[Trad] Changement climatique : encore une étude surinterprétée

Ce billet a été posté par Steven Novella sur le blog Neurologicablog le 21 septembre 2017.

Quoi qu’il arrive, c’est la preuve de la conspiration. Du moins du point de vue d’un conspirationniste.

Mais revenons un peu en arrière. Nous sommes en train de parler de scientifiques qui essaient de comprendre le changement climatique, et plus particulièrement les effets du carbone relâché dans l’atmosphère. Comme on pourra s’en douter, cette question complexe recouvre plusieurs niveaux d’analyse.

Le premier de ces niveaux est plutôt basique : les rayons solaires atteignent la Terre, qui en réfléchit une partie dans l’espace sous forme d’infrarouges. Le CO2 (dioxyde de carbone) présent dans l’atmosphère, réfléchit certains de ces infrarouges vers la Terre, emprisonnant ainsi une partie de la chaleur dans l’atmosphère terrestre. Ce phénomène est communément connu comme l’effet de serre, et le CO2 comme un gaz à effet de serre. En somme, plus il y a de CO2 dans l’atmosphère, plus grand sera l’effet, et plus chaude sera la planète en moyenne. Lire la suite

Pensée unique : La publication scientifique est-elle interdite aux dissidents ? [Difficulté : facile] (4500 mots / ~20 mins)

Des bactéries, La Main du Créateur, l’homéopathie qui marche, et autres OGM-poisons…

J’ai récemment traduit un billet de Massimo Pigliucci car il parlait de l’accusation de scientisme qui est souvent assénée par des tenants de pseudosciences (ici l’homéopathie) à l’endroit de personnes leur demandant de se conformer aux standards scientifiques de base. Matt McOtelett me faisait remarquer que ce billet était aussi une excellente illustration de l’inanité d’une autre accusation généralement partagée par différents tenants : celle de la publication scientifique aux ordres, verrouillée, interdite d’accès aux chercheurs dissidents vis à vis du consensus scientifique admis.

En effet, lors de n’importe quelle discussion que vous pourrez avoir avec le tenant d’une science alternative, il vous sera retourné qu’on ne peut faire aucune confiance au consensus scientifique, car il ne reflète de toute façon qu’une pensée unique qui ne tolère pas les avis contraires. Bien entendu, selon la croyance des tenants auxquels vous serez confronté, cette pensée unique pourra être diamétralement opposée : un climato-sceptique ? bien entendu que la publication scientifique reflète la pensée unique gaucho-bobo-décroissante du moment ! un anti-OGM ? Bien entendu que la publication scientifique représente la pensée unique ultra-capitalo-scientiste du moment !

Il n’en allait pas autrement dans le billet de M. Pigliucci, où les contradicteurs scientifiques (dont Pigliucci) des homéopathes étaient accusés d’être des scientistes fascistes conformément à la pensée dominante en science. Pour rappel, Pigliucci et Smith ne demandaient qu’une chose : que les critères basiques de scientificité soient appliqués systématiquement en sciences biomédicales, notamment en ce qui concerne l’homéopathie dont ils rappelaient ici que non contente de violer l’éthique, elle besognait aussi salement la méthode scientifique. Lire la suite

[Synth] Sur la viabilité des croyances conspirationnistes [difficulté : facile] (2000 mots / ~12 mins)

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[EDIT  01/02/2016 : quelques jours sont passés depuis cette publication, et des critiques ont pu émerger sur une faiblesse méthodologique de cet article de D. R. Grimes. Vous pouvez lire le court billet de Nicolas Gauvrit à ce propos ici. La critique est hautement pertinente, et je vous invite à vous souvenir avant d’aller plus loin de ne pas faire dire à cette synthèse -non critique- ce qu’elle ne dirait pas. A mon sens, l’erreur méthodologique pointée par N. Gauvrit est contenue dans les limitations évoquées par Grimes, qui rendent de toute façon toute interprétation trop enthousiaste sujette à caution. Je vous suggère néanmoins de lire cet article, au moins pour sa revue bibliographique sur le sujet, sinon pour les bases qu’il jette d’un moyen d’estimer à la louche la plausibilité d’un complot à grande échelle.]

Le 26 janvier 2016 a été publié dans le journal open access et peer-reviewed PLOS ONE un article intitulé « On the Viability of Conspiratorial Beliefs » par David Robert Grimes. Ce billet en est une synthèse.

Introduction

Les croyances conspirationnistes qui attribuent des événements à des manipulations secrètes d’individus puissants sont largement répandues dans la société. La croyance en une théorie du complot particulière est souvent corrélée avec l’adhésion à d’autres de ces théories dont certains aspects sont très ubiquistes chez différents groupes sociaux. Lire la suite

Obsolescence programmée : ce qu’on ne nous dit pas (4500 mots / ~20 min)

Tout le monde vous le dira, nos appareils modernes durent moins longtemps que leurs homologues d’antan. On connaît tous un frigidaire increvable, une Mercedes dont on ne compte plus les kilomètres parcourus, de même qu’on a tous un jour acheté cette “sous-marque” d’électroménager qui a cassé au bout de 3 mois.
Tout le monde – ou presque – le dit, et semble se dégager alors une implacable conclusion : « on » veut que nos appareils se dégradent rapidement pour nous forcer à acheter plus souvent, et donc à « les » enrichir encore d’avantage. Qui sont-« ils », ça ma brave dame, personne n’est d’accord là dessus, mais « on » en veut à notre porte-feuille, c’est certain.

C’est bien joli tout ça, mais en tant que sceptique, ça me fait tiquer, cet argumentum ad populum ; prenons donc un petit temps ensemble pour regarder plus précisément ce qui se cache derrière ce qu’on appelle bien vite « obsolescence programmée ».

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Le Marteau des Sorcières

Gravure sur bois montrant des sorciers suppliciés, Tengler’s Laienspiegel, Mainz, 1508.

En février dernier a été créé un nouveau groupe américain d’activistes anti-OGM, US Right To Know (USRTK), conduit par un ancien activiste de la campagne californienne de labellisation des produits OGM. Au lieu des activités habituelles de désinformation, le groupe s’est porté vers l’intimidation et la calomnie en initiant une procédure de FOIA capable de forcer les fonctionnaires US visés par cette demande citoyenne à rendre publiques des informations privées au motif du « droit de savoir ». Cette procédure n’a à donner aucune preuve en guise de justification d’une telle coercition comme on pourrait s’y attendre pourtant dans le domaine judiciaire, et ne semble reposer que sur la sagesse du peuple. Là-bas comme ici, sous couvert de science citoyenne, les bonnes intentions de surface ont rapidement laissé place aux motivations profondes : le carnet du naturaliste amateur a laissé place au marteau des sorcières.

Face à la réalité du consensus scientifique et à l’impossibilité pour eux d’argumenter sur le terrain des preuves factuelles, les activistes ont depuis longtemps systématisé le recours à la shill card, la carte de la complicité, comme l’explique Steven Novella. C’est simple : si un scientifique (ou toute autre personne), se conforme à l’avis de la science en ce qui concerne les OGM, la vaccination, l’homéopathie… c’est forcément que c’est un complice, un agent secret de l’industrie, payé et/ou formé par elle. Ainsi, nul besoin d’argumenter. C’est évidemment un sophisme odieux. Ce recours est tellement fréquent que c’est devenu un running gag au sein des communautés sceptiques : nous nous traitons volontiers de shills entre nous.

C’est là toute la stratégie appliquée par l’USRTK par cette demande de FOIA en forçant arbitrairement des chercheurs du public à fournir des données personnelles, en espérant pouvoir y cueillir et déformer quelques informations qui permettraient d’étayer l’accusation a priori portée (et déjà jugée !) de complicité avec l’industrie. Choisis pour être coupables.

La première victime de cette chasse aux sorcières a été Kevin Folta, chercheur public en biologie végétale, en poste à l’Université de Floride et travaillant sur les molécules à l’origine de la saveur des fraises, sujet qui n’intéresse pas vraiment les firmes de biotechnologies végétales. Mais K. Folta, biologiste avisé, connaissant le consensus scientifique et les potentialités merveilleuses des biotechnologies végétales (qui le concernent donc directement), a toujours été un défenseur de celles-ci en organisant des cycles de conférences à ce propos. Qu’il défende les biotechnologies parce que le consensus scientifique à propos de leurs produits est très clair, qu’elles présentent des applications incroyables à venir dans les domaines de la santé et de l’alimentation étaient choses inconcevables. Ça ne pouvait être qu’un shill.

Folta face à la procédure administrative s’est donc exécuté, et il a fourni quelques 5000 pages d’emails personnels. Inutile d’expliquer comment, en 5000 pages, il est possible de sortir quelques phrases bien catchy, sorties de leur contexte, pour leur faire dire n’importe quoi. Et c’est ce qui a été fait.

Les e-mails contenaient notamment les échanges entre Folta et Monsanto. Rien de scandaleux, rien d’anormal, c’était même couru d’avance : n’importe quel scientifique du public entretient des rapports avec le secteur privé de son domaine. C’est en effet une source de débouché certain pour ses étudiants, et de collaborations scientifiques. Les spécialistes en recherche biomédicale, les spécialistes en archéologie, etc., sont nécessairement en contact avec le secteur privé de leur domaine.

La messe était cependant dite, il suffisait d’agiter ce chiffon rouge pour que le bucher commence à être dressé en place publique. Par chance, les « preuves » étaient accablantes : non seulement Folta était en contact avec Monsanto, mais il y était question d’argent. En effet, cette correspondance contenait les échanges entourant un don fait par Monsanto à un fond public de l’Université de Floride pour encourager le cycle de communications et vulgarisation sur le thème des biotechnologies et dont Folta est responsable. Le fait que ce don était connu préalablement, publiquement déclaré, fait à l’Université et non pas à Folta lui-même, qu’il ne finançait pas les recherches de Folta, ni même de recherche du tout, et qu’il ne servait, de manière contrôlée, qu’au défraiement de conférences publiques qui existaient déjà avant ce don, n’entrent pas en ligne de compte. Le fait que ces conférences portaient sur les biotechnologies et n’étaient aucunement une promotion ou un lobbying pour Monsanto ni aucune firme privée n’entre pas en ligne de compte. Non, tout ce qui comptait, c’était que Folta était en relation avec Monsanto, et qu’il avait touché de l’argent à cette occasion. Si on pouvait faire croire qu’il avait personnellement touché cet argent pour son propre compte, de manière secrète et illicite, pour le récompenser de son lobbying, c’était encore mieux.

Ainsi, en plus de son bucher, Folta le sorcier aura droit à une mort lente après avoir été promené en public à travers les rues de la cité, livré à la vindicte de la populace.

Que son accusateur et calomniateur, l’USRTK, reçoive lui-même un financement de 114 000 dollars de l’Organic Consumers Assiciation, un groupe de lobbying de l’industrie du bio, pour son propre (et vrai) lobbying, n’entre pas en ligne de compte. Que les « preuves » agitées contre Folta soient inexistantes ou fabriquées, cela n’entre pas en ligne de compte. Que là où un universitaire comme Folta n’est pas payé pour sa communication scientifique, un gourou anti-OGM comme Vandana Shiva touche 40 000 dollars par conférence, cela n’entre pas en ligne de compte. Pour le juteux créneau du lobbying antiscience à propos des biotechnologies, on pourra s’informer ici, mais cela n’entre pas en ligne de compte. La réalité des faits n’intéresse pas les idéologues.

Et après la procédure inquisitoriale vînt le châtiment : le lynchage public utilisant sa mère décédée contre lui, le traitant entre beaucoup d’autres choses de putain, de menteur et bien évidemment de shill, les attaques aussi crasses n’étant pas réservées aux anonymes du net. Ainsi Nassim Taleb déjà bien connu dans le milieu anti-OGM s’est fendu d’une petite création :

Une tentative de publication a même été faite sur PLOS One, heureusement retirée. Il ne fallait pas attendre d’attitude moins indigne des grands médias sur un tel sujet, le New York Times et Le Monde, plus crasseux que jamais.

Quand le lynchage s’est –rapidement- transformé en menaces de violences physiques, par la publication sur Facebook de son adresse personnelle (on connait ces méthodes de fanatiques), Folta a décidé de rendre l’argent dont son programme avait bénéficié (ce que Monsanto a refusé, l’Université ayant alors décidé de le reverser à une banque alimentaire) et de rembourser ce qu’il avait déjà utilisé.

Des frais d’essence et des sandwichs.

[Trad] Débunké : le vaccin contre la polio à l’origine du VIH

Article posté sur The History of Vaccines.

Figure 1 Le Dr. Koprowski, à l’origine du vaccin OPV

Quand le virus de l’immunodéficience humaine a été découvert dans les années 80, le public s’est immédiatement demandé d’où il venait et comment il pouvait se manifester ainsi chez tant de personnes. Parmi les différentes conjectures émises dans les années 90, l’une d’elles jetait le blâme de cette émergence sur une mesure de santé publique : le vaccin contre la polio.

A la fin des années 50, différents groupes de chercheurs essayaient de développer un vaccin contre la poliomyélite qui était alors toujours épidémique autour du monde. L’un de ces vaccins, développé par le médecin Hilary Koprowski (1916-2013), a été testé en Afrique après avoir d’abord été testé aux USA. Le virus du vaccin était cultivé sur des tissus de macaques avant d’être administré à environ 1 million de personnes au Burundi, au Rwanda et en RDC.

En 1992, le magazine Rolling Stone publia un article à propos du vaccin OPV de Koprowski comme cause possible de l’émergence du VIH. Koprowski poursuivit Rolling Stone et l’auteur de l’article, qui durent publier une clarification en décembre 1993, disant notamment :

« Les éditeurs de Rolling Stone souhaitent préciser qu’ils n’ont jamais eu l’intention de suggérer dans cet article qu’il existe la moindre preuve scientifique du lien OPV/VIH, ni qu’ils n’en connaissent aucune, que le Dr. Koprowski, un scientifique illustre, était en réalité responsable de l’introduction du SIDA dans la population humaine ou encore qu’il est le père du SIDA… Le travail pionnier du Dr. Koprowski sur le développement d’un vaccin anti polio a contribué à réduire la souffrance et la mort de centaines de milliers de victimes potentielles de paralysies dues à la poliomyélite et est peut être l’une de ses plus grandes contributions d’une vie de productions de haut niveau et largement reconnues ».

Malgré la clarification de Rolling Stone, le journaliste Edward Hooper publia un livre intitulé The River, Un voyage à la source du VIH et du Sida, en 1999, basé sur la conjecture d’un lien OPV/VIH. Hooper arguait que les cellules animales utilisées pour la culture du virus vaccinal étaient des cellules de rein de chimpanzés locaux endémiques des zones où les vaccins étaient utilisés, et que ces chimpanzés avaient été infectés par le Virus de l’Immunodéficience Simiesque (VIS). Selon Hooper, un vaccin créé à partir de telles cellules aboutirait à l’infection des humains par le VIH.

Bien que largement diffusées, les preuves de Hooper ne soutiennent pas (voire même contredisent directement) l’idée d’un lien entre OPV et VIH.

Des restes des anciens stocks du vaccin ont été examinés par des laboratoires indépendants, et ont confirmé d’abord qu’ils n’avaient pas été cultivés à partir de cellules de chimpanzés comme Hooper le prétendait. De plus, aucun échantillon ne contenait de traces de VIH ou de SIV. Ces données renforcent les déclarations des développeurs du vaccin selon qui ce dernier avait bien été produit à partir de cellules de macaque et non de chimpanzé.

En 2004, une étude publiée dans Nature montra que les souches de SIV infectant les chimpanzés dans la zone décrite par Hooper comme étant le vivier des spécimens ayant servi à la confection du vaccin, étaient génétiquement différentes des souches de HIV. Cela réfutait les allégations de Hooper sous un autre angle : même si des cellules de chimpanzés infectés par le SIV avaient été utilisées pour fabriquer le vaccin, elles ne pourraient pas avoir été la source du HIV chez les humains.

Des études épidémiologiques soulignent également un sérieux problème dans les allégations de Hooper à propos du lien OPV/VIH : le VIH-1 (la première souche connue de VIH, plus infectante et violente que la deuxième souche, VIH-2), est probablement passée à l’espèce humaine avant 1940 et ce dans une toute autre région de l’Afrique que celle où a été testé le vaccin anti polio, probablement via des chimpanzés infectés au Cameroun. Les essais congolais du vaccins commencèrent à la fin des années 50, au moins une décennie après le début de la radiation du VIH au sein de l’espèce humaine, et probablement encore plus loin que ça selon de récentes estimations (Worobey 2008). Le vaccin ne pourrait pas avoir été la source d’un virus qui avait déjà infecté les humains depuis de nombreuses années.

Hooper de son côté, reste campé sur ses positions et prétend à une tentative organisée d’étouffer l’affaire, mais cet argument a largement été relégué au statu de théorie du complot débunkée. Bien que ses arguments aient été démontrés sans valeur, ils ont tout de même été nocifs aux efforts d’éradication de la polio. Les rumeurs actuelles de la contamination volontaire du vaccin OPV avec des drogues causant la stérilité et des virus à l’origine du VIH et du SIDA ont conduit au refus d’accepter ce vaccin dans certaines parties de l’Afrique. Il est probable que ces rumeurs soient corrélées aux allégations originales à propos du lien OPV/VIH. Conséquemment, certaines parties de l’Afrique ont été exposées à des flambées de polio alors que l’éradication était en bonne voie.

Sources et informations supplémentaires

  1. Cohen J. Forensic Epidemiology: Vaccine Theory of AIDS Origins Disputed at Royal Society. Science. 2000; 289(5486):1850-1851.
  2. Jegede A. What Led to the Nigerian Boycott of the Polio Vaccination Campaign? PLoS Med. 2007; 4(3): e73.
  3. Korber B, Muldoon M, Theiler J, et al. Timing the ancestor of the HIV-1 pandemic strains. Science. 2000; 288(5472): 1789–96.
  4. Offit PA. Vaccinated: One Man’s Quest to Defeat the World’s Deadliest Diseases. New York: Harper Perennial; 1988.
  5. Worobey M, Santiago M, Keele B, et al. Origin of AIDS: contaminated polio vaccine theory refuted. Nature . 2004; 428(6985): 820.
  6. Plotkin SA. CHAT oral polio vaccine was not the source of human immunodeficiency virus type 1 group M for humans. Clin. Infect Dis.  2001; Apr 1;32(7): 1068-84.
  7. Plotkin SA. Untruths and consequences: the false hypothesis linking CHAT type 1 polio vaccination to the origin of human immunodeficiency virus. Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci. 2001: June 29: 356(1410) 815-23.
  8. Sharp PM, Hahn BH. The evolution of HIV-1 and the Origin of AIDS.  Philos traqns R Soc Lond B Biol Sci. 2010 Aug 27:365(1552) 2487-94.
  9. Worobey M, Gemmel M, Teuwen DE et al. Direct evidence of extensive diversity of HIV-1 in Kinshasa by 1960. Nature. 2008 Oct 2 ; 455(7213) : 661-664.

    Last update 31 July 2014

La conspiration scientifique du SIDA

Ce billet repose essentiellement sur l’article publié par Steven Novella dans Plos Medicine en 2007 et n’a été augmenté que de quelques mises à jour. Il ne consiste pas en un débunking des mythes concernant le SIDA, les propos de Edward Hooper ne sont pas abordés. Au lieu de cela, il revient sur les traits saillants de la position alternative sur le SIDA.

Cela fait plus de 30 ans que le virus du SIDA a été identifié. Pourtant, de manière cyclique, on voit régulièrement ré émerger telle ou telle forme de négation de l’existence de ce virus. Cette négation a largement été portée au pinacle en 2000, lorsque le président sud-africain himself, Thabo Mbeki, organisa un colloque afin de discuter des origines du SIDA à propos desquelles il n’était pas convaincu. Ses idées étaient alors largement issues de ce qu’il avait pu lire sur internet. Bien qu’il accepta ensuite de se mettre en retrait du débat, il proposa par la suite une ré évaluation des dépenses de santé au détriment du SIDA.

Dès lors ce type de négation à pris racine au sein du grand public et a montré ses potentialités néfastes en terme d’enraillement des politiques publiques de sensibilisation et de financement de la recherche. Par exemple, la AIDS Coalition to Unleash Power (ACT UP) a durant de nombreuses années été en première ligne sur la prévention et la sensibilisation. Mais dans les années 2000, la section San Franciso d’ACT UP s’est jointe au mouvement de négation, arguant sur son site web que « le VIH ne cause pas le SIDA […] les tests de dépistage du VIH sont inefficaces et dangereux […] les médicaments contre le SIDA sont des poisons ». En 2000, la section a écrit une lettre à chaque membre du Congrès américain leur demandant d’arrêter la recherche sur le VIH. Cette section a été condamnée par d’autres, notamment ACT UP Philadelphie. Des rock stars ont également pesé dans le sujet : les membres du groupe The Foo Fighters est à l’origine d’une bande son produite pour le documentaire « The Other Side of AIDS » [ndtr : piraté au moment de ce billet], qui remet en question le VIH comme étant la cause du SIDA. Le groupe a répandu son message de négation durant ses concerts et reconnait l’association Alive and Well comme une cause justifiée sur son site web. [ndtr : les pages internet d’ACT UP et des Foo Fighters portant ses allégations ne sont aujourd’hui plus en ligne].

Dans la mesure où ces théories alternatives se sont largement répandues à partir du grand public et en dehors de la communauté scientifique, les médecins et les chercheurs l’ont généralement ignorée ou considérée comme une croyance très marginale et sans conséquences. En effet, internet a servi de terreau fertile et de support privé de tout arbitrage pour la diffusion de ces croyances. Le Groupe pour le rééxamen de l’hypothèse VIH/SIDA (Reappreaising AIDS), a ainsi relevé : « grâce à l’émergence d’internet, nous sommes maintenant capables de relancer notre campagne d’information ». Internet est un outil efficace pour harponner des jeunes gens et répandre de fausses informations dans une population à risque.

Deux excellents fact checkings ont été mis en ligne pour contrer les arguments les plus couramment utilisés par les négateurs, aussi nous n’en discuterons pas dans ce billet. Il s’agira plutôt ici de passer en revue les différentes stratégies intellectuelles utilisées par les négateurs. Ces stratégies se retrouvent classiquement dans beaucoup de mouvements de négation, quel que soit le sujet.

Trois négateurs et groupes de négation importants

Au milieu des années 2000, l’un des groupes les plus importants est celui de Christine Maggiore, « Alive and Well », dont le récit de la vie est au centre de la constitution de ce groupe. Diagnostiquée séropositive en 1992, elle déclare n’avoir connu aucun symptôme durant les années qui ont suivi et ce sans utiliser aucun médicament antirétroviral. Elle a gagné en notoriété et alimenté la controverse, notamment en donnant naissance à deux enfants allaités, Charles et Eliza Jane, et en refusant de les faire tester contre le VIH et de prendre des antirétroviraux pendant sa grossesse et la période d’allaitement. Eliza Jane est décédée à 3 ans en septembre 2005 d’une pneumonie induite par le VIH. Maggiore demeura néanmoins convaincue que cela n’avait rien à voir avec le VIH, et continua de prêcher ses croyances aux mères séropositives. Elle est décédée en en décembre 2008 à l’âge de 52 ans d’infections multiples causées par le VIH. La prise de médicaments antirétroviraux l’aurait sauvée.

Peter Duesberg quant à lui initia le mouvement de négation en 1987 par un article suggérant que le VIH ne cause pas le SIDA. Bien qu’il ne soit plus actif dans le mouvement, d’autres continuent d’utiliser son article comme source.

Celia Faber est une journaliste ayant essentiellement consacré sa carrière au SIDA. Elle est à l’origine d’un article d’Harper reprenant les arguments de Duesberg, et est également l’auteur sur « L’Histoire sombre du SIDA ».

Ces trois personnalités ont véritablement façonné le milieu. Il n’en demeure pas moins porteurs de profondes inconsistances, les différents groupes ne s’accordant généralement pas sur les points les plus basiques de la controverse comme l’existence du VIH (qu’il cause ou non le SIDA). Peu importe, ces désaccords profonds et auto-annulant sont mis de côté afin de présenter un front uni.

Théories du complot et cherry-picking

Le fait que le VIH soit la cause du SIDA est un consensus très fort dans la communauté scientifique, basé sur plus de 20 ans de recherche solide. Les négateurs doivent dès lors rejeter ce consensus, soit en dénigrant la notion d’autorité scientifique en général, soit en arguant que la communauté mainstream est largement corrompue. Ce n’est alors pas surprenant que la littérature des négateurs reflète une défiance basique des autorités et institutions scientifiques et médicales. Dans son livre, Christine Maggiore dit ainsi : « je remercie mon père de m’avoir enseigné à questionner les autorités et à rechercher la vérité ». Similairement, la mathématicienne Rebecca Culshaw, négateur du VIH également, déclare : « Ayant été élevée depuis mon plus jeune âge à ne pas croire à quelque chose au motif que ‘tous les autres l’acceptent comme vérité’, je ne peux rester assise plus longtemps à ne rien faire sauf contribuer à cette folie ». [ndtr : cette déclaration n’est aujourd’hui plus disponible en ligne sur sa page d’origine].

Défiants vis-à-vis des professionnels de santé mainstreams, beaucoup de négateurs du VIH se tournent vers les pseudo-médecines à la recherche de traitements. L’un de ces praticiens alternatifs, le Dr. Mohammed Al-Bayati, suggère ainsi que des « toxines » et des médicaments, causent le SIDA, et non pas le VIH. Al-Bayati tire profit de sa position pseudo-scientifique : pour 100$ de l’heure, il accorde des consultations en rapport avec le SIDA, des effets secondaires des vaccins et autres médicaments, l’exposition aux produits chimiques ménagers… De la même manière, le vendeur de vitamines allemand et négateur du VIH Matthias Rath non seulement propose ses vitamines comme traitement contre le SIDA, mais son porte parole refuse d’être interviewé par Nature Médecine à ce sujet au motif que le journal est financé par l’industrie du médicament.

Les négateurs affirment que puisque les scientifiques reçoivent des bourses de recherche, des honneurs et du prestige grâce à leurs travaux, il est dans leur intérêt de maintenir le statu quo. Ce type de raisonnement est très pratique pour les négateurs en leur permettant de choisir quelle autorité ils vont suivre ou ne pas suivre pour soutenir l’échafaudage de leur conspiration. En plus d’être sélective, leur pensée souffre de graves incohérences logiques. Par exemple, ils refusent les études sur le VIH qui seraient financées par l’argent des médicament, tout en acceptant sans aucune analyse critique celles produites par les négateurs ayant un très lourd conflit d’intérêt financier par la promotion de traitements alternatifs dont ils sont à l’origine.

La science comme foi, le consensus comme dogme : une caricature bien utile

Dans la mesure où les positions niant la relation VIH-SIDA ne sont pas basées sur des standards scientifiques rigoureux, elles ne peuvent pas espérer entrer en compétition avec les théories mainstreams. Elles ne peuvent pas élever leurs croyances au niveau des standards scientifiques ; elles cherchent donc logiquement à inverser le processus en abaissant les standards scientifiques au niveau de la foi religieuse en caractérisant le consensus scientifique comme un dogme. Comme le relève un négateur dans le livre de Maggiore :

« Il y a la science classique et la façon dont elle est supposée fonctionner, et puis il y a la religion. J’ai retrouvé mes esprits quand j’ai réalisé que la science du SIDA était un discours religieux. La seule chose que je ne comprendrai jamais, c’est pourquoi les gens sont-ils prompts à croire aussi rapidement ce que le gouvernement le décrit comme étant la vérité, tout particulièrement en ce qui concerne le mythe central : la cause du SIDA est connue. »

D’autres suggèrent que l’ensemble dans la médecine moderne tient de la religion.

Les négateurs se décrivent eux-mêmes comme des sceptiques travaillant à détruire les croyances profondément enracinées. Les arguent que lorsque des scientifiques s’expriment contre l’orthodoxie scientifique, ils sont persécutés et renvoyés. Ils font par exemple grand cas de la carrière avortée de Peter Duesberg, clamant qu’il a été critiqué et mis au ban à partir du moment où il a remis en cause l’origine du SIDA. Le président sud africain est allé plus loin en déclarant que « dans le passé, de tels dissidents auraient été brûlés sur le bucher ! ».

Les négateurs du VIH accusent les scientifiques de museler la dissidence à propos des causes du SIDA, et de ne pas autoriser les prétendues solutions « alternatives ». Cependant, ces allégations pourraient être appliquées à n’importe quel consensus scientifique challengé par des motivations politiques motivées par des notions pseudoscientifiques, comme c’est le cas par exemple des créationnistes. De plus, la position des négateurs du VIH pouvant avoir de dramatiques conséquences en termes de santé publique, il est normal que la communauté scientifique et médicale soit peu encline à promouvoir sa visibilité (car comme l’a dit de manière percutante un éditorialiste, il s’agit d’un « charlatanisme mortel »). Dans la mesure où la négation du VIH n’a pas de valeur scientifique, une telle exclusion est normale, mais alimente dans le même temps le discours victimaire de ses tenants.

Opinion d’expert et promesse de reconnaissance prochaine

Bien que les négateurs rejettent les autorités médicales et scientifiques ainsi que le consensus, ils ont travaillé à réunir leurs propres autorités, scientifiques et autres professionnels de santé qui soutiennent leurs idées. De fait, les négateurs affirment qu’ils sont proches d’une plus large acceptation à venir de la part de la communauté scientifique et qu’ils restent marginalisés du fait d’une orthodoxie bien établie représentée par les scientifiques qui pensent que le VIH cause le SIDA.

Dans un effort pour soutenir ces allégations selon lequel un nombre croissant de scientifiques ne croient plus que le VIH cause le SIDA, Reappraising AIDS dont il était question plus haut dans ce billet, a publié une liste de signataires reconnaissant la déclaration suivante :

« Le grand public croit largement que le rétrovirus appelé VIH cause un groupe de maladies appelées SIDA. Beaucoup de biochimistes questionnent à présent cette hypothèse. Nous proposons un réexamen complet des preuves existantes venant en soutien ou en opposition de cette hypothèse, conduit par un groupe indépendant. Nous proposons ensuite que des études épidémiologiques critiques soient entreprises ». [ndtr : la page d’origine de cette déclaration n’est plus en ligne en juin 2015].

Ces signataires ne précisent pas cependant qui devrait constituer le « groupe indépendant » de réexamen, mais probablement de scientifiques ayant été endoctrinés par ce mouvement (et de fait, beaucoup des signataires de cette déclaration n’ont pas la moindre qualification en virologie, épidémiologie, ou même de bases en biologie). Ils ignorent également des milliers d’études épidémiologiques qui ont déjà été publiées dans la littérature scientifique, et ils échouent à fournir le moindre preuve convaincante qu’il y a dans la communauté scientifique une acceptation généralisée de leur position marginale.

Néanmoins, Farber a écrit dans un article de 1992 que « de plus en plus de scientifiques commencent à questionner l’hypothèse selon laquelle le VIH est la seule cause du chaos créé dans le système immunitaire qui conduit au SIDA ». [ndtr : la page d’origine n’est plus en ligne]. De la même manière, en mars 2006, un article du site web négateur « New AIDS Review » alléguait à propos du consensus scientifique sur le VIH que « […] la fabrique de ce manteau théorique est sur le point de se désintégrer ». Les scientifiques mainstreams bien entendu ne croient pas à la désintégration imminente du consensus, mais continuent de produire de nouvelles recherches pour la prévention et le traitement du VIH en publiant des milliers de nouveaux articles chaque année.

Par ailleurs, les négateurs exploitent le sens du fair play présent chez la plupart des scientifiques mais également dans le grand public, spécialement dans les sociétés démocratiques. Ils appellent en effet à une juste discussion, au débat contradictoire, à l’analyse indépendant des preuves et à l’ouverture aux alternatives, arguments susceptibles d’obtenir du soutien en dépit du contexte. Mais il s’agit d’une désinformation de la part du mouvement négateur que de suggérer qu’il y a un réel doute sur la cause du SIDA.

Déplacer les buts

De toutes les caractéristiques du discours négateur, le déplacement des buts –ou l’augmentation infinie des preuves nécessaires selon eux pour accepter le point de vue opposé- est souvent la plus éloquente. La stratégie derrière le déplacement des buts est assez simple : toujours demander plus de preuves qu’il ne peut à ce moment en être fourni, comme si, chaque fois une équipe de foot marquait un but, l’équipe adverse déplaçait les cages en arguant que pour être accepté, le point aurait du être marqué à cette nouvelle position. Si la demande de preuve est finalement satisfaite (le but marqué), il suffit donc de déplacer les cages en refusant les preuves fournies et en en demandant d’autres à la place.

Dans les années 80, les négateurs du VIH affirmaient que les médicaments contre le SIDA étaient inefficaces, ne prolongeaient pas l’espérance de vie et étaient en fait toxiques et endommageaient le système immunitaire. Cependant, après l’introduction de nouveaux médicaments plus efficaces dans les années 90, l’espérance de vie augmenta de manière impressionnante. Les négateurs du VIH dès lors n’acceptèrent plus ce critère comme une preuve suffisante de l’efficacité des médicaments ni que le VIH était à l’origine du SIDA. Des placards entiers d’articles et de traités sur la question ne suffisaient pas à les convaincre. Christine Maggiore écrit ainsi dans son livre : « Depuis 1984, plus de 100 000 papiers ont été publiés sur le VIH. Aucun de ces articles, individuellement ou collectivement, n’a été capable de montrer raisonnablement ou prouver de manière factuelle que le VIH cause le SIDA ».

Les négateurs rejettent arbitrairement certaines catégories de preuves, même lorsque celles-ci sont acceptées dans diverses disciplines scientifiques. Par exemple, ils rejettent la preuve inférentielle que le VIH cause le SIDA, incluant les preuves phylogénétiques et vétérinaires reliant le VIH humain et sa forme simiesque le VIS. De la même manière, ils rejettent les corrélations fortes comme preuves de causalité. Cependant, de multiples corrélations indépendantes et pointant toutes de manière cohérente vers la même cause –que le VIH est à l’origine du SIDA- est une preuve légitime et généralement acceptée dans les études épidémiologiques comment étant une preuve suffisante pour établir une relation de causalité. Le même type de corrélations a été utilisé par exemple pour établir que le tabagisme est à l’origine de certaines formes de cancers du poumon.

Quelles sont leurs alternatives ?

Après tant de critiques contre les théories des négateurs, on pourrait penser qu’ils ont quelque chose de consistant à offrir comme alternative au VIH comme cause du SIDA. Cependant, les alternatives qu’ils proposent sont bien plus spéculatives que les théories mainstreams qu’ils décrivent comme n’étant pas assez solides. Par ailleurs, ils souffrent d’une faille logique supplémentaire : la fausse dichotomie. En effet, ils supposent que s’ils prouvaient la fausseté de la position mainstream, cela validerait de facto la leur.

De manière intéressante, les causes alternatives au SIDA dépendant de l’endroit où le patient vit. En Afrique, les négateurs attribuent le VIH à une combinaison de malnutrition et de détresse sanitaire, c’est-à-dire qu’ils pensent que le SIDA est simplement le nouveau nom de maladies préexistantes. En Amérique et dans d’autres pays développés, ils affirment que le SIDA est causé par les médicaments et la promiscuité. Duesberg à longtemps soutenu que l’utilisation du poppers importante dans la communauté homosexuelle y expliquait la forte prévalence du SIDA. Avec l’identification de malades n’ayant jamais utilisé ce produit, cette argument a été élargi par les négateurs pour y inclure un certain nombre de drogues comme la cocaïne, le crack, l’héroïne et les méthamphétamines aussi bien que des médicaments comme les antibiotiques ou les stéroïdes. Ils ont critiqué l’idée selon laquelle l’immunodépression pouvait résulter dans toutes les différentes infections qui caractérisent le SIDA, et soutiennent ainsi l’idée selon laquelle le poppers et d’autres produits –dont beaucoup n’ont jamais montré qu’ils causaient de sévères immunodéficiences- pourraient causer le SIDA. Ces dernières années, les médicaments utilisés pour traiter le SIDA sont passés sous le feu des négateurs qui ont suggéré que la prise en charge médicale elle-même était la cause du SIDA.

Conclusion

Parce que ces allégations sont faites dans des livres grand public et sur internet plutôt que dans des publications scientifiques, beaucoup de chercheurs ne sont même pas au courant de l’existence de groupes de déni organisés, ou bien pensent qu’ils peuvent simplement les ignorer comme des marginaux discrédités. Et en effet, beaucoup des arguments des négateurs disposaient depuis longtemps des réponses solides des scientifiques. Cependant, une large part du grand public ne dispose par des connaissances scientifiques pour critiquer les assertions mises en avant par ces groupes, et non seulement les accepte mais participe également à leur diffusion. Un éditorial de Nature Médecine alertait ainsi de la nécessité de contrer cette désinformation.

Alors que la description précédente de ce déni reflète plutôt des campagnes relativement organisées, on observe d’autres tendances, moins orchestrées. Une étude montre par exemple qu’un large pourcentage des afro-américains est suspicieux vis-à-vis de la position mainstream du fait d’une défiance accrue dans cette population vis-à-vis des autorités gouvernementales. Les arguments des négateurs ont pu jouer un rôle dans l’émergence de cette opinion. L’effet de ces groupes sur la perception publique de l’infection du VIH est un champ d’études crucial dans la mesure où ces mouvements peuvent avoir des conséquences dramatiques, de la même façon que les mouvements antivaccinalistes [ndtr : la comparaison avec les antivaxx ne figure pas dans l’article de Steven Novella]. Dans cette étude, une forte adhésion aux théories du complot était significativement associée avec des attitudes à risque de rejet des recommandations officielles comme l’usage du préservatif.

Dans quelle mesure ce déni persistant peut-il être associé aux déclarations originelles des scientifiques et des médias faisant du diagnostic du SIDA une sentence de mort universelle ? Bien que cette idée ne soit plus possible dans la littérature scientifique, cette perception de la maladie par le public demeure. Il est très difficile de communiquer de manière nuancée à la fois sur la gravité de la maladie et les véritables motifs d’optimisme permis par la recherche scientifique (notamment à propos des individus présentant une résistance naturelle au virus). Trop simplifier la science du SIDA au public participe à la récupération par les négateurs du VIH. Ainsi, ces inquiétudes doivent être balancées entre le désire d’alerter raisonnablement sur la gravité de la situation et de motiver les malades à suivre leur traitement. Un programme difficile à suivre.

La balance, en fait, mérite une attention croissante des professionnels de santé à l’époque où internet prévaut dans la diffusion de l’information et où l’élargissement du fossé entre les connaissances scientifiques et la compréhension des sciences par les grand public accélère. L’éducation efficace du public sur les questions de santé repose sur la présentation d’un message clair et simple soutenu par un solide consensus scientifique. Ainsi, la réalité derrière la scène est souvent assez différente de celle-ci. Tous les champs médicaux où leurs controverses légitimes et autres complexités, et le processus scientifique est souvent désordonné. Dès lors, les groupes de déni exploitent le fossé entre le niveau d’éducation du public et la réalité scientifique.

Par ailleurs, contrer la désinformation sur le VIH nécessite la conduite dans un contexte social plus large d’une contre attaque face aux mouvements anti-science et pseudo-scientifiques. Les stratagèmes des négateurs du VIH, comme dans beaucoup d’autres cas de déni scientifique, cherchent à miner les principes de base de la science même, afin de déformer la perception que le publique a du processus scientifique et de provoquer la défiance vis-à-vis des institutions scientifiques. Des alternatives pseudomédicales ont ainsi pu faire un chemin significatif au sein des institutions médicales grâce à des pressions politiques et en dépit d’un manque permanant de légitimité scientifique : les vaccins sont ainsi considérés comme dangereux plutôt que sauvant des vies, la psychiatrie est moquée par des célébrités ayant l’oreille du grand public. Pendant ce temps, beaucoup de leaders scientifiques et politiques s’inquiètent du recul des USA aux marges des centres de production scientifique.

Il reste le problème profond d’une ignorance scientifique généralisée dans ce pays comme dans d’autres, créant un terreau fertile à ceux désirant répandre de la désinformation scientifique. La communauté scientifique doit collectivement défendre et promouvoir le rôle de la science dans la société et combattre le problème croissant de l’ignorance scientifique. Nous devons tous nous efforcer de faire notre part afin de rendre la science accessible au grand public et d’expliquer le processus par lequel les preuves scientifiques sont réunies, analysées, et finalement acceptées. Les institutions académiques devraient motiver leurs chercheurs à augmenter le temps passer à un tel effort. Une connaissance solide de la méthode scientifique ne devrait pas éliminer totalement le déni de la science, mais il pourrait accroitre la résilience contre de prochaines diffusion de telles croyances.

Conspirationnisme médical et rejet de la médecine scientifique

Depuis quelques jours est diffusée sur le net francophone une nouvelle pétition anti-vacciniste. Celle-ci émane des piliers habituels du mouvement en France, dont les sophismes et manipulations courantes trouvent échos dans la rigueur du fact-checking de quelques rationalistes bien esseulées. C’est qu’en effet, si les mythes anti-vaccinistes se répandent comme une trainée de poudre, leur débunking, et au-delà de ça, la simple communication scientifique et médicale, ont eux beaucoup plus de peine à se faire entendre. On sait bien pourtant à quel point les réseaux sociaux ont fait exploser la diffusion de tels mythes pseudo-scientifiques comme j’ai pu en parler ici et . La diffusion de ces mythes serait risible si hélas elle n’était pas dramatique. Car oui, aujourd’hui, en Occident (pas en Afghanistan, en Occident !), des enfants souffrent et meurent d’infections pourtant évitables par la vaccination. Ils sont tués par des pathogènes contre lesquels leurs parents ont refusé de les protéger, abusés qu’ils étaient par quelques discours anxiogènes et proprement criminels. Le mouvement a pris une telle ampleur en Australie par exemple, qu’une série de mesures fortes et bipartisanes ont été entreprises par le gouvernement pour l’enrayer.

Aujourd’hui, il ne peut plus être question de diffuser ces allégations infondées voire mensongères sans assumer la très lourde responsabilité des conséquences funestes que cela pourra engendrer. La faute serait en outre double pour les scientifiques qui relaieraient des mythes pseudo-médicaux niant purement et simplement le consensus scientifique qu’ils sont pourtant formés à consulter, interroger et comprendre, quelle que soit leur spécialité. Faute triple pour les professionnels de santé qui se parjurent en recourant à des prescriptions fantaisistes n’ayant pas fait leurs preuves face aux standards scientifiques, et au mépris le plus total de leur patientelle.

Car c’est bien là que je veux en venir : aux conséquences du conspirationnisme médical en termes d’attitudes de soins, l’occasion pour moi de revenir sur un article publié en mai 2014 dans le JAMA Internal Medicine en open access.

Cet article intitulé « Medical Conspiracy Theories and Health Behaviors in the United States », par J. Eric Oliver et Thomas Wood fait l’état du conspirationnisme médical aux USA et de ses conséquences en termes d’attitude de soins. Il convient d’emblée de souligner que les pseudo-sciences n’ont pas la même puissance en termes de représentation dans la population générale ou d’assise académique de part et d’autre de l’Atlantique. Le recours à l’homéopathie est par exemple une spécialité française. On rappellera que celle-ci est par ailleurs bien mise à mal ces dernières semaines dans le monde anglo-saxon, en dépit des efforts du Prince de Galles. Il ne s’agit donc aucunement de transférer les chiffres et les attitudes de la population étasunienne à la population française. Mais les mêmes causes ayant les mêmes effets (comprendre que les mêmes SCAM provoquent les mêmes souffrances), il est intéressant d’observer le cas américain.

Ces dernières décennies, de nombreuses théories du complot médical sont apparues, parfois dramatiquement relancées et popularisées avec l’apparition des réseaux sociaux. Empoisonnement délibéré de l’eau du robinet au fluor, danger caché des ondes électromagnétiques, et bien entendu, danger caché des vaccins, quand il ne s’agit pas également d’un empoisonnement délibéré de la population, entre autres. Les tenants de ces conspirations sont très bruyants sur le net, mais on peut se demander ce qu’il en est dans la population générale, et si l’adhésion à ces théories du complot médical peut avoir un impact sur le comportement des patients vis-à-vis de la médecine scientifique.

Pour recueillir des informations sur l’assise des théories du complot médical dans la population, les auteurs se sont reposés sur un questionnaire rempli sur Internet par 1351 personnes adultes en 2013 et représentatives de la population nationale (des USA donc).

Ils ont ainsi pu mesurer la quantité de personnes ayant connaissance d’au moins six théories du complot médical, dont les remèdes miracles contre le cancer cachés au public, le danger caché des vaccins, et le danger caché des téléphone portables, qui étaient les théories les plus répandues dans l’échantillon. Ces trois théories bénéficiaient également d’une forte adhésion au sein de la population. Pour 37% des personnes interrogées, la FDA (une agence de régulation des médicaments du « ministère » de la santé étasunien) cachait intentionnellement au public américain l’existence de remèdes naturels contre le cancer du fait de la pression orchestrée par les compagnies pharmaceutiques ; 20% de la population adhéraient également à l’idée que l’industrie cachait au public des données probantes en faveur du lien cancer-téléphone portable, et le fait que les médecins continuent de faire vacciner les enfants alors qu’ils sauraient que cela peut être dangereux.

Figure 1 Adhésion des américains à différentes théories du complot médical en 2013.

Les théories du complot à propos de l’empoisonnement intentionnel de l’eau du robinet au fluor, de la nocivité des produits alimentaires génétiquement modifiés, ou encore l’orchestration de l’épidémie de SIDA par la CIA sont moins bien connus. Rappelons qu’on parle ici des USA, où le mythe de l’empoisonnement au fluor est certes plus faible que d’autres, mais semble-t-il plus répandu qu’en France. Cette dernière observation est empirique : le mythe de la fluoridation de l’eau nous vient effectivement des USA et ses tenants sur le web francophone semblent moins bruyants que leurs pendants américains. Par ailleurs, toujours pour relativiser ce classement, les tenants anti-OGM arriveraient probablement en France en tête de cette liste.

Concernant ces trois dernières théories dans l’échantillon qui nous intéresse ici, moins d’un tiers de la population en avait entendu parler et seulement 12% des personnes interrogées déclaraient adhérer à chacune d’elles. Au final 49% de l’échantillon de citoyens étasuniens interrogés adhéraient au moins à une théorie du complot médical et 18% adhéraient à trois ou plus d’entre elles. Cette répartition corrobore nettement celle de l’adhésion aux théories du complot politique.

La deuxième partie de l’enquête portait sur les attitudes de soins des personnes ayant répondu. Celles-ci étaient classées en faiblement conspirationnistes lorsqu’ils n’adhéraient à aucune, une, ou deux théorie du complot médical, et en fortement conspirationnistes lorsqu’ils adhéraient à trois ou plus de ces théories.

L’enquête a ainsi pu montrer que la croyance dans les théories du complot médical est corrélée avec certaines attitudes de soins, à savoir un plus grand recours aux pseudo-médecines dites « naturelles » ou « alternatives » et un plus grand évitement de la médecine scientifique. Les grands conspirationnistes étaient plus portés à la consommation de produits BIO et de suppléments d’herbes prétendument médicinales. Par ailleurs, cette même catégorie était moins portée à utiliser de la crème solaire et à procéder à la vaccination annuelle contre la grippe.

Ainsi, alors que 20% de l’ensemble de l’échantillon déclaraient consommer des suppléments, 35% des grands conspirationnistes déclaraient le faire également, et alors que 45% de l’échantillon total déclaraient passer une visite médicale annuelle, seulement 37% des grands conspirationnistes déclaraient le faire également.

Figure 2 Attitudes de soins en fonction de l’adhésion aux théories du complot médical, Oliver et Wood 2014.

Des analyses multivariées supplémentaires permirent d’observer que l’adhésion au conspirationnisme médical demeurait un indicateur solide prédisant ces attitudes de soins en rupture avec la science.

Il est assez courant de classer arbitrairement les tenants de théories du complot comme une frange de la population sujette à des syndromes de désillusion ou de paranoïa, mais cette enquête montre qu’en ce qui concerne au moins l’adhésion aux théories du complot médical, celles-ci sont largement répandues dans la population avec une forte adhésion. Par ailleurs, l’adhésion est fortement corrélée à des attitudes de soins particulières et en rupture avec la médecine scientifique, conduisant ces personnes à s’éloigner de traitements efficaces qui ont fait la preuve de leur sécurité, au profit de médecines dites « alternatives » (qui ne sont pas valides scientifiquement), inefficaces jusqu’à preuve du contraire, et aux conséquences souvent dramatiques.

Il ne s’agissait pas dans ce billet rapide de faire l’état des lieux de ces conséquences dramatiques, mais d’observer la répartition de ce type de mythes dans une population occidentale, et les conséquences bien réelles en termes de comportements vis-à-vis de sa propre santé et bien souvent de celle de ses enfants.

Lorsque l’on connait les conséquences funestes de certaines de ces adhésions à l’échelon individuel (dont la presse est beaucoup moins friande que des cas infondés nourrissant les théories du complot médical) et leur répartition à l’échelon de la population, il n’est pas anodin de prendre conscience de sa propre responsabilité à relayer avec légèreté ce type de mythes.

[EDIT  24/05/2014 : alors même que je viens de publier ce billet, je vois que plus tôt dans la soirée, la plateforme internet d’un média mainstream s’est fendue d’un bon petit article sur la question de la dernière pétition antivaxx. Ô joie ! on y déboulonne l’initiative antivacciniste, et en se basant sur l’article du blog Rougeole épidémiologie cité au tout début du présent billet et dont les rédactrices ont fait un travail aussi prompt qu’efficace. Les SkeptiGirls sont à fond ! et nous montrent accessoirement que la communication sceptique n’est pas vaine]

[Synth] Sur la reprise et la diffusion au premier degré de trolls pourtant évidents

 

 

J’ai récemment fait la synthèse d’un article de février 2015 paru dans Plos One à propos de la diffusion et de l’enracinement des informations sur internet en fonction de leurs sources conspirationnistes ou scientifiques. En ce jour saint de la bonne blague, du bon gros troll gros comme un camion à tel point qu’il sera encore plus goulument repris au premier degré par des sites de désinformations sans le moindre soucis de vérification de l’information et de scepticisme, je pense salutaire de revenir sur un article un peu plus ancien, mais également instructif sur ce phénomène. Au risque de faire doublon, cet article pose les jalons confirmés par celui de Plos One à propos de la diffusion des trolls. A garder dans un coin de sa bibliographie sur la diffusion des informations conspis donc.

Dans cet article publié dans Journal of Trust Management en décembre 2014, les auteurs présentent une analyse quantitative des schémas de consommation de l’information en fonction de sa qualité par les utilisateurs de Facebook. Les pages ont été catégorisées selon leur sujet et les communautés d’intérêt auxquelles elles se rapportent : a) des sources d’informations alternatives (diffusant des sujets supposément négligés par la science et les médias mainstream ; b) de l’activisme politique en ligne ; c) des médias mainstream. Les auteurs ont mis en évidence des schémas de consommation similaires en dépit de la nature très différente des contenus. Ils ont alors classé les utilisateurs en fonction de leurs schémas d’interactions sur différents sujets et ont mesuré la façon dont ils répondaient face à la diffusion de 2788 fausses informations (imitations parodiques ou histoires alternatives).

Le fonctionnement des systèmes socio-techniques, comme tout système socio-cognitif, nécessite l’interaction des individus dans le but d’accroître leur degré d’information et d’abaisser celui de leur incertitude. Lorsqu’il s’agit en particulier de sélectionner l’information, l’efficacité de tels systèmes repose sur la précision et la complétude de l’information proposée. Dans le but d’avoir une information complète, les individus ont besoin de perspectives où les différents points de vue sont présentés aussi objectivement et rigoureusement que possible. Cependant, la multiplication sans précédant des médias sociaux a permis la diffusion active et massive d’informations alternatives. Il s’agit dès lors de mesurer le rôle de ces informations disponibles sur l’opinion publique.

Le World Economic Forum dans son rapport de 2013 a listé la désinformation numérique massive comme l’un des principaux risques pour la société moderne. La perception du public, la connaissance, les croyances et les opinions sur le monde et son évolution sont formées et modulées à travers le prisme des informations auxquelles ce public a accès, la plupart venant de la presse écrite, de la télé, et plus récemment d’Internet. L’internet a changé la façon dont nous pouvons mesurer la croissance et la formation des idées, en particulier sur les réseaux sociaux et leur contenu créé par les utilisateurs. Ceux-ci facilitent l’étude de l’émergence, de la production et de la consommation de l’information.

En dépit des formules enthousiastes à propos de la façon dont les nouvelles technologies auraient accru l’intérêt du public pour les débats politiques et sociaux d’importance, le rôle des systèmes socio-techniques dans le renforcement de l’information est toujours incertain. En effet, l’émergence de connaissance via ce processus a été surnommée l’intelligence collective, voire même la sagesse des peuples.

Dans cet article, les auteurs montrent un exemple de la façon dont de fausses informations sont particulièrement persistantes sur les médias sociaux et favorisent une sorte de crédulité collective. Les auteurs ont procédé à l’analyse quantitative des schémas de consommation de l’information de qualité différente sur Facebook avec un corpus de 50 pages sur lesquelles ont interagi 2,3 millions d’utilisateurs. Dans le but d’étudier les schémas d’attention et de consommation des différents contenus ils ont divisé les pages en catégories selon le genre d’informations véhiculées.

Les résultats proposés par les auteurs montrent que les utilisateurs avec une forte préférence pour les sources d’informations alternatives, probablement motivés par la volonté d’éviter les manipulations des médias mainstream contrôlés par les gouvernements, sont plus sensibles aux fausses informations. Ces résultats suggèrent que les utilisateurs à l’approche la moins systématique dans l’évaluation des preuves (la plus heuristique) sont plus enclins aux informations confortant leurs croyances préalables même lorsqu’il s’agit de parodies évidentes.

Figure 1 Figure 1 Les utilisateurs les plus enclins à réagir à de fausses allégations intentionnellement diffusées (des trolls) sont les consommateurs habituels de sources d’informations alternatives.

La libre circulation des contenus promeut le regain d’attention des utilisateurs pour des problèmes importants comme la crise financière ou les débats politiques. Cependant, les auteurs montrent dans ce travail que les rumeurs infondées sont persistantes sur les médias sociaux et qu’elles peuvent influencer la construction et la révision des croyances des utilisateurs. Les informations basées sur les théories du complot sont capables de créer un climat de désengagement vis-à-vis de la société mainstream et des pratiques officiellement recommandées concernant entre autres les soins et l’alimentation. La pensée conspirationniste expose le public à des hypothèses infondées et difficiles à vérifier en produisant des explications alternatives à la réalité. Les conspirationnistes sont notamment prompts à expliquer d’importants problèmes politiques et sociaux par le complot orchestré par des individus ou des organisations puissantes.

[Synth] « Science vs. Conspiration : contes collectifs à l’époque de la désinformation »

Les auteurs d’une étude italienne publiée dans Plos One en février 2015 ont étudié la façon dont les informations, selon qu’elles viennent de médias conspirationnistes ou de médias scientifiques mainstream, se diffusaient, s’implantaient, et formaient des communautés sur Facebook. Ils se sont pour cela reposés sur un échantillon de 1,2 millions d’individus.

L’avènement du web a fondamentalement changé la dynamique de l’information. Dans ce cadre récent, la pertinence des faits se fond avec des informations déformées voire totalement fausses conduisant ainsi à la création d’un mix d’informations totalement nouvelles.

Comme il a déjà été souligné, les individus peuvent ne pas être informés ou être désinformés, et les corrections apportées lors de la diffusion et l’émergence de croyances erronées ne sont pas efficaces. On a vu par exemple que les campagnes de debunking en ligne avaient plutôt tendance à créer un effet contraire à celui qui était recherché en renforçant les croyances des tenants de théories conspirationnistes.

Dans cet article, une équipe de chercheurs italiens a classé les schémas de traitement de l’information des internautes selon que celle-ci vienne de médias scientifiques mainstream ou de médias conspirationnistes. Les médias scientifiques diffusent des informations de même nature et les sources en sont faciles d’accès. Les médias conspirationnistes aspirent à diffuser les informations négligées et manipulées par les premiers. Plus précisément, les thèses conspirationnistes tendent à réduire la complexité de la réalité en expliquant certains aspects sociaux ou politiques comme des complots conçus par des individus ou des organisations puissantes. Puisque ce genre de positions peut parfois impliquer le rejet de la science, des explications alternatives sont invoquées pour remplacer les preuves scientifiques. Par exemple, les personnes rejetant le lien entre VIH et SIDA croient généralement que ce dernier a été créé par le gouvernement des Etats-Unis afin de contrôler la population afro-américaine.

La diffusion de la désinformation dans un tel contexte peut être particulièrement difficile à détecter pour l’utilisateur à cause de la tendance naturelle des gens à adhérer à des informations en accord avec leur propre système de croyances.

L’augmentation des connaissances doublée d’un monde interconnecté et soutenue par l’accélération sans précédent des progrès scientifiques à exposé la société à un degré croissant de complexité des phénomènes observés. En effet, un glissement du paradigme dans la production et l’utilisation des contenus s’est opéré, accroissant considérablement les volumes aussi bien que l’hétérogénéité des informations accessibles aux utilisateurs. N’importe qui sur le web peut produire, suivre et diffuser activement des contenus et participer de ce fait à la création, à la diffusion et au renforcement de différents contes collectifs. Une telle hétérogénéité de l’information a conduit à l’agrégation des gens autour d’intérêts, de visions du monde et contes communs.

Les contes basés sur les théories du complot tendent à réduire la complexité de la réalité et contiennent intrinsèquement l’incertitude qu’elles génèrent de surcroit. Ils sont capables de créer un climat de désengagement vis-à-vis des médias mainstream et des pratiques officiellement recommandées comme la vaccination, le régime alimentaires, etc.. En dépit de l’enthousiasme général à propos l’intelligence collective, le rôle des réseaux sociaux dans le renforcement de l’information dans les débats et leurs effets sur l’opinion publique reste peu clair. Cependant, le World Economic Forum à listé la désinformation numérique massive comme l’un des risques majeurs des sociétés modernes.

Une multitude de mécanismes anime le flot et l’acceptation de fausses rumeurs qui à leur tour créent de fausses croyances rarement corrigées une fois adoptées par un individu. Le processus d’acceptation d’une allégation (qu’elle soit documentée ou non) pourrait être altéré par l’influence des normes sociales ou par la cohérence avec le système de croyance de l’individu. Une littérature importante s’intéresse aux dynamiques sociales et aux réseaux sociaux dans la contagion et le renforcement de ces croyances. Il a été montré récemment que des rumeurs infondées sur le web, comme le lien vaccins / autisme, le réchauffement climatique induit par les chemtrails, ou les informations secrètes des gouvernements sur les aliens, et les informations mainstream comme les nouvelles scientifiques, sont diffusées d’une façon complètement différente.

L’omniprésence de contenus non fiables pourrait conduire à un mélange d’histoires infondées avec leurs versions satiriques (par exemple la présence de citrate de sildénafil, le principe actif du viagra, dans les chemtrails, ou encore les effets anti hypnotiques du citron, plus de 45 000 partages sur Facebook). Il y a en fait des groupes très distincts, constitués de trolls, fabriquant des pages Facebook satiriques et caricaturant les médias conspirationnistes. Leurs activités peuvent aller des commentaires controversés aux satires et aux memes conspirationnistes, à la fabrication de citations purement fictives et hautement irréalistes ou sarcastiques. Assez souvent, ces memes deviennent viraux et sont utilisés comme preuves sur le web par des activistes politiques.

Dans le travail dont il est question ici, les auteurs se sont intéressés aux schémas de consommation des utilisateurs en fonction de types très distincts d’information. Se concentrant sur le contexte italien et aidés en cela par des pages très actives dans le debunking de rumeurs infondées, ils ont construit un atlas des sources d’informations scientifiques et des sources conspirationnistes sur Facebook. Les pages y sont classées en fonction du genre d’informations qu’elles diffusent et de leur propre description comme visant à des explications alternatives à la réalité, ou des nouvelles scientifiques. Le but des auteurs n’était cependant pas d’alléguer que les informations véhiculées par les sources conspirationnistes sont nécessairement fausses, mais plutôt de voir comment les communautés se forment autour de différentes informations, interagissent et consomment leurs informations préférées.

Les auteurs ont pris en compte les interactions des utilisateurs avec des pages publiques, c’est-à-dire les likes, les partages et les commentaires. Chacune de ces actions a une signification particulière. Un like renvoie à un feedback positif du post, un partage exprime la volonté d’augmenter la visibilité d’une information, un commentaire est la façon de créer le débat en ligne. Les commentaires peuvent être négatifs ou positifs.

L’analyse débute par la délimitation des schémas d’utilisation des informations et des pages structurant les communautés. Ils ont attribué une polarisation aux utilisateurs dès lors que ceux-ci présentaient 95% de feedback positifs pour une catégorie exclusive de pages (conspirationniste ou scientifique). Selon la littérature sur la dynamique des opinions, deux individus sont capables de s’influencer l’un l’autre uniquement si la distance entre leurs opinions est en dessous d’un certain seuil de sorte à ce que les utilisateurs consommant des informations différentes et opposées tendent à s’agréger en des clusters isolés les uns des autres. De plus, les auteurs ont mesuré l’activité des commentaires des uns et des autres dans les communautés opposées, et ont mis en évidence que les utilisateurs polarisés sur les sources conspirationnistes étaient plus concentrés sur les posts de leur propre communauté et plus enclins à la diffusion de leur contenu. D’un autre côté, les utilisateurs de médias scientifiques se montrent moins actifs dans la diffusion de leurs informations et plus enclins à commenter les pages conspirationnistes.

journal.pone.0118093.g005

Les auteurs ont finalement testé la réponse des utilisateurs polarisés face à 4709 théories conspirationnistes satiriques ou complètement aberrantes. 80,86% des likes et 77,92% des commentaires venaient d’utilisateurs conspirationnistes. Ces résultats, cohérents avec de précédentes recherches, mettent en évidence pour les auteurs la relation entre la croyance dans les théories du complot et la nécessité d’un cloisonnement cognitif consistant dans une attitude d’évitement des examens approfondis des informations qui remettraient en cause ces théories. Ce mécanisme s’illustrerait dès lors comme central dans la diffusion de fausses allégations.