montre un effet cohérent). L’inclusion de facteurs confondants, comme l’âge des patients à qui était prescrite l’homéopathie, ne modifiaient pas ces résultats.

Les auteurs concluent que si cette étude n’est pas per se informative quant à savoir si l’homéopathie devrait être remboursée par le système de santé britannique (dépenses qui s’avèrent relativement basses dans ce cas : 36,532£ sur une durée de 6 mois), elle démontre néanmoins une association claire entre la prescription d’homéopathie et une moindre qualité des performances de soins en général sur différents indicateurs, et cet élément est, selon eux, plus important que le coût financier évitable.

Il est clair qu’il ne s’agit pas ici d’une relation de causalité, dans aucun des deux sens possibles : prescrire de l’homéopathie ne rend pas mauvais médecin, et être mauvais médecin ne fait pas automatiquement prescrire de l’homéopathie, aussi cette étude n’est absolument pas pertinente pour prédire la propension de praticiens particuliers à prescrire de l’homéopathie, ou faire globalement de mauvaises prescriptions.

Cette étude en revanche est utile pour comprendre les différentes dynamiques de prescription, et les auteurs infèrent que la prescription d’homéopathie associée à de médiocres pratiques est en fait symptomatique d’un éloignement global, ou d’une incompréhension de la pratique fondée sur la science : collective, auto-correctrice et basée sur des preuves. En effet, les prescripteurs d’homéopathie tendent aussi à prescrire les moins bons traitements, les moins efficaces, les plus chers, ou ceux faisant l’objet d’alertes de pharmacovigilance. Cette association pourrait mettre en avant des tendances plus profondes dans la pratique médicale au-delà de la simple adhésion aux principes de l’homéopathie : l’incapacité ou l’impossibilité de mettre à jour leurs connaissances pour certains, l’incompréhension du fonctionnement de la science et a fortiori des pratiques supposées fondées sur celle-ci, ou encore l’incapacité ou l’impossibilité de collaborer avec des confrères pour l’optimisation des pratiques.

Cette étude semble donc pertinente dans sa mise en évidence d’une tendance certaine d’éloignement vis à vis d’une pratique scientifiquement fondée et dans laquelle s’inscrit le recours à l’homéopathie pour une partie des médecins généralistes britanniques. Il est notable de constater que le volume de prescription de l’homéopathie semble relativement faible actuellement en Angleterre. Il est important de rappeler que ces volumes et ses couts, portent justement sur l’Angleterre avec une histoire, un système de santé et un rapport à l’homéopathie qui lui sont propres. Ces chiffres et ces observations pourraient accuser quelques variations dans d’autres pays et d’autres systèmes.

Pour un tour d’horizon de l’homéopathie sur fond de tribune #Fakemed, les lecteurs francophones pourraient être intéressés par le dernier numéro de la revue Science & Pseudo-sciences.

Bibliographie :

 

[1] Walker AJ et al., Is use of homeopathy associated with poor prescribing in English primary care? A cross-sectionnal study, Journal of the Royal Society of Medicine, 2018
[2] Hawke K et al., Homeopathic medicinal products for preventing and treating acute respiratory tract infections in children, Cochrane Database Syst Rev., 2018
[3] Peckham EJ et al., Homeopathy for treatment of irritable bowel syndrome, Cochrane Database Syst Rev, 2013
[4] McCarney R et al., Homeopathy for dementia, Cochrane Database Syst Rev, 2003
[5] NHMRC, Evidence on the effectiveness of homeopathy for treating health conditions, 2015
[6] EASAC, Homeopathic products and practices: assessing the evidence and ensuring consistency in regulating medical claims in the EU, 2017

7 commentaires sur “Association entre prescription d’homéopathie et mauvaises pratiques de soins en Angleterre

  1. Un article intéressante en soi.
    Cela dit un détail me perturbe. Dans le troisième paragraphe vous statuez de « l’évidente » inefficacité de homéopathie au niveau scientifique. Avec pour preuve plusieurs articles scientifiques.
    Hors parmi ceux-ci on peut voir, après lecture du 3 et 4 que ceux-ci disent explicitement que l’on ne peut tirer aucune conclusion de leur propre étude, faute d’un nombre suffisant de données ou d’une fiabilité insuffisante de celles-ci.
    Je trouve donc dommage de citer des articles ne pouvant apporter selon eux mêmes aucune information supplémentaire. D’autant plus que sans s’attarder sur les sources cela peut renforcer l’argument, simplement par le nombre d’articles.

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    • La source 3 est un article qui permet de montrer que d’autres études qui pourraient conduire à un éventuel bénéfice de l’homéophatie ne peuvent être prises au sérieux, c’est donc une source importante
      La source 4 est un article qui ne parvient pas à montrer un bénéfice quelconque de l’homéopathie

      Pour moi, ces deux sources sont donc elles aussi importantes pour montrer que l’homéopathie est inefficace, même si elles sont moins affirmatives que la source 2 par exemple

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      • Visiblement nous n’avons pas les mêmes interprétations de ces deux études.
        Le 3 dit en effet bien que les deux études pro hémopathie ne peuvent pas êtres considérées comme fiables, mais aussi que celle ne montrant pas de différence ne peut pas non plus l’être, à cause du manque de participants. On a donc ici une étude qui explique ne pas avoir trouvé de preuves pour ou contre l’homéopathie.
        Quant à la 4 celui-ci dit n’avoir pas trouvé assez de données concernant l’efficacité ou non du traitement homéopathique et ne pouvoir donc en tirer aucune conclusion.
        Ces deux études n’ont donc pas l’air d’apporter de jugement quand à l’efficacité du traitement mais disent simplement que l’on n’as pas assez d’informations pour en tirer une conclusion.
        Je comprend donc tout à fait que l’on applique pas l’homéopathie par mesure de précaution (et en tant que non croyant j’en suis content) mais je trouve dommage de, pour conclure à l’inefficacité (et non pas à un méfiance du au manque d’informations) de cette méthode on se base sur deux articles concluant non pas sur une inefficacité mais sur un manque de données permettant d’en tirer une conclusion.

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  2. […] La Théière Cosmique revient sur l’étude « Is use of homeopathy associated with poor prescribing in English primary care? A cross-sectional study », dont les auteurs ont mis en évidence que la prescription d’homéopathie est significativement associée chez leurs confrères britanniques à de plus faibles performances sur différents indicateurs de leur pratique. Lire l’article […]

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  3. Je n’ai pas eu le courage de lire jusqu’au bout. L’on ne guérit pas non plus avec les médocs chimiques. C’est plus compliqué que cela. Bp de facteurs entrent dans la guérison de la personne. Christiane Bargain

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