[Trad] « L’effet Google University »

Article publié par Steven Novella sur Neurologicablog le 6 avril 2015.

Je ne cesse d’être fasciné par l’expérience sociale que nous vivons depuis une dizaine d’années (et si vous êtes entrain de lire cela, c’est que vous faites partie de l’expérience). Internet et les réseaux sociaux ont changé la façon dont nous accédons à l’information et dont nous communiquons. Le schéma pyramidal traditionnel de diffusion de l’information et de l’opinion s’effrite et est remplacé petit à petit par un système inversé de libre accès pour tous.

Je pense que nous sommes encore entrain d’essayer d’entrevoir les conséquences attendues et inattendues de tels changements. L’un de ces effets occasionnellement observé est la propension de certaines personnes à s’attribuer une expertise qu’elles n’ont pas après avoir été capable de faire une « recherche » sur internet. La démocratisation de l’information a conduit à une fausse impression de démocratisation de l’expertise.

Alors que l’accès gratuit à l’information est très répandu, il n’existe pas d’enseignement permettant au public de savoir comment utiliser cette information pour en tirer le meilleur profit et éviter les écueils les plus communs. Les écoles sont généralement dans les choux en ce qui concerne l’enseignement de la gestion de l’information sur le web et beaucoup d’adultes actuels n’étaient déjà plus dans le cursus scolaire avant que les réseaux sociaux n’existent.

Le résultat est « l’effet Jenny McCarthy ». C’est une célébrité qui pense qu’elle peut substituer sa propre opinion de non-expert au consensus solide des experts sur la sécurité et l’efficacité de la vaccination au prétexte qu’elle a fait « ses propres recherches ». Elle est un exemple patent de ce que la recherche d’informations sur le web peut conduire quelqu’un à une confiance infondée dans une opinion non scientifique, et illustre à quel point la « Google University » peut être extrêmement trompeuse. Il y a quelques écueils spécifiques à l’œuvre ici.

Le premier écueil à fait l’objet de la publication récente d’une série d’expériences conduites par Matthew Fisher, doctorant en psychologie cognitive de l’université de Yale. Il a observé spécifiquement la recherche en ligne d’informations et la confiance accordée en nos propres connaissances sur le sujet recherché. Bien entendu, si nous cherchons et lisons des informations sur un sujet, notre confiance dans nos connaissances sur ce sujet augmente. Fisher cependant a essayé de contrôler autant de variables que possible pour détecter un éventuel effet indépendamment de la façon dont cela affectait nos véritables connaissances.

Il a ainsi observé que le public avait une plus grande confiance en ses connaissances même quand il cherchait en ligne sur un sujet plutôt que d’obtenir ces informations directement, quand le sujet ne présentait pas d’informations pertinentes en ligne, quand les informations pertinentes étaient filtrées, ainsi que quand il lisait une information en ligne plutôt qu’en version imprimée. De fait, l’acte de chercher soi même semblait augmenter la confiance du public dans ses propres connaissances.

Ce type d’expérience est évidemment complexe et nous avons besoin de voir des réplications, mais il semble déjà que l’accès à une vaste somme de connaissances que l’on peut passer au crible augmente le degré de confiance que l’on accorde en ses propres connaissances, indépendamment de la pertinence de ces connaissances.

Il me semble qu’il y a d’autres effets à l’œuvre également, comme le biais de confirmation. La recherche internet est une mine d’informations dans laquelle on peut sélectionner (consciemment ou non) celles de ces informations qui confirment ce que l’on croit déjà ou ce que l’on veut croire. Faire une recherche en ligne sur la vaccination donnera des tonnes d’informations soutenant sa sécurité et efficacité, tandis que quantité d’autres informations rabaisseront la vaccination. Pour n’importe quel sujet polémique, le résultat sera le même.

Le biais de confirmation est puissant et dangereux, spécifiquement parce qu’il donne l’illusion que les données soutiennent nos croyances car nous ne percevons pas le point auquel nous avons filtrée et biaisée cette recherche. Internet est un piège à biais de confirmation.

La version extrême de ce phénomène est ce que nous appelons la « caisse de résonnance ». Le filtrage de l’information peut être formalisé en ligne au sein de communautés où une seule perspective est exprimée, et l’information soutenant cette perspective est partagée, alors que l’information opposée est filtrée ou directement contredite. C’est un effet persistant valable aussi bien pour les sites sceptiques et scientifiques que les pseudo-scientifiques.

Un autre problème potentiel est la confusion entre connaissance et expertise. On voit ainsi souvent des personnes potentiellement très intelligentes, avec un gros bagage de connaissances factuelles, qui arrivent cependant à des conclusions absurdes dans lesquelles elles placent un haut degré de confiance. Le problème avec ces foutaises, c’est qu’elles ne s’engagent pas vraiment avec la communauté intellectuelle pertinente.

Il est crucial d’engager la communauté, spécialement pour des domaines de connaissance hautement techniques et complexes. Il peut être très difficile pour un individu de voir la complexité d’un problème sous tous ses angles et de considérer toutes les perspectives. Laissés seuls, nous aurons tendance à nous raconter des histoires satisfaisantes et à devenir de plus en plus confiants dans la véracité de ces histoires. Engager la communauté aura tendance à mettre à l’épreuve ces histoires, conduisant à une compréhension plus profonde et plus nuancée du sujet. C’est là le cœur de la véritable expertise.

Etudier un sujet seul en faisant des recherches internet peut être une fabrique à foutaises en apportant des connaissances factuelles sans réellement les articuler. Dès lors, l’effet caisse de résonnance peut donner l’illusion d’engagement, mais seulement au sein d’une communauté biaisée et non d’une communauté plus large. Le résultat se manifeste par des personnes qui croient erronément à la suffisance de leurs connaissances dans un domaine qu’elles ne comprennent pas vraiment. L’effet Dunning-Kruger frappe également, et ces personnes ne mesurent pas vraiment le gouffre séparant leur compréhension d’un sujet acquise à la Google University, et la profondeur de compréhension des véritables experts.

Conclusion

Internet peut créer une armée de pseudo-experts bien trop confiants en eux-mêmes. Il y a un certain nombre de parades à cela au niveau individuel :

  • L’humilité. Ne pensez pas qu’une petite somme de connaissances fasse de vous un expert. Respectez les opinions des vrais experts. (Vous n’avez pas à être d’accord, mais prenez les au moins au sérieux).
  • Comprenez l’avantage inhérent d’un consensus d’experts plutôt que l’opinion des individus.
  • Lorsque vous faites des recherches sur internet, cherchez également des informations allant à l’encontre de vos croyances ou conclusions actuelles. Essayez de trouver ce que chacun des partis a à dire, et suspendez votre jugement personnel jusqu’à ce que vous pensiez avoir entendu ce que chacun avait à dire.
  • Comprenez que la recherche en ligne est un piège à biais de confirmation. Google lui-même peut biaiser les résultats de votre recherche. Vous devez contourner cela.
  • Comprenez qu’en plus du biais de confirmation, il y a d’autres biais sur internet, comme les caisses de résonnance, la propagande publicitaire et politique, et les informations délibérément déformées pour soutenir une idéologie. Soyez sur vos gardes quant aux fausses informations, et examinez minutieusement une source avant de vous reposer dessus.
  • Comme toujours, il n’y a aucun substitut au scepticisme et à la pensée critique.

Créationnisme : une énième muflerie relayée par les « médias alternatifs »

Figure 1 Pinson des Galápagos. Toutes les illustrations de ce billet viennent de Campbell et al., Biologie, 2009 sauf mention contraire.

Comme c’est régulièrement le cas, les tenants de l’Intelligent design passent sournoisement à l’attaque. Je ne reviendrai pas ici sur ce mouvement créationniste, de loin le plus pernicieux de notre époque, ni sur les mouvements créationnistes en général.

Non, ce qui m’inquiète plutôt, c’est que comme il est devenu de plus en plus commun ces dernières années, les mouvements obscurantistes de tous poils ont le vent en poupe sur les médias alternatifs. Je ne me laisserai pas aller à de la sociologie et de la psychologie de bazar, mais à l’évidence, la mouvance autoproclamée « antisystème » est friande de contenus pseudo-scientifiques. La science admise et démontrée y est effectivement vue comme un vecteur, un agent du système officiel auquel il convient donc de porter l’estocade dès que possible. Les deux milieux trouvent un point d’accord fondamental sur leur peu de considération pour la rigueur intellectuelle et le raisonnement logique. Nul besoin de logique, quand tout ce qui est considéré arbitrairement comme « officiel » est de facto faux et mensonger, et tout ce qui est « alternatif » est, sinon vrai et bon, au moins mieux que ce qui est « officiel ».

Tout ceci ne serait que de peu d’intérêt et assez grotesque si ces médias alternatifs ne jouissaient pas, à la faveur d’internet, d’une audience certaine. Dès lors, certains mouvements obscurantistes, qui contrairement à d’autres n’avaient pas encore trouvé d’assise médiatique, se retrouvent catapultés sur les écrans de consommateurs ne demandant qu’à croire. Et puisque ces informations viennent de médias citoyens dont le business repose sur la prétendue recherche de vérité, il est encore moins besoin de faire preuve d’esprit critique que lorsqu’il s’agit de s’abrutir devant les grandes chaînes nationales.

C’est ainsi qu’a été diffusée le 7 avril sur l’un de ces fameux médias alternatifs francophones, la première partie d’une énième muflerie de l’Intelligent Design. Pour le média bien entendu, il n’est pas question de soumettre cette production à la moindre critique, mais d’en faire la promotion gratuite pour ce qu’elle dégage d’antisystème, d’anti darwinisme, donc d’anti-truc-officiel. Comme toujours dans ces cas là, et comme c’est également le cas sur les piètres médias « officiels » en matière d’information scientifique, les commentaires sous la vidéos peuvent être source de perte de foi définitive en l’intelligence humaine.

Cynisme de sceptique mis à part, les personnes qui adhèrent plus ou moins à ce type de production sont-elles bêtes, stupides, ignares ou mentalement déficientes ?

Catégoriquement non.

D’abord, n’avoir aucune culture fondamentale, et a fortiori aucune culture scientifique n’est pas un crime. Ensuite, ce type de vidéos produites par les tenants du créationnisme moderne est extrêmement pernicieux. Elles sont effectivement joliment réalisées, les explications sont simples, claires, la diction excellente. Les bribes de raisonnement invoquées reposent sur le même argument ressassé pendant une demi heure et est un appel au « bon sens » et à la « saine nature » du spectateur, rendant impossible la compréhension de la théorie de l’évolution.

Mais en science, les faits sont bien souvent contre intuitifs et échappent au bon sens de l’observateur.

Si vous regardez le ciel par cette belle journée de printemps, vous verrez que l’astre solaire tourne autour de vous. Ce matin, le soleil s’est levé derrière ce bois là, à l’Est, et ce soir, il se couchera derrière cette colline là, à l’Ouest. En l’état, tout indiquera à votre « bon sens » et à votre « saine nature » que le soleil s’est littéralement déplacé dans le ciel et qu’il a tourné autour de vous.

C’est ce que les hommes ont longtemps cru dans l’histoire, abusés qu’ils étaient par leur bon sens. Ils n’étaient pas bêtes du tout. Au fur et à mesure du perfectionnement des techniques d’observations et de la multiplication de celles-ci, nous avons pu comprendre qu’en réalité, c’est bien nous, sur Terre, qui tournions autour du soleil, et non pas le contraire. La multiplication des observations objectives nous a permis de nous émanciper le plus possible de notre vue subjective.

De la même façon, l’observation de l’ATP synthase comme elle est présentée dans cette vidéo, nous donne à voir ce qui n’est ni plus ni moins qu’un moteur rotatif moléculaire. Je suis moi-même toujours émerveillé d’en voir une reproduction tourner, ce n’est pas la question. Mais notre vue subjective nous porte à croire qu’il s’agit là d’un produit fini, apparu tel quel et conçu à cette fin. Cette vue subjective ne nous montre pas le processus évolutif ayant conduit à ce moteur.

Pour comprendre le phénomène, il nous faudrait donc l’objectiver, nous donner les moyens par une série d’observations objectives, délivrées au maximum de nos biais d’observateurs de voir ce phénomène.

Dans ce billet, je vais donc énumérer le plus simplement possible les observations objectives qui permettent de voir et de comprendre la théorie de l’évolution. Ce billet s’adresse essentiellement aux personnes qui pourraient tomber sur ce genre de vidéos, et hésiter à leur donner du crédit pour les raisons citées plus hauts, à savoir leur qualité de réalisation et la simplicité de leurs propos, et non pas pour la solidité scientifique de leur contenu. Je reviendrai ensuite sur les différentes critiques qui sont classiquement faites à ces observations des mécanismes étayant la théorie de l’évolution, et les réponses logiques à leur donner.

Qu’est ce que l’évolution des espèces par sélection naturelle ?

L’évolution est le processus par lequel les êtres vivants se transforment de génération en génération par la transmission génétique. La sélection naturelle est le mécanisme principal de l’évolution et favorise la survie des plus aptes en leur permettant de transmettre leur patrimoine génétique à la génération suivante. Ainsi, tout caractère octroyé par une mutation génétique et rendant son porteur plus apte à la survie est positivement sélectionné et transmis à la génération suivante.

Quelles observations permettent aux scientifiques de voir l’évolution sans voyager dans le temps ?

Différentes observations permettent de voir et de prédire l’évolution. Toutes ces observations sont indépendantes les unes des autres, suffisantes en elles mêmes pour soutenir l’évolution sans jamais enfreindre le principe de non contradiction, et convergent toutes vers la même explication. In fine, seule l’évolution permet de comprendre logiquement les transformations observées.

  • L’observation des espèces vivantes actuellement : lors de son voyage aux Galápagos en 1835, Darwin avait observé la présence de différentes sortes de petits pinsons (géospizes) sur les diverses îles de l’archipel. Chaque île était caractérisée par la présente d’une espèce de pinsons qu’on ne retrouvait pas sur les autres îles, et chacune de ses espèces se distinguait par la forme particulière de son bec. Rapidement, Darwin pensa qu’il s’agissait d’une adaptation de chaque groupe de pinsons à la nourriture présente sur l’île, et que tous ces groupes descendaient d’un ancêtre commun semblable. En effet, sur l’une des îles, les pinsons avaient un gros bec pour manger les graines sèches que l’on trouvait sur cette île, alors que sur une autre, les pinsons avaient un bec pointu leur permettant de piquer les oiseaux marins et de se nourrir de leur sang. D’autres encore, sur une autre île, avaient un petit bec agile dont ils se servaient pour mouvoir une brindille dont ils se servaient de pic pour atteindre les larves aux creux des arbres. Darwin présagea que la contrainte exercée par leur environnement avait modelé le bec de chaque groupe de pinsons afin de les rendre aptes à la survie dans cet environnement précis.

    En 1973, un couple de biologistes, Peter et Rosmary Grant, voulu vérifier l’hypothèse de Darwin à propos des pinsons des Galápagos. Ils mesurèrent donc avec précision, année après année, la forme et la dimension des becs des pinsons. Sur les îles où les pinsons se nourrissaient de fruits, ils constatèrent que les années humides, où les fruits étaient nombreux et tendres, les pinsons frugivores à bec fin dominaient. En revanche, après chaque sécheresse, où les fruits étaient peu nombreux et où ne restaient que les plus durs et secs, les pinsons frugivores à bec robuste dominaient. La contrainte environnementale semblait bel et bien influencer la fréquence des caractères morphologiques des becs dans les populations de pinsons.

    Mais le rôle de la sélection naturelle n’était pas encore certain. En effet, on pouvait penser qu’un autre mécanisme était à l’origine de ce changement de fréquence. Par exemple, ce qu’on appelle la plasticité ontogénique et que l’on nomme improprement l’adaptation physiologique, pourrait aussi être à l’origine des faits observés. Cette plasticité ontogénique aurait pu être induite par la nourriture sèche délivrée aux oisillons nés en période de sècheresse, conduisant à une croissance renforcée de leur bec. On observe ce mécanisme chez les populations humaines vivant à très haute altitude par exemple : ces gens présentent souvent des adaptations physiologiques à cette vie rude, acquises pendant leur croissance, comme l’augmentation du volume pulmonaire. Mais si ces gens redescendaient vivre au niveau de la mer, ils ne transmettraient pas ce caractère à leurs enfants. Pour écarter cette hypothèse, les Grant ont systématiquement mesuré les becs de tous les oisillons. Ils ont ainsi pu observer que le caractère morphologique observé chez eux était systématiquement conforme à celui observé chez les parents : les parents gros-bec avaient des oisillons gros-bec, et vice versa. Le caractère était donc bien transmis de génération en génération, sa distribution dans les populations de pinsons reflétait bien la distribution du caractère génétique positivement sélectionné.

    Ce phénomène a de nombreuses fois été observé sur différentes espèces animales et végétales.

  • L’observation de la sélection artificielle induite par l’homme : au tournant de la néolithisation, les sociétés humaines ont commencé à domestiquer des espèces animales et végétales. Le caractère morphologique sélectionné par les agriculteurs, s’il est déterminé par le code génétique de l’organisme sélectionné, sera logiquement transmis à la descendance. Une telle sélection de génération en génération produira des changements notables chez les descendants. Ainsi, les hommes ont sélectionné des milliers d’années durant les plans de maïs portant le plus de grains pour les faire se reproduire entre eux uniquement, et ont renouvelé l’expérience de génération en génération. Soucieux de produire plus de nourriture pour subvenir à leurs besoins, les anciens agriculteurs ont très empiriquement reproduit artificiellement le mécanisme de sélection. Aujourd’hui le maïs que nous cultivons a conservé ces caractères sélectionnés de productivité et n’a plus grand-chose à voir avec sa forme archaïque.

    Cette sélection artificielle, empirique, a été reproduite de nombreuses fois en laboratoire par les scientifiques. Ces derniers utilisent très souvent comme modèle la mouche du vinaigre, Drosophila melanogaster. Ils ont imposé une sélection sur quasiment tous les aspects imaginables de cet animal : taille du corps, couleur des yeux, vitesse de croissance, durée de vie, comportement… Le résultat est absolument constant : la sélection pour un caractère mène à un résultat clair et prévisible. Lors d’une expérience classique, les scientifiques sélectionnèrent un caractère particulier : la présence de soies (une sorte de poil) sur l’abdomen des mouches. A la première génération, toutes les mouches comptaient entre 9 et 10 soies. A chaque nouvelle génération, les scientifiques prélevèrent les 20% de mouches ayant le plus grand nombre de soies. Après 86 générations, le nombre moyen de soies par individu dans la population était de 40 ; il avait quadruplé. Lors d’une expérience suivante, les scientifiques établirent depuis une population commune une première colonie de mouches sélectionnées parmi celles ayant le plus grand nombre de soies, et une deuxième colonie constituée des mouches présentant le plus faible nombre de soies. Après 35 générations de sélection, il n’y avait plus aucun recouvrement du nombre de soies par mouche dans les deux colonies.

    Cette sélection artificielle peut produire des transformations substantielles qui ne se limitent pas à ce que l’on appelle la microévolution. Aujourd’hui, toutes les espèces domestiques, comme les chiens, sont issues de la sélection artificielle de l’homme au cours de son histoire. Chihuahua, Teckel, Lévrier, Mastiff : tous ont été façonnés de génération en génération par la sélection des hommes selon les caractères morphologiques qu’ils souhaitaient voir reproduits à la génération suivante. Remontant le cours des sélections, toutes les variétés de chiens domestiques descendent ultimement des premiers loups domestiqués par les sociétés préhistoriques.

  • L’observation des fossiles : c’est la preuve la plus directe de l’évolution. Le corpus des preuves fossiles est bien plus important qu’il ne l’était à l’époque de Darwin. Les fossiles sont les restes préservés d’anciens organismes vivants. Ceux-ci peuvent avoir été conservés fortuitement dans une coulée d’ambre, dans le permafrost sibérien, dans des cavernes sèches, où encore être pétrifiés dans un très long processus de sédimentation. Les fossiles sont rares, car habituellement, les plantes et les animaux morts se déposent à la surface du sol où ils se décomposent et sont consommés par d’autres organismes. Lorsque le milieu de dépôt permet la conservation des fossiles, ceux-ci sont mis au jour après plusieurs milliers ou millions d’années dans le sol, et sont donc très abimés. Logiquement, si ce phénomène de conservation est très rare, nous ne pouvons connaître que très peu d’espèces anciennes ayant autrefois peuplé la terre. Néanmoins, le nombre de découvertes s’est révélé suffisant pour livrer des informations détaillées sur l’évolution à travers les âges.

    Il est possible de dater les roches dans lesquelles se trouvent les fossiles, et donc de dater les fossiles qui y sont associés, par corrélation. A l’époque de Darwin, au XIXe siècle, les roches étaient datées par chronologie relative ; c’est-à-dire que l’on ne connaissait pas encore de techniques permettant de véritablement dater l’ancienneté des couches géologiques, et celles-ci étaient donc datées les unes par rapport aux autres : une couche géologique placée sous une autre est logiquement plus ancienne que celle-ci. Aujourd’hui, il est possible de déterminer la chronologie absolue des roches grâce à des méthodes physiques qu’on appelle isotopiques. En effet, lorsqu’une roche se forme, certains de ses éléments constitutifs existent sous différentes formes physiques, les isotopes. Ces éléments se dégradent au cours du temps, mais les différents isotopes d’un même élément ne se dégradent pas à la même vitesse. Connaissant la vitesse de dégradation des éléments, il est ainsi possible de faire le rapport quantitatif des isotopes présents dans la roche à dater, et de connaître l’ancienneté de celle-ci.

    Les fossiles permettent d’observer les transitions évolutives. Le fossile de transition le plus célèbre est probablement celui de l’archéoptéryx (qui signifie « plume ancienne »). Cet animal vivait il y a environ 165 millions d’années et est clairement intermédiaire entre les oiseaux et les dinosaures. Ses plumes, très semblables à celles des oiseaux actuels, le rapprochent clairement de ces derniers. Cependant, d’autres caractères, comme les dents, la queue osseuse et d’autres points anatomiques, le rapprochent tout aussi clairement des dinosaures carnivores. Il est en fait tellement semblable à ces derniers que plusieurs spécimens dont la trace des plumes n’a pas été conservée ont été identifiés comme des dinosaures. L’archéoptéryx montre une tendance propre aux espèces de transition qui présentent à la fois certains traits semblables à leurs ancêtres et certains traits semblables à ceux de leurs descendants.
    Aujourd’hui, on connait des fossiles de transition pour tous les groupes majeurs de vertébrés.

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    « Archaeopteryx lithographica (Berlin specimen) » par H. Raab (User:Vesta) — Travail personnel. Sous licence CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons.

  • L’observation anatomique : la théorie de l’évolution doit sa force à sa capacité de fournir un cadre logique autorisant l’interprétation de la diversité de la vie. De nombreuses observations dans tous les domaines ne s’expliquent que par l’évolution. C’est le cas des structures homologues, qui suggèrent une origine commune. Au cours de l’évolution en effet, les mêmes os ont pu servir à des fonctions différentes. Ces os restant visibles, leur présence révèle leur origine évolutive commune. Ainsi, les membres antérieurs des vertébrés (nos bras) sont des structures homologues, c’est-à-dire qu’elles diffèrent en forme et en fonction mais dérivent toutes d’une forme unique chez un ancêtre commun. On peut voir les membres antérieurs de différents mammifères dans l’illustration suivante. Les mêmes structures sont toujours présentes, mais dans des formes différentes : un gros os unique à la base du membre, puis une paire d’os, et un grand nombre de petits os à l’extrémité. Pourquoi ces formes très différentes présentent-elles toujours la même structure ? Sans l’évolution, cette observation est incompréhensible. Mais en admettant que ces différents animaux descendent d’un ancêtre commun, il est aisé de comprendre que la sélection naturelle a modifié la structure de départ pour la faire répondre à des fonctions différentes.

    On peut également voir l’ancestralité commune des différents animaux à travers les stades de leur développement embryonnaire. Les embryons des différents vertébrés se ressemblent souvent durant les stades précoces avant de se différencier peu à peu. Au tout début de leur développement, les embryons humains et ceux de poissons possèdent chacun des poches pharyngées formant diverses glandes et canaux chez l’homme, mais qui deviennent des fentes branchiales chez les poissons. A un stade plus tardif, chaque embryon humain possède une queue osseuse, dont l’adulte conserve une trace avec les vertèbres formant le coccyx, tout en bas de la colonne vertébrale.

    Certaines structures anatomiques sont mal adaptées à leur fonction. La sélection naturelle ne peut agir qu’à partir du matériel génétique présent dans la population. Il n’est donc pas surprenant de voir des structures mal adaptées aux contraintes environnementales, car façonnées avec les moyens du bord.

    L’œil des vertébrés est un excellent exemple d’imperfection. En effet, les photorécepteurs de ces derniers sont tournés vers le fond de l’œil, et non pas vers l’avant, vers la source de lumière. De fait, les fibres nerveuses des cellules photo réceptrices des yeux de vertébrés partent vers l’intérieur de l’œil avant de revenir vers le fond, et occultent donc légèrement la lumière transmise aux photorécepteurs. Par ailleurs, toutes ces fibres nerveuses se rejoignent en un faisceau épais, le nerf optique, comme une gaine électrique, pour traverser la paroi de l’œil en direction du cerveau. Ce trou au milieu du champ de photorécepteurs provoque immanquablement une tache aveugle.

    Les yeux des mollusques en revanches sont beaucoup plus perfectionnés : les photorécepteurs sont dirigés vers l’avant, les fibres nerveuses ne s’interposent pas entre la source de lumière et les cellules photoréceptrices et le nerf optique ne fait pas un trou au milieu des photorécepteurs.

    De fait, la sélection naturelle agit comme un bricoleur et non pas comme un ingénieur. Un bricoleur fait au mieux avec les matériaux à sa disposition, alors que l’ingénieur conceptualise une structure adaptée à une fonction déterminée en cherchant à éviter les erreurs de conception.

    Certaines structures anatomiques ne semblent pas avoir de fonction, comme des vestiges abandonnés. Les structures vestigiales peuvent être expliquées comme des reliquats du passé. En effet, on peut observer des structures anatomique ayant apparemment perdu toute fonction. Les hommes possèdent par exemple des muscles leur permettant de faire bouger leurs oreilles. Alors que les mêmes muscles servent à d’autres animaux à orienter leurs oreilles dans le sens de menaces détectées comme le grognement d’un prédateur, ces muscles n’ont aucune utilité chez l’homme et sont souvent impossibles à utiliser. Notre appendice vermiculaire est également vestigial. On ne lui connait aucune fonction actuelle, alors qu’il sert chez les herbivores à la digestion de la cellulose. De telles observations sont nombreuses, et peuvent également se faire au niveau moléculaire. Ainsi, le poisson des glaces qui vit dans les eaux froides de l’antarctique est quasiment transparent. Ce fait s’explique non seulement par son absence de pigmentation, mais également par la transparence de son sang. Le sang est normalement rouge à cause de l’hémoglobine qu’il contient, la molécule chargée de transporter l’oxygène. Or, plus les eaux sont froides, plus elles contiennent de l’oxygène. L’eau de l’antarctique est tellement froide, 0°C, qu’elle contient suffisamment d’oxygène pour que le poisson des glaces puisse se passer d’hémoglobine. Ce caractère devenu inutile a été supprimé. En revanche, le code génétique du poisson des glaces contient toujours le gène nécessaire à la fabrication d’hémoglobine, il a simplement été désactivé. C’est un gène fossile, ou pseudogène, et ceux-ci s’observent en fait chez de nombreuses espèces.

  • Les observations biogéographiques : la biogéographie est l’étude de la répartition géographique des espèces vivantes. La biogéographie nous permet de voir que des régions différentes abritent des groupes de plantes et d’animaux étonnamment semblables bien qu’ils soient peu apparentés. Il est très difficile d’attribuer autant de similitudes au simple hasard. Au lieu de ça, on comprend très bien que la sélection naturelle ait favorisé des adaptations évolutives parallèles dans des environnements semblables. Ainsi, dans chacun des environnements, la morphologie des groupes de plantes et d’animaux a convergé. On appelle ce phénomène l’évolution convergente.

    On peut ainsi observer deux groupes très importants de mammifères, les marsupiaux et les placentaires, qui ont évolués séparément mais parallèlement dans différentes régions du mondes coupées l’une de l’autre. Chez les marsupiaux, les jeunes naissent à un stade très immature, et ils doivent encore vivre un certains temps dans une poche ventrale. C’est par exemple le cas des kangourous. Ce n’est pas le cas des placentaires.

    L’Australie s’est séparée des autres continents il y a 70 millions d’années. A cette époque, les marsupiaux et les placentaires s’étaient déjà séparés, et on ne trouvait que des marsupiaux en Australie. Aujourd’hui, les marsupiaux australiens ressemblent étonnamment aux placentaires vivants sur les autres continents. Là encore, le hasard ne suffit pas à expliquer ce phénomène qui trouve en revanche une explication complète, logique et sans contradictions comme étant le résultat de l’évolution convergente : des formes de structures similaires apparues dans des environnements différents mais semblables et ayant exercés une pression sélective comparable.

    L’évolution convergente est un phénomène répandu.

    Quelles sont les critiques adressées à la théorie de l’évolution par les créationnistes et comment y répondre ?

Dans le film qui a motivé la rédaction de ce billet, on trouve les mêmes arguments éculés et ressassés par les créationnistes depuis 150 ans. L’appel au bon sens à déjà été rejeté au début de cet article. Le film en question se repose essentiellement sur une très mauvaise interprétation de la notion de hasard, ou ce qu’on appelle les phénomènes stochastiques, si vous voulez briller en société. Je vous présente ici les arguments immanquablement présents dans le film, et ceux qui seront présents dans ses parties suivantes et dans les autres films créationnistes à venir. Ainsi, vous saurez par avance quoi y répondre.

1. L’évolution n’est pas solidement démontrée, ce n’est qu’une théorie !

=> Contrairement à ce que pensent les créationnistes, « théorie » n’est pas synonyme d’  « infondée » ou même d’ « hypothèse ». Une théorie est basée sur des preuves observationnelles nombreuses et solides, des expérimentations largement reproduites indépendamment et des calculs prédictifs fonctionnels. Une théorie scientifique est ainsi bien différente de ce qu’entend par là le grand public, à savoir une proposition gratuite balancée entre la poire et le fromage.

2. Vous n’avez pas de chaînon manquant, on n’a jamais vu de nageoire entrain de se transformer en pied !

=> Cette remarque pouvait se comprendre à l’époque de Darwin, mais depuis, et comme je l’ai expliqué plus haut, on a au contraire découvert de très nombreux et très importants fossiles de transitions montrant les évolutions entre les structures principales. Ça n’empêche pas les créationnistes de ressasser cet argument.

3. Tout ça est trop complexe pour être le fruit du hasard et doit avoir été dirigé par une intelligence supérieure (Intelligent design), une horloge doit avoir été fabriquée par un horloger !

=> L’évolution des espèces par sélection naturelle n’est pas aléatoire. Au contraire puisqu’en favorisant les variations qui conduisent à une meilleure capacité de reproduction de l’espèce, elle agit indépendamment du hasard et conduit au développement d’organes très complexes par petites étapes successives de génération en génération. On connait ainsi de nombreuses formes d’yeux intermédiaires, et parmi eux, des formes imparfaites, comme ceux des vertébrés dont les hommes, surpassés dans leur conception par ceux des mollusques. La conception du dessein intelligent étant censée être parfaite, et l’aboutissement ultime de cette perfection étant censé être l’homme, l’Intelligent design entre en contradiction patente avec les observations factuelles élémentaires. Il viole ainsi le premier principe du raisonnement logique.

4. L’évolution viole la seconde loi de la thermodynamique, car une pile de kapla jetée au sol ne formera jamais une structure organisée par hasard : les évènements aléatoires créent de la désorganisation, c’est la règle de l’entropie !

=> L’entropie opère dans un système fermé, ce que la Terre n’est pas. L’énergie solaire délivrée en permanence par le soleil entretient la vie et tous ses mécanismes.

5. La synthèse d’une protéine est im-po-ssi-bleuh : l’hémoglobine alpha 141 comporte 141 acides aminés successifs, la probabilité pour que le premier, la leucine, soit à sa place est de 1/20, mais la probabilité pour que les suivants soient à la leur est de (1/20)141 !

=> On ne peut pas utiliser des statistiques pour argumenter a posteriori. La probabilité pour qu’un étudiant dans un amphithéâtre ait son anniversaire à un jour donné est de 1/365. Si on suit le même raisonnement, la probabilité que chaque élève d’un amphi de 250 ait son anniversaire au jour prévu est de (1/365)250, et pourtant cet amphi existe bien ainsi que les anniversaires de chaque étudiant.

6. Sélection naturelle ne veut pas dire évolution : vous n’avez jamais pu voir un poisson se transformer en grenouille pour échapper à un prédateur !

=> Ce phénomène a été reproduit artificiellement et expérimentalement. Les différentes variétés de chiens, comme je l’ai expliqué plus haut, présentent des structures extrêmement éloignées, qui seraient probablement jugées comme appartenant à des espèces différentes si on en connaissait que des fossiles. On a pu reproduire expérimentalement de telles modifications de structures associées avec une perte de l’interfécondité. Dans la nature, cela correspond clairement au phénomène de spéciation.

7. La complexité du vivant est irréductible, la machinerie moléculaire de la cellule ne peut s’expliquer par des stades plus simples, car chaque partie d’un processus complexe est nécessaire à l’ensemble !

=> Mais chaque part n’évolue pas comme ensemble d’un système. Chaque part peut être ajoutée, retirée, modifiée tout en étant conservée à la génération suivante pourvu qu’elle permette la survie du système. L’évolution agit sur chaque part qui peut se complexifier au fil du temps par petites touches successives. Depuis 150 ans, les créationnistes ont souvent affirmé que telle ou telle structure était trop compliquée pour advenir naturellement. Chaque fois, une étude scientifique approfondie a permis de comprendre la voie évolutive possible au cours de laquelle la structure s’était formée.

J’espère que ce billet, même lu en diagonale, pourra tomber entre les mains de personnes s’étant posées des questions devant ce film créationniste, ou d’autres dans le même genre. Si c’était le cas, qu’ils sachent que la science ne s’intéresse pas au « pourquoi » -question hautement métaphysique posée en ouverture du film, comme c’est souvent le cas- et ne prétend pas y répondre (on pense même que la question n’a pas vraiment lieu d’être), mais elle s’intéresse au « comment ». C’est l’écueil systématique des créationnistes : prétendre répondre au « pourquoi » en faisant semblant de répondre au « comment », le tout sans aucune assise scientifique.

Si vous avez des questions à poser, même si elles vous semblent stupides ou naïves, n’hésitez pas à le faire dans les commentaires à la suite de ce billet.