Conspirationnisme médical et rejet de la médecine scientifique

Depuis quelques jours est diffusée sur le net francophone une nouvelle pétition anti-vacciniste. Celle-ci émane des piliers habituels du mouvement en France, dont les sophismes et manipulations courantes trouvent échos dans la rigueur du fact-checking de quelques rationalistes bien esseulées. C’est qu’en effet, si les mythes anti-vaccinistes se répandent comme une trainée de poudre, leur débunking, et au-delà de ça, la simple communication scientifique et médicale, ont eux beaucoup plus de peine à se faire entendre. On sait bien pourtant à quel point les réseaux sociaux ont fait exploser la diffusion de tels mythes pseudo-scientifiques comme j’ai pu en parler ici et . La diffusion de ces mythes serait risible si hélas elle n’était pas dramatique. Car oui, aujourd’hui, en Occident (pas en Afghanistan, en Occident !), des enfants souffrent et meurent d’infections pourtant évitables par la vaccination. Ils sont tués par des pathogènes contre lesquels leurs parents ont refusé de les protéger, abusés qu’ils étaient par quelques discours anxiogènes et proprement criminels. Le mouvement a pris une telle ampleur en Australie par exemple, qu’une série de mesures fortes et bipartisanes ont été entreprises par le gouvernement pour l’enrayer.

Aujourd’hui, il ne peut plus être question de diffuser ces allégations infondées voire mensongères sans assumer la très lourde responsabilité des conséquences funestes que cela pourra engendrer. La faute serait en outre double pour les scientifiques qui relaieraient des mythes pseudo-médicaux niant purement et simplement le consensus scientifique qu’ils sont pourtant formés à consulter, interroger et comprendre, quelle que soit leur spécialité. Faute triple pour les professionnels de santé qui se parjurent en recourant à des prescriptions fantaisistes n’ayant pas fait leurs preuves face aux standards scientifiques, et au mépris le plus total de leur patientelle.

Car c’est bien là que je veux en venir : aux conséquences du conspirationnisme médical en termes d’attitudes de soins, l’occasion pour moi de revenir sur un article publié en mai 2014 dans le JAMA Internal Medicine en open access.

Cet article intitulé « Medical Conspiracy Theories and Health Behaviors in the United States », par J. Eric Oliver et Thomas Wood fait l’état du conspirationnisme médical aux USA et de ses conséquences en termes d’attitude de soins. Il convient d’emblée de souligner que les pseudo-sciences n’ont pas la même puissance en termes de représentation dans la population générale ou d’assise académique de part et d’autre de l’Atlantique. Le recours à l’homéopathie est par exemple une spécialité française. On rappellera que celle-ci est par ailleurs bien mise à mal ces dernières semaines dans le monde anglo-saxon, en dépit des efforts du Prince de Galles. Il ne s’agit donc aucunement de transférer les chiffres et les attitudes de la population étasunienne à la population française. Mais les mêmes causes ayant les mêmes effets (comprendre que les mêmes SCAM provoquent les mêmes souffrances), il est intéressant d’observer le cas américain.

Ces dernières décennies, de nombreuses théories du complot médical sont apparues, parfois dramatiquement relancées et popularisées avec l’apparition des réseaux sociaux. Empoisonnement délibéré de l’eau du robinet au fluor, danger caché des ondes électromagnétiques, et bien entendu, danger caché des vaccins, quand il ne s’agit pas également d’un empoisonnement délibéré de la population, entre autres. Les tenants de ces conspirations sont très bruyants sur le net, mais on peut se demander ce qu’il en est dans la population générale, et si l’adhésion à ces théories du complot médical peut avoir un impact sur le comportement des patients vis-à-vis de la médecine scientifique.

Pour recueillir des informations sur l’assise des théories du complot médical dans la population, les auteurs se sont reposés sur un questionnaire rempli sur Internet par 1351 personnes adultes en 2013 et représentatives de la population nationale (des USA donc).

Ils ont ainsi pu mesurer la quantité de personnes ayant connaissance d’au moins six théories du complot médical, dont les remèdes miracles contre le cancer cachés au public, le danger caché des vaccins, et le danger caché des téléphone portables, qui étaient les théories les plus répandues dans l’échantillon. Ces trois théories bénéficiaient également d’une forte adhésion au sein de la population. Pour 37% des personnes interrogées, la FDA (une agence de régulation des médicaments du « ministère » de la santé étasunien) cachait intentionnellement au public américain l’existence de remèdes naturels contre le cancer du fait de la pression orchestrée par les compagnies pharmaceutiques ; 20% de la population adhéraient également à l’idée que l’industrie cachait au public des données probantes en faveur du lien cancer-téléphone portable, et le fait que les médecins continuent de faire vacciner les enfants alors qu’ils sauraient que cela peut être dangereux.

Figure 1 Adhésion des américains à différentes théories du complot médical en 2013.

Les théories du complot à propos de l’empoisonnement intentionnel de l’eau du robinet au fluor, de la nocivité des produits alimentaires génétiquement modifiés, ou encore l’orchestration de l’épidémie de SIDA par la CIA sont moins bien connus. Rappelons qu’on parle ici des USA, où le mythe de l’empoisonnement au fluor est certes plus faible que d’autres, mais semble-t-il plus répandu qu’en France. Cette dernière observation est empirique : le mythe de la fluoridation de l’eau nous vient effectivement des USA et ses tenants sur le web francophone semblent moins bruyants que leurs pendants américains. Par ailleurs, toujours pour relativiser ce classement, les tenants anti-OGM arriveraient probablement en France en tête de cette liste.

Concernant ces trois dernières théories dans l’échantillon qui nous intéresse ici, moins d’un tiers de la population en avait entendu parler et seulement 12% des personnes interrogées déclaraient adhérer à chacune d’elles. Au final 49% de l’échantillon de citoyens étasuniens interrogés adhéraient au moins à une théorie du complot médical et 18% adhéraient à trois ou plus d’entre elles. Cette répartition corrobore nettement celle de l’adhésion aux théories du complot politique.

La deuxième partie de l’enquête portait sur les attitudes de soins des personnes ayant répondu. Celles-ci étaient classées en faiblement conspirationnistes lorsqu’ils n’adhéraient à aucune, une, ou deux théorie du complot médical, et en fortement conspirationnistes lorsqu’ils adhéraient à trois ou plus de ces théories.

L’enquête a ainsi pu montrer que la croyance dans les théories du complot médical est corrélée avec certaines attitudes de soins, à savoir un plus grand recours aux pseudo-médecines dites « naturelles » ou « alternatives » et un plus grand évitement de la médecine scientifique. Les grands conspirationnistes étaient plus portés à la consommation de produits BIO et de suppléments d’herbes prétendument médicinales. Par ailleurs, cette même catégorie était moins portée à utiliser de la crème solaire et à procéder à la vaccination annuelle contre la grippe.

Ainsi, alors que 20% de l’ensemble de l’échantillon déclaraient consommer des suppléments, 35% des grands conspirationnistes déclaraient le faire également, et alors que 45% de l’échantillon total déclaraient passer une visite médicale annuelle, seulement 37% des grands conspirationnistes déclaraient le faire également.

Figure 2 Attitudes de soins en fonction de l’adhésion aux théories du complot médical, Oliver et Wood 2014.

Des analyses multivariées supplémentaires permirent d’observer que l’adhésion au conspirationnisme médical demeurait un indicateur solide prédisant ces attitudes de soins en rupture avec la science.

Il est assez courant de classer arbitrairement les tenants de théories du complot comme une frange de la population sujette à des syndromes de désillusion ou de paranoïa, mais cette enquête montre qu’en ce qui concerne au moins l’adhésion aux théories du complot médical, celles-ci sont largement répandues dans la population avec une forte adhésion. Par ailleurs, l’adhésion est fortement corrélée à des attitudes de soins particulières et en rupture avec la médecine scientifique, conduisant ces personnes à s’éloigner de traitements efficaces qui ont fait la preuve de leur sécurité, au profit de médecines dites « alternatives » (qui ne sont pas valides scientifiquement), inefficaces jusqu’à preuve du contraire, et aux conséquences souvent dramatiques.

Il ne s’agissait pas dans ce billet rapide de faire l’état des lieux de ces conséquences dramatiques, mais d’observer la répartition de ce type de mythes dans une population occidentale, et les conséquences bien réelles en termes de comportements vis-à-vis de sa propre santé et bien souvent de celle de ses enfants.

Lorsque l’on connait les conséquences funestes de certaines de ces adhésions à l’échelon individuel (dont la presse est beaucoup moins friande que des cas infondés nourrissant les théories du complot médical) et leur répartition à l’échelon de la population, il n’est pas anodin de prendre conscience de sa propre responsabilité à relayer avec légèreté ce type de mythes.

[EDIT  24/05/2014 : alors même que je viens de publier ce billet, je vois que plus tôt dans la soirée, la plateforme internet d’un média mainstream s’est fendue d’un bon petit article sur la question de la dernière pétition antivaxx. Ô joie ! on y déboulonne l’initiative antivacciniste, et en se basant sur l’article du blog Rougeole épidémiologie cité au tout début du présent billet et dont les rédactrices ont fait un travail aussi prompt qu’efficace. Les SkeptiGirls sont à fond ! et nous montrent accessoirement que la communication sceptique n’est pas vaine]

5 commentaires sur “Conspirationnisme médical et rejet de la médecine scientifique

  1. Merci pour ce billet assez intéressant.

    Je trouve particulièrement notable la corrélation suggérée entre croyance aux conspirations médicales et hygiène de vie (visites chez le médecin, dentiste, usage d’écran solaire). L’ironie me pousse à relever qu’au final, ceux qui veulent échapper au complot des gens qui veulent leur peau, sont en fait les plus exposés en terme de santé. On a ainsi un aperçu de ce que sont prêts à assumer les promoteurs des médecines « alternatives » qui surfent sur ce genre de peurs.

    Au final, les labos pharmaceutiques sont-ils vraiment les plus cyniques dans l’affaire, pas si évident que ça hmm …

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  2. Faites une recherche google sur « Maitre Joseph, Dr Broussalian, Pr Joyeux, assocation Prévention Vaccin, Sophie Melemans, Pr Floret, M. Georget, Catherine Gache, Sophie Meulemans, Marion Kaplan » et vous trouverez une vidéo des anti-vaccination qui casse du sucre sur les labos etc.

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    • Bonjour Alison,

      Merci de l’intérêt que vous avez porté à ce billet.

      En effet, les sources d’information anti-vaccinistes sont très nombreuses sur internet. En fait, quiconque ferait une recherche lambda sur le sujet aurait en fin de compte assez peu de chance d’accéder facilement à des informations de qualité. C’est bien dommage, car en effet les positions pseudoscientifiques tenues par ces milieux sont bien mal-informées, sinon malhonnêtes, voire carrément criminelles.

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  3. Au sein même des professionnels de santé, on peut incriminer les pharmaciens. D’ailleurs, je ne connais aucune pharmacie digne de ce nom, qui ne se vautre pas dans la charlatanerie en vendant de l’homéopathie etc… Quand des docteurs en pharmacie se moquent des patients ou plutot ici clients (gogos !) en leur vendant du sucre à 7 euros les 20g, je pense qu’on ne peut plus exiger d’une personne lambda de savoir où elle en est… L’ordre des pharmaciens n’a rien fait. Cette profession s’est complètement discréditée. Plasmodioum, quand vous parlez de « ces milieux », cela donne une illusion de séparation, or ils sont infiltrés partout, ces mensonges sont infiltrés partout: du pharmacien qui vend de l’homéopathie en affirmant que c’est efficace alors que c’est faux, à quelques médecins à côté de la plaque, en passant par internet où là c’est une profusion de désinformation ! Comment peut-on ensuite s’attendre à ce que les patients, clients, gogos aient un peu de recul et d’esprit critique ? Les mensonges sont martelés, répétés en permanence. Pas de contradiction: ça rapporte ! L’homéopathie rapporte énormément, la phythothérapie aussi, et ceux qui manipulent les antivaxx profitent de tout ceci, pendant que le gogs croit au complot de Big Pharma… Bon il y a des choses à dire aussi sur les labos pharmaceutiques, mais eux au moins, ils produisent des médicaments et des vaccins pour sauver des vies, donc on ne peut pas tout jeter… Mais allez expliquer ça au gogo moyen… pas facile. Il continuera à croire sa voisine, sa grand-mère, le pharmacien du coin….

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    • Bonjour,

      Je vais commencer par annoncer mon « conflit d’intérêt »: je suis moi-même pharmacien.

      Je comprend et respecte votre opinion mais je voudrais en proposer quelques nuances.

      Concernant l’existence de l’homéopathie en officine. Cela reste des « médicaments » au sens de la sécurité social, si son statut est en effet discutable (dossier d’AMM spécifique, absence d’essai clinique nécessaire, …) cela implique que sa commercialisation ne peux être effectué qu’en officine et qu’un pharmacien ne peut pas refuser la délivrance d’une ordonnance de ce type sans justifications médicales ‘béton’ .

      On peux rétorquer que certain pharmaciens pratiquent aussi le conseil homéopathique hors prescription.
      Pour aborder ce point je souhaite relever que l’un des dangers les plus proéminent des SCAM est que leur praticiens ne sont pas former à reconnaître les situations qui dépassent leurs prétendu compétences et à orienter les patients vers des soins adapter (autant pour le côté « complémentaire »). Du fait de la commercialisation en officine de l’homéopathie, ce risque est voisin de néant compte tenu de notre formation qui nous permet d’identifier les situations à risque.

      Le recours au conseil homéopathique peux se justifier dans le cas de pathologies spontanément résolutive ou ne nécessitant pas nécessairement de traitement classique. En effet si je considère que l’homéopathie est un placebo, cela reste un « bon » placebo au sens ou cela rempli les critères qui maximise l’effet placebo:
      – c’est relativement chère (pour ce que c’est)
      – le schéma de prise peux être très complexe (selon les cas)
      et j’ajouterai qu’à défaut d’efficacité, l’innocuité est certaine…

      Cela en fait un outil utile dans pour rassurer des patients qui sont en demande de soin et qui ne sont pas réceptifs au simple discours argumenté que l’on peut leur tenir pour expliquer qu’ils n’ont pas besoin d’un quelconque traitement.
      En outre cela peut permettre d’épargner des traitements ‘classique’ qui ne serai pas indispensable et doté d’effet secondaire. Par exemple dans le cas du sevrage tabagique, certaines personnes ont juste besoin d’un boost de confiance et plus ils sont convaincu que l’homéopathie va fonctionner mieux cela fonctionne (on parle ici d’un effet plus proche de la méthode Coué que de l’effet placebo)

      Si je regrette que le pharmacien soutienne par là la notion de SCAM, je préfère tout de même qu’un professionnel de santé soit impliqué dans l’opération, l’image plus ‘ouverte’ que cela donne du pharmacien nous permet parfois de ‘rattraper’ des gens qui refusent des soins recommandés par leur médecin sous prétexte que ce médecin rejette les croyances médicale de son patient.

      Je n’entend évidemment dire que tous les pharmaciens sont exempte de tous reproche mais quelle profession n’a pas son lot d’incompétent.

      J’ajouterai quelques commentaires sur le reste de votre propos de façon moins argumenté (je m’en excuse mais ce commentaire me semble déjà bien long):
      – la phytothérapie: attention à ne pas la mettre dans le même sac, ces ingrédients sont pharmacologiquement actif ! on peut douté de leur intérêt thérapeutique versus l’allopathie mais pour les patients qui en prennent, il est impératif qu’une analyse d’ordonnance soit pratiqué le cas échéant et qu’une recherche de contre-indication médicale en posant des questions aux patients.

      Une fois encore, je suis moi aussi convaincu que tous les pharmaciens ne mérite pas (ou plus) leur diplôme mais je vous pris de croire que globalement l’avis de ce dernier vaut mieux que celui de la voisine ou de la grand-mère.

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