Les vampires, l’archéologie et les médias

Individu inhumé dans le cimetière de Drawsko, Pologne, 17e – 18e siècle. La faucille autour du cou est probablement le signe d’une pratique apotropaïque destinée à empêcher le défunt de se relever comme un vampire. Photo rognée par rapport à l’original publié dans Gregoricka et al., 2017 [1].

En ce mois d’octobre, vous avez peut être vu passer quelques articles de presse concernant la découverte archéologique d’une tombe de « vampire ». L’occasion pour moi de dire quelques mots de ce personnage mythique, et du traitement médiatique de telles découvertes. Ces nouvelles ne sont pas nécessairement farfelues, mais cela ne nous interdit pas d’y jeter un œil à la fois intéressé et critique.

Folklore et réalités

Le folklore rend compte de mythes, croyances et légendes. Mais le folklore lui même est une réalité observable, un produit des sociétés humaines. Les vampires, mort-vivants et autres revenants sont des croyances bien établies dans les folklores de différentes cultures à travers le monde. En Europe de l’Est en particulier, la figure du vampire au corps réanimé d’entre les morts existe au moins depuis le 11e siècle, alors que le terme même vient vraisemblablement des formes slaves vampir / upir / upyr / upiór, qualifiant les revenants [2]. Ces croyances sont particulièrement bien documentées historiquement (cf. infra).

Si les sciences modernes tendent à invalider des phénomènes tels que la résurrection des morts présents dans ces différents folklores, elle tend également à en comprendre les origines possibles, observables et prosaïques. Il est souvent allégué que des mythes anciens pourraient trouver leurs origines dans l’existence réelle de phénomènes physiques observés par des témoins en des âges oubliés. Ces propositions sont assez souvent précaires sur le plan argumentatif, et viennent servir fort à propos telle ou telle conception mythiste du monde (la Création, le Déluge, etc.). En clair, il s’agit de prétendre que le mythe serait en fait un témoignage oblitéré d’une réalité passée, et que ce témoignage serait finalement la preuve que le mythe n’en est pas un. Une telle posture consisterait ici à affirmer que les récits de vampires sont des témoignages de la réalité de l’existence de telles créatures. Or, l’examen de ces récits, s’il ne sert en rien une telle proposition, n’en semble pas moins très clairement témoigner de certaines réalités physiques observables qui pourraient avoir alimenté le mythe.

Dans son ouvrage sur la question (que nous recroiserons plus loin dans ce billet), Paul Barber présente notamment le cas de Peter Plogojowitz [3]. L’auteur note que le terme « vampire » ne semble apparaître dans la langue anglaise qu’en 1734, selon l’Oxford English Dictionary, à une époque où beaucoup de livres, particulièrement en Allemagne, étaient écrits sur le sujet des vampires. Cet apparent engouement pour les vampires concorde assez bien avec un événement historique particulier, à savoir le Traité de Passarowitz le 21 juillet 1718, qui met fin à la guerre commencée en 1714 entre la république de Venise et l’Empire Ottoman. A cette occasion, la Serbie et la Valachie passent sous l’autorité de la maison d’Autriche qui était alors alliée à Venise. L’administration impériale se déploie dans ces nouvelles provinces, et rend rapidement compte de pratiques locales étonnantes consistant à exhumer les morts afin de les tuer une deuxième fois. Les élites européennes s’intéressent alors à ce sujet au travers des récits qui en sont ainsi faits par les occupants et administrateurs impériaux de langue allemande.

Première édition de l’ouvrage de Paul Barber, 1988.

L’histoire de Peter Plogojowitz, qui se déroule en 1725, et rapportée par un administrateur impérial en est un parfait exemple. Cet homme était décédé depuis quelques semaines dans son village de Kisilova en Serbie, lorsque 9 personnes d’âge et de sexe variés tombèrent malades et en moururent en l’espace de 24h. Sur leur lit de mort, ils auraient affirmé que Plogojowitz était venu les tourmenter dans leur sommeil les semaines précédentes. Ces histoires effrayèrent tout particulièrement les villageois, ajouté au fait que la veuve de Plogojowitz elle-même avait précipitamment quitté le village après avoir affirmé que son défunt mari lui était apparu après sa mort. De telles créatures revenantes étaient appelées « vampires » par les villageois, et étaient reconnaissables par certains attributs physiques caractéristiques, notamment leur corps non décomposé et la peau, les cheveux et les ongles continuant à grandir. De fait, les villageois entreprirent d’exhumer le corps de Plogojowitz, afin de vérifier s’il présentait ou non l’aspect d’un vampire. C’est alors que les villageois vinrent à la rencontre du nouvel administrateur impérial de la région, afin de lui demander d’être un témoin légal de l’exhumation. L’administrateur commence par refuser, insistant sur le fait que de tels actes doivent être dument soumis à des autorisations spéciales dont ils devraient attendre la délivrance. Face à ce refus, les villageois menacent d’abandonner purement et simplement le village, alléguant qu’un esprit malin pourrait le hanter et le décimer en moins de temps qu’il n’en faudrait pour que l’autorisation soit délivrée par Belgrade, ce qui aurait déjà été vu du temps de l’occupation ottomane. Le bureaucrate accepte finalement d’assister à l’exhumation et se rend à Kisilova. A sa grande surprise, le corps inhumé là depuis plusieurs semaines lui apparaît « complètement frais », à l’exception du nez qui était tombé. Les cheveux, la barbe, et même les ongles avaient continué à pousser (les anciens ongles étant également tombés). La peau blanchâtre était également tombée et une peau neuve avait poussé en dessous. Tous les membres et leurs extrémités, pieds et mains, étaient parfaitement complets, comme de leur vivant. Encore plus étonnant, il constate la présence de sang frais dans la bouche de Plogojowitz, qui l’aurais sucé de ses précédentes victimes selon les croyances locales. L’administrateur dut donc se rendre à l’évidence : ce qu’il voyait concordait avec les craintes soulevées par les villageois qui, maintenant plus outragés qu’apeurés, se précipitèrent afin de tailler un pieux et le planter dans le cœur du vampire de sorte à le tuer une seconde fois. Au moment où il était percé, plus de sang s’écoula de la bouche mais également des oreilles de Plogojowitz qui manifesta quelque signe de bestialité à cet instant, ce que le témoin préfère ne pas rapporter plus explicitement. Cet euphémisme est probablement relatif au fait que Plogojowitz eut une érection visible à ce moment là, ce qui fut observé par l’étranger. Là dessus, l’administrateur impérial témoigne du fait que selon leurs habitudes en de telles circonstances, les villageois brulèrent complètement le corps, et il demande dans le rapport qu’il en fait, qu’il ne lui soit pas tenu rigueur d’avoir pris part à ces évènements illégaux auxquels il a été contraint d’assister tant les villageois étaient terrorisés.

De tels récits sont extrêmement intéressants, et les connaissances acquises de nos jours, notamment en sciences forensiques, nous permettent de les comprendre et même de leur donner un crédit certain. En l’occurrence, tous les caractères physiques décrits ici sont actuellement connus comme des manifestations normales de la décomposition d’un corps humain après son inhumation. L’étonnement du témoin ne semble tenir qu’au fait que lui même ne connaît pas ces processus, dont il décrit pourtant assez fidèlement les signes les plus saillants. En effet, les éléments rapportés concordent bien avec les premiers signes de putréfaction d’un cadavre, à savoir la rupture de l’épiderme, laissant voir sur de larges surfaces le derme rougeâtre sous-jacent. Cela peut effectivement faire penser à l’épidermolyse consécutive à une sollicitation mécanique, que n’importe quel contemporain de Plogojowitz pouvait connaître : de manière moins jargonnante, des ampoules aux mains ou aux pieds, entrainant le soulèvement d’une portion de peau remplacée par une nouvelle couche rouge sous-jacente, et donc l’interprétation d’un phénomène similaire en l’occurrence. La chute des ongles, laissant alors apparaitre le tissus rougeâtre sous-jacent peut également donner l’impression que les anciens ongles sont tombés, et que de nouveaux, à l’aspect rafraichi, ont poussé à la place. Le sang liquide observé dans la bouche de Plogojowitz n’est de même en rien aberrant, et est au contraire un phénomène connu sous le nom de « circulation posthume », où le sang qui ne fige pas dans le cadavre après la mort, ainsi que les fluides de décomposition des tissus, sont poussés à l’extérieur du cadavre via ses différents orifices par les gaz produits par les bactéries colonisant maintenant la cavité abdominale. Le même phénomène est également connu pour entrainer le gonflement hors normes du scrotum et du pénis, ce qui pourrait avoir été mis en évidence au moment où Plogojowitz était tué une deuxième fois et observé par l’administrateur impérial alors un peu gêné de sa description. Le témoin n’est pas supposé avoir connu le défunt avant sa mort, aussi il est possible de penser que le constat selon lequel les cheveux et la barbe de ce dernier auraient continué à pousser vient de l’aspect de barbe naissante, ou barbe de trois jours, que peut donner la rétractation de la peau après la mort autour des follicules pileux [3][4].

Ces données historiques, confrontées à nos connaissances actuelles notamment en matière de sciences forensiques, dont l’histoire de Plogojowitz n’est qu’un exemple, donnent à penser que les descriptions des vampires sont basées sur des observations réelles de phénomènes prosaïques (la décomposition partielle de corps humains), notamment faites en périodes d’épidémies et de craintes collectives, aboutissant à la construction et l’entretien de certaines croyances, notamment celle de revenants à l’origine de ces épidémies, et à la pratique de rituels apotropaïques consistant notamment à tuer une deuxième fois le revenant afin de l’empêcher de sévir, et de faire cesser l’épidémie.

Ces rites (ici le percement du cœur avec un pieux), peuvent avoir laissé des traces matérielles, notamment dans les sépultures anciennes étudiées par les archéologues. Depuis quelques années, la presse se fait assez souvent échos de telles découvertes, et c’est maintenant sur cet aspect que je vais me pencher.

Des vampires et des pieux

Capture d’écran de l’article du Telegraph du 10 octobre 2014. Un individu inhumé dans un ancien cimetière bulgare transpercé d’un pieux en fer dans le buste.

Notre florilège de news vampiriques se rapporte assez systématiquement à des recherches archéologiques récentes et réelles et peuvent être communiquées sur des médias tout à fait respectables, spécialisés en science ou généralistes. Ainsi en 2014 fut rapportée la découverte dans la ville de Perperikon en Bulgarie, proche de la frontière grecque, d’une « sépulture de vampire » datée de l’époque médiévale : l’homme qui y était inhumé, âgé de 40 à 50 ans, avait été transpercé d’une lourde pièce de charrue métallique au niveau du buste. La découverte, faite par l’archéologue bulgare Nikolai Ovcharov, a par exemple été mentionnée sur le site en ligne du magazine Archaeology de l’Archaeological Institute of America le 10 octobre 2014, sur le site du journal britannique The Telegraph le même jour, ou encore sur le magazine en ligne du Smithsonian le 13 octobre. On apprend par ailleurs que la jambe gauche de l’individu avait été coupée sous le genou et placée à côté du corps. Le Telegraph rapporte les explications de N. Ovcharov :

« Nous n’avons pas de doutes sur le fait que nous ayons à faire là à l’exécution d’un rite anti-vampire. […] Ils étaient souvent accomplis lorsque des personnes mourraient dans des circonstances inhabituelles, comme le suicide ».

De surcroit, le journal rapporte indirectement les propos de Bozhidar Dimitrov qui dirige alors le Muséum National d’Histoire de Bulgarie : « environ 100 squelettes de ce type ont été découverts en Bulgarie ». Ceci avec la mention de la découverte, les deux années précédentes, de cas similaires dans la ville bulgare de Sozopol, sur les rives de la Mer Noire.

Si le journal ne donne pas de liens vers des travaux scientifiques publiés ni même vers des articles de presse, il est assez aisé d’en retrouver la trace, et d’apprendre qu’effectivement, en 2012 et 2013, deux sépultures dont les occupants avaient fait l’objet de pratiques associées au folklore vampirique avaient été découvertes par l’archéologue Dimitar Nedev quelques temps auparavant. On trouve la découverte partiellement décrite par exemple le 6 juin 2013 sur le site de la BBC, ou le 15 juin sur le site de La Dépèche. Ces articles ne manquent pas d’intérêt, et donnent généralement un aperçu historique et ethnographique de telles pratiques. On trouve à nouveau des propos rapportés de Bozhidar Dimitrov, par la BBC cette fois-ci :

« Ces squelettes transpercés de tiges [de fer], illustrent une pratique qui était commune dans certains villages bulgares jusqu’aux premières décennies du 20e siècle ».

De telles découvertes s’ajoutent à d’autres cas préalablement connus et diffusés dans les médias. Ainsi en 1994 près de Mytilène en Grèce, l’archéologue Hector Williams avait découvert une telle sépulture atypique du 18e-19e siècle. Le défunt avait été placé dans une crypte en dehors des limites de la ville et à l’écart des autres sépultures, puis placé dans un solide cercueil de bois, là où les autres défunts étaient simplement inhumés dans un linceul. Le corps avait été transpercé de pieux en fer au niveau du cou, du bassin et d’une cheville. Ce cas n’était pas sans rappeler celui découvert quelques années plus tôt, en 1991 à Prostejov en Slovakie, d’un individu pareillement inhumé au 16e siècle dans une crypte et un cercueil, de surcroit ferré. Ici, les deux jambes du défunt avaient été coupées, et recouvertes de pierres. A Celakovice en République Tchèque, ce sont quelques 14 sépultures dont les individus avaient été soit percés de fers, soit recouverts de lourdes pierres. Une autre pratique remarquable a pu être observée notamment à Drawsko en Pologne, où six défunts inhumés au 18e siècle faisaient l’objet de pratiques anti-vampires : 5 d’entre eux avaient la gorge ou l’abdomen cerclé d’une faucille, destinée à les empêcher de se relever de leur tombe alors que des pierres avaient été déposées sur la gorge de deux individus, sensiblement dans le même but [2].

Si ces faits rapportés par la presse sont assez souvent sérieux -au moins dans leurs grandes lignes- et inscrits dans le cadre de véritables recherches scientifiques, il n’en demeure pas moins qu’un certain flou et une difficulté d’accès manifestes planent sur ce type de découvertes. En effet, au moment de faire une revue bibliographique des contextes archéologiques similaires à ceux de Drawsko dans leur article publié sur Plos One et cité précédemment, les auteurs citent abondamment non pas des publications antérieures ni même des rapports archéologiques non publiés dans des revues scientifiques… mais des articles de presse [2]. Et parmi les publications scientifiques citées, la plupart ne sont pas en langue anglaise, et voient ainsi leur diffusion scientifique fatalement restreinte. De fait, les auteurs n’échappent pas à ce constat qu’ils n’approfondiront cependant pas (car ce n’est pas le sujet de leur article) :

« Les rites apotropaïques impliquant des vampires ont non seulement été rapportés à Drawsko mais également à travers l’Europe de l’Est aussi bien pour l’époque médiévale que post-médiévale. Mais alors que de tels rapports dominent les titres de presse, peu de publications existent qui ont formellement décrit de telles découvertes ».

Un tel constat dans une publication scientifique, sur un sujet dont on ne fera pas semblant plus longtemps d’ignorer qu’il est propice à tous les excès pseudo-médiatiques, devrait pour le moins nous mettre en alerte et nous inviter à considérer avec un certain grain de sel les articles de presse mentionnant ces découvertes.

Quelques exemples récents de traitement plus ou moins sérieux de ce genre de vestiges peuvent être documentés, comme celui de la sépulture de Southwell, dans le Nottimghamshire en Angleterre, datant du 6e au 8e siècle. Alors que l’archéologue Matthew Beresford publiait en 2012 un commentaire revenant sur les fouilles anciennes entreprises sur ce site en 1959 et la sépulture atypique qui y avait été observée [5], la presse s’en fit écho avec un certain optimisme. La sépulture atypique était celle d’un individu percé d’un pieux au niveau du cœur. Le Telegraph titrait ainsi le 1er novembre 2012 : « Enterré avec un pieux en travers du cœur : la sépulture de ‘vampire’ médiévale ». L’article est relativement sérieux, et cite l’archéologue à propos des interprétations sensationnalistes qu’on peut toujours faire d’une telle trouvaille à condition de la présenter sous l’angle souhaité. Le Daily Mail, souvent bien plus proche de la presse tabloïde que ne l’est le Telegraph, reprend l’information quelques jours plus tard, le 4 novembre 2012 : « Un rare squelette de ‘vampire’ découvert en Grande-Bretagne avec des pieux plantés à travers ses épaules, son cœur et ses chevilles ». Alors que l’emphase est immédiatement mise sur la « rareté », et donc l’aspect sensationnel d’une telle découverte, l’article s’ouvre par une photographie non pas du site en question, mais d’une autre sépulture associée au folklore vampirique en Bulgarie (ce type d’utilisation pour le moins libérale de photographies illustratives sur ce thème comme sur d’autres, n’est pas rare). La seule autre photo de l’article sera celle d’une rue de Southwell, où aucune fouille archéologique n’est alors en cours. Le texte quant à lui fait immédiatement mention de références modernes de la culture populaire vampirique, en l’espèce par la série de films Twilight. Il revient plus tard à de telles références en mentionnant l’incarnation de Dracula au cinéma par Christopher Lee en 1958. De telles références ont également été vues dans des articles de presse évoqués précédemment, comme cet article de La Dépèche à propos des sépultures atypiques de Sozopol en Bulgarie. Il ne semble pas cependant que la presse française ne se soit particulièrement fait l’écho des découvertes de Southwell, dont le phénomène de hype semble avoir été essentiellement restreint à l’Angleterre, comme l’a mis en évidence S. Guilliano, ayant spécifiquement étudié le traitement des médias britanniques de telles découvertes archéologiques pour son mémoire de Master à l’Université de Chester [6]. Les citations de Matthew Beresford reprises par le journaliste du Daily Mail reviennent ici sur de telles références contemporaines, sous un jour humoristique. Le 8 novembre, c’est au tour de Discovery News (maintenant Seeker) de reprendre cette information : « Un squelette de vampire redécouvert en Grande Bretagne ». Il est notable de constater que les guillemets ne sont plus utilisées pour « vampire », donnant l’illusion d’abonder dans l’idée qu’un authentique vampire aurait pu être découvert. Le corps du texte revient cependant aux guillemets. Cette fois-ci, l’illustration de l’article est une authentique photographie de la sépulture prise en 1959, sur laquelle il est cependant fort difficile d’apercevoir les éléments atypiques. La mention de la « redécouverte » pourrait par ailleurs laisser croire à la remise au jour de restes archéologiques anciennement observés, ce qui n’est pas le cas.

Il semble que certains médias aient compris l’intérêt de photographes authentiques lors du rapport de telles découvertes. Si la curiosité et la simple volonté de constater par soi-même en quoi peuvent consister de telles « sépultures de vampires » est assez compréhensible, il n’est certainement pas exagéré d’y voir là poindre un certain goût pour le hameçonnage du lecteur via un petit appel au trash-porn journalistique à la croisée de ce que l’archéologue Cornelius Holtorf a appelé l’archeo-appeal [13]. Ainsi, à propos des cas bulgares de Sozopol, l’édition britannique du Huffington Post en ligne, titre le 7 juin 2012 : « Des squelettes de ‘vampires’ avec des pieux à travers le cœur découverts dans la ville bulgare de Sozopol sur la Mer Noire (PHOTOGRAPHIES) ». La même journaliste, toujours sur le Huffpost, titre le 13 mai 2014 à propos de découvertes similaires faites à Kamien Pomorski en Pologne : « Un squelette de ‘vampire’ enterré avec un pieux dans la jambe et une brique dans la bouche en Pologne (PHOTOGRAPHIES) ». Même schéma suivi par un autre journaliste titrant sur le Huffpost le 12 juillet 2013 à propos de découvertes faites à Gliwice en Pologne, suivi de la mention « (PHOTO) ». Il ne me semble pas pertinent de voir là la mise en garde du lecteur contre du contenu suggestif au motif qu’on s’apprêterait à y voir des cadavres humains. En effet, les photographies ne représentent jamais plus que des corps totalement squeletonisés difficilement effrayants. Celles du dernier article sont en fait contenues dans une vidéos montrant rapidement la page d’un autre média sur laquelle on peut apercevoir une photo de sépultures perturbées à plusieurs mètres de distance.

L’emphase mise sur ces illustrations n’est cependant pas scandaleuse. Les images sont authentiques, et le contenu des articles plutôt correct. En revanche, si beaucoup d’articles de presse choisissent de faire mention de références à la culture populaire comme nous l’avons vu plus haut, d’autres choisissent d’y puiser de surcroit leurs illustrations. Ainsi, l’article du Daily Mail du 12 juillet 2013 sur les sépultures de Gliwice, choisit d’illustrer son corps de texte par les photographies de cas bulgare et italien, ainsi que, mises côte à côte, une image du Nosferatu de 1922 et de la saga Twilight. La référence à des illustrations biaisées (au mieux des cas de réelles découvertes archéologiques n’illustrant pas le cas spécifique de l’article en question, et au pire des références de la culture populaire), semble être assez courante.

Culture pop, folklore et science

Capture d’écran d’un article paru le 12 juillet 2013 sur le Daily Mail.

Mais de telles références nous donnent-elles une image pertinente du phénomène culturel ainsi aperçu. Faudrait-il encore que les pratiques anti-vampires, si elles sont historiquement documentées, soient archéologiquement tangibles et spécifiques, c’est à dire qu’il faut encore faire la démonstration que des observations faites sur un site archéologique sont effectivement la manifestation de telles pratiques, et non pas d’autres phénomènes similaires ou confondants. De fait, si la presse généraliste semble prendre l’habitude de titrer de manière parfois tonitruante sur des cas de « sépultures de vampires », un tel vocable est beaucoup plus rare du côté des publications scientifiques sur le sujet, au premier chef des quelles celles relatives à des contextes archéologiques qui ne portent donc pas en premier lieu sur l’étude de sources documentaires mentionnant explicitement le folklore vampirique, mais plutôt ses éventuelles manifestations matérielles en contexte funéraire. La notion de « vampire » y est beaucoup plus rarement observée, d’abord dans les titres des publications, comme en témoigne l’article de Plos One mentionné supra, pour lequel le terme de « vampire » n’apparaitra que dans le corps du texte. Et pour cause, les archéologues et autres spécialistes intéressés par de tel vestiges parlent plus volontiers de « sépultures atypiques », que j’ai déjà évoquées précédemment dans ce texte. Néanmoins il ne s’agit là que d’une traduction française correcte du terme consacré de la littérature scientifique anglophone sur le sujet, à savoir « deviant burial ». Anastasia Tsaliki explique cependant dans un court article francophone consacré à ce thème que le terme français évite la traduction directe de « sépulture déviante » afin de ne pas suggérer les connotations psychopathiques pouvant y être attachées [15]. La sépulture atypique se distingue par son caractère inhabituel au regard des autres sépultures issues d’un même contexte archéologique. Il peut par exemple s’agir de squelettes décapités ou démembrés, ayant les membres attachés, enterrés dans des conditions et lieux particuliers, intentionnellement recouverts de lestes (assez souvent des pierres), ou encore attachés voire cloués au fond de leur sépulture. De tels manifestations de pratiques funéraires atypiques ne sont pourtant pas nécessairement corrélées à des croyances ou rites relatifs au folklore vampirique. De fait, les actes et publications concernant de telles observations parlent plus volontiers des « deviant burials », auxquelles peuvent marginalement être associés certains folklores vampiriques, plutôt que de « ‘vampire’ burials » comme semblent prendre l’habitude de le faire la presse grand public [16]. Le même article de A. Tsaliki est succinctement illustré d’une étude de cas provenant de fouilles de tombes chrétiennes datées du 17e au 19e siècle sur l’île de Lesbos en Grèce, en 1999. Le lien est fait entre les clous imposants découverts dans la sépulture en l’absence de toute trace de cercueil qui pourrait y être associé, et les manifestations pathologiques visibles de son vivant de l’individu inhumé là. L’anthropologue explique que la maladie et les difformités physiques peuvent être des motifs de rites anti-vampires dans certains folklores européens, et que celles-ci, nettement visibles chez cet individu, pourraient expliquer la présence de clous massifs ayant pu servir à clouer le mort au fond de sa tombe, de peur qu’il n’en ressorte, peur suscitée auprès de ses contemporains par ses conditions pathologiques. On comprend assez aisément la précarité de telles interprétations, qui reposent somme toute assez rarement sur des cas aussi impressionnants que ceux faisant les gros titres de la presse ces dernières années, et qui présentent par exemple des pieux de fer plantés sans équivoque dans le buste du défunt et ce dans des contextes chrono-géographiques ne laissant aucun doute sur la pertinence de leur association à un folklore vampirique bien connu, comme les pays d’Europe centrale au début de l’époque contemporaine.

Au titre des rares publications scientifiques titrant directement sur les « vampires », (Vampires beyond legend: a bioarchaeological approach) la même chercheuse évoque les différents folklores relatifs à des êtres semblables aux vampires tels que nous les imaginons (des personnes mortes, revenant de leur tombe avec un certain tropisme pour le sang d’autrui) [7]. L’auteur parle plus généralement de nécrophobie, c’est à dire la crainte que des personnes décédées ne reviennent hanter les vivants. Entre de nombreuses autres traditions semblables à travers le monde et le temps, on peut ainsi trouver la mention des morts particulièrement friands du sang des vivants dans l’Odyssée d’Homère, poèmes épiques rassemblés aux alentours du 8e siècle avant notre ère et pré-datant donc de loin les folklores contemporains d’Europe centrale, historiquement popularisés à partir du 18e siècle.

Il est donc hautement probable que toute allusion aux poncifs vampiriques de la culture populaire (mettons un nobliau transylvanien du 18e siècle ou des adolescents de bonnes familles américaines du 21e siècle) dans les articles de presse pour illustrer de tels cas anciens, ne fasse qu’induire des images fortement erronées au-delà de quelques items similaires comme le goût du sang des revenants, ou la possibilité pour eux de ressortir de leur tombe.

Christopher Lee (alias Saruman dans la Trilogie du Seigneur des Anneaux), incarne ici Dracula dans le film éponyme de Terence Fisher en 1958.

D’ailleurs, sans parler des mythes plus anciens, l’image d’Épinal du Comte Dracula incarnée par Saruman en plus jeune au cinéma, est-elle seulement conforme aux folklores européens d’Europe centrale ? Paul T. Barber, du Museum d’Histoire Culturelle de l’Université de Californie s’est intéressé à la question et en a produit en 1988 un ouvrage resté fameux, autant pour son sujet que sa qualité académique : Vampires, Burial and Death: Folklore and Reality. Barber résume ainsi :

« Avant de commencer cependant, nous devons nous débarrasser du poids des images de l’industrie de la fiction. Si un vampire typique du folklore, et non de la fiction [c’est-à-dire de la culture populaire], venait frapper à votre porte cette année à Halloween, vous ouvririez probablement à un gros bonhomme slave aux ongles particulièrement longs, à la barbe naissante, l’œil gauche écarquillé et la bouche ouverte, la face rougeaude et gonflée. Il porterait une tenue simple, un linceul en fait, et ressemblerait pour quiconque le regarderait, à un paysan hirsute.

Si vous ne le reconnaissiez pas, ce serait probablement que vous vous attendiez comme la plupart des gens actuellement à découvrir une personne de grande taille, un élégant gentleman portant une cape noire. Mais il s’agirait là du vampire de fiction, c’est à dire une figure dérivée des vampires du folklore mais n’ayant maintenant que peu de ressemblances avec ceux-ci. L’exemple type de cette figure de fiction est le Comte Dracula qui, au 20e siècle, a connu un grand succès au cinéma. Le comte, qui est le méchant de la nouvelle de Bram Stoker intitulée Dracula, n’était pas slave : il vivait en Transylvanie et était plus ou moins inspiré du prince (et non du comte) Vlad Tepes, une figure de l’histoire de la Roumanie. Il régnait alors en Valachie (non en Transylvanie), et n’a jamais été vu par la population locale comme un vampire ».

En outre, Barber évoque le flou artistique généralement adopté par les personnes qui étudient ce sujet :

« Nous pourrions limiter la discussion au cas particulier des revenants slaves, ceux qui ont effectivement été appelés vampir, ou upir [à l’origine], ou par d’autres équivalents étymologiques. Mais il se trouve des créatures similaires en Europe qui sont qualifiées dans leur culture par des noms totalement différents. Avec un sens certain de l’empilement, mais un sens déplorable de la taxonomie, les chercheurs européens ont communément qualifiés ces différentes créatures, ainsi que les morts-vivants de cultures très éloignées comme en Chine, en Indonésie ou dans les Philippines, de ‘vampires’ également ».

La description, retranscrite au début de ce billet, du cas de Peter Plogojowitz décrit dans son livre par Paul Barber, n’est qu’un exemple des multiples documentations historiques ou ethnographiques de telles pratiques anti-vampires. Des descriptions aussi précises ont clairement alimenté tout à la fois la curiosité et l’imagination non seulement des artistes, écrivains et réalisateurs, mais également des chercheurs eux-mêmes, qui peuvent tendre, par optimisme ou légèreté méthodologique, à attribuer telles ou telles manifestations matérielles observées en contexte archéologique, à des pratiques liées au folklore vampirique, au moins dans une conception taxonomique élargie de celles-ci, ce qui est déjà pour le moins sujet à caution. La presse généraliste, avec ses propres travers, ne fait que rajouter une couche à la construction et à la diffusion d’idées préconçues voire de faussetés matérielles et la création de toutes pièces d’histoires séduisantes, ce qu’on appelle notamment dans les sciences de l’évolution, des just so stories. Il a déjà été évoqué par exemple, comment il pouvait être aisé et tentant d’interpréter ne serait-ce que des corps décapités comme des rituels anti-vampiriques, là où n’importe quel condamné à mort dans un tel contexte aurait été susceptible de laisser les mêmes traces funéraires, sans possibilité d’être spécifiquement distinguées les unes des autres lors des fouilles archéologiques [8]. L’une des interprétations est sans doute plus excitante que l’autre, mais cette autre, plus modeste, est aussi potentiellement plus parcimonieuse.

L’accumulation de toutes ces couches de complexité me semble bien illustrée par le cas récent du « Vampire de Venise ». En effet, l’archéologue Matteo Borrini a rapporté la découverte sur l’îlot de Lazzaretto Nuovo dans la lagune de la Sérénissime entre 2006 et 2007, de la sépulture d’une femme présentant une brique dans la bouche [9]. La sépulture datée du 16e siècle s’inscrit dans le contexte des épidémies de peste de Venise, en l’occurrence celle de 1576, qui ont vu la création de cimetières spécialement conçus pour recevoir les très nombreuses victimes de la maladie. La fosse commune fouillée par M. Borrini est clairement associée à ce contexte. Or, le folklore vampirique nous donne aussi à savoir que le contexte épidémique dans le passé a été particulièrement propice au développement de ces croyances, d’abord et avant tout dans la description physique des vampires, comme nous l’avons vu précédemment. La réouverture fréquente de sépultures collectives en des périodes de catastrophes épidémiques n’a pu, logiquement, que favoriser la confrontation des contemporains avec la vision de corps très partiellement décomposés. Le folklore vampirique nous fait également connaître la croyance spécifique des Nachtzehrer, un terme allemand caractérisant en l’espèce une créature errant la nuit. Cette croyance, connue pour remonter au moins au 13e siècle en Bohème et Moravie, décrit l’existence de revenants, qui survivraient dans leur tombe après leur inhumation en mâchouillant leur linceul (une autre image qui peut avoir été provoquée par l’exhumation fréquente de corps à peine décomposés, dont le linceul tend à tomber dans la bouche ouverte du défunt en s’imbibant de liquides de décomposition). Après avoir mangé leur linceul, les revenants pouvaient sortir de leur tombe et hanter les vivants. On pensait par ailleurs que les épidémies étaient causées par ces morts-vivants, et qu’une manière de s’en prémunir en cas de nécessité, était donc de les exhumer, de retirer leur linceul de leur bouche mâchouillante, et d’y insérer une poignée de terre, une pierre ou une brique, afin d’affamer le mort et de le tuer une deuxième fois.

Les auteurs de cette découverte pensent que la brique a été intentionnellement insérée dans la bouche du défunt dans le cadre d’un rite anti-vampire [9].

Ces éléments ont incité les archéologues à proposer cette observation (la brique dans la bouche d’une victime d’une épidémie de peste au 16e siècle), comme la manifestation d’un rite anti-vampire. En dehors de débats plus informels notamment tenus sur des blogs par différents scientifiques, la publication de la découverte et la défense de son interprétation en des termes culturels précis ont non seulement été disputés, mais ont également fait l’objet d’un commentaire critique à la suite de sa publication principale dans un journal scientifique [10]. Bien sûr, tout commentaire critique publié en réponse à la publication préalable d’un article scientifique ne signifie pas que ces critiques soient pertinentes, justifiées, ni mêmes crédibles. Il m’arrive régulièrement de faire ce constat. Ce que je souhaite illustrer ici, c’est que même en s’en remettant strictement à la littérature scientifique publiée et à des considérations matérielles assez prosaïques, il n’est pas assuré que toute mention de « vampire » soit à accepter trop rapidement. En l’occurrence, les auteurs de la découverte se défendent assez longuement dans leur propre réponse à la critique, bien qu’ils semblent peiner à dire qu’en effet, une marge irréductible demeure entre leur interprétation du fait observé, et son lien avec une intention et une pratique culturelle précises [11]. Comme pour le cas des têtes tranchées interprétées avec trop de facilité comme autre chose que ce qu’elles sont (des têtes tranchées), les auteurs du commentaire critique mettent bien ici en évidence que des pierres ou d’autres matériaux de comblement peuvent assez aisément se retrouver dans les mêmes dispositions que celles observées à Lazzaretto Nuovo par le biais des processus de perturbation et de remaniement du sol au cours des siècles. Il est notable de constater que cette controverse continue d’être mentionnée dans les publications récentes faisant une revue des données existantes sur le sujet [1].

Les critiques du cas du « vampire de Venise » mettent en évidence que ce type d’observations ne sont pas rares, et ne sont pas dues à des rites apotropaïques anti-vampires. Ici, le fémur d’un défunt s’est retrouvé dans la bouche d’un autre [10].

Je ne détaille pas l’échange critique plus avant, mais un élément me semble saillant pour le propos de ce billet : les auteurs de la découverte du « Vampire de Venise » suggèrent de manière assez manifeste que la critique dont ils font l’objet est essentiellement due à la popularité médiatique de leur découverte, popularité qui ne manque jamais d’attirer les critiques indues des milieux académiques peu en phase avec ce genre d’engouement médiatique. C’est une ligne de défense pour le moins faible et sans valeur scientifique sur laquelle je n’aurai pas insisté personnellement, même si je la tenais pour vraie en mon for intérieur. Or de manière assez remarquable, on constate aussi que pas moins que deux ans plus tard, une autre publication de ces premiers auteurs sur le même sujet du « Vampire de Venise », est pointée par d’autres commentateurs dans la même revue que la publication initiale et qui ne sont pas les auteurs de la première critique, comme faisant partie d’une liste de publications manquant au professionnalisme et à l’éthique de la discipline et de la publication scientifique [12]. Ce qui est ici pointé n’est plus l’argumentaire scientifique jugé insuffisant à soutenir leurs interprétations, mais le titre de la publication, que l’on peut juger en effet pour le moins peu informatif, sinon obscur sur le contenu réel de la communication, et qui, au final, ressemble plus au titre d’un article de presse généraliste qu’à celui d’une communication scientifique : The Vampire of Venice: A Real Ancient Ancestor of Twilight Investigated By Modern Forensics. Sans que cela ne signifie absolument que le cas décrit par Matteo Borrini ne soit pas une authentique pratique anti-vampire, la boucle semble bouclée : à la difficulté des interprétations, mêmes discutées sérieusement par des gens sérieux, s’ajoutent les tendances, non forcément des journalistes de la presse généraliste, à l’obscurcissement ou à la simplification (au mauvais sens du terme) de la communication de telles découvertes auprès du grand public. Au final, le « Vampire de Venise » est allègrement médiatisé par National Geographic, alors que les incertitudes qui l’entourent restent bien moins visibles, bien que cela puisse néanmoins percoler dans des médias moins spécialisés.

Il est vrai qu’une grande ambivalence règne entre les scientifiques et les journalistes, les premiers souvent très suspicieux de ce que les seconds pourraient dramatiquement déformer et rendre grotesques leurs découvertes. Ceci est particulièrement le cas en archéologie [14], dont les médias même les plus sérieux ne se refusent pas nécessairement de faire une promotion pour le moins critiquable sinon pseudo-scientifique.

L’archéologue et sceptique David Anderson pointe les travers de la revue National Geographic en terme de pseudo-archéologie sous couvert d’exploration des « mystères » persistants.

En définitive, peu de ce dont j’ai parlé dans ce billet est fondamentalement scandaleux ou totalement rédhibitoire à mon sens sur ce qui peut être lu à propos des « vampires ». Rien n’a été « débunké », car rien n’avait fondamentalement à l’être en l’occurrence. Mais de fait, différentes couches de biais semblent se superposer et grandement obscurcir ce que l’on pourrait sembler savoir à propos de telles découvertes à la lecture de quelque article de presse à l’approche d’Halloween :

  • Le phénomène culturel discuté est beaucoup plus diversifié que ce qui est souvent décrit, bien que certains articles de presse fassent de chouettes contextualisations.
  • La presse peut se faire l’écho de faits moins bien démontrés qu’elle ne le laisse entendre sur le plan matériel.
  • La science elle même peut être encore très parcellaire sur différents aspects du sujet (ici les manifestations matérielles des pratiques anti-vampiriques observées via l’archéologie).
  • La précarité potentielle des rares publications scientifiques à large diffusion sur le sujet, dont les interprétations définitives ne sont pas pour autant garanties par leur vernis de scientificité.
  • L’optimisme des uns ou des autres pour des interprétations plus accrocheuses, ou une certaine forme d’archeo-appeal.
  • L’ensemble est finalement constamment baigné et réduit à ce que nous pensons en savoir, et qui est largement issu de constructions récentes de la culture pop.

Que reste-t-il de tels articles en somme, sinon la mention de découvertes le plus souvent non, ou partiellement documentées scientifiquement, bien que crédibles, et auxquelles, en dépit d’articles de presse tout à fait corrects, seront assez immanquablement associées par les lecteurs des idées fausses ? Avec ces découvertes notoirement promues dans la presse généraliste depuis 2012, la « sépulture de vampire » a tout pour devenir un marronnier de la période d’Halloween particulièrement mal traité (bien que je n’ai pas remarqué une telle tendance via google trends). Ce mois d’octobre 2018 aura été bien fourni avec la médiatisation de « l’enfant-vampire » de Lugano. Donnons-nous dès lors rendez-vous ces prochaines années afin de voir comment évoluent tout à la fois le corpus scientifique des manifestations archéologiques de ce phénomène culturel, et son traitement médiatique.

Bibliographie :

[1] Gregoricka Lesley A. et al., Deviant burials and social identity in a postmedieval Polish demetery: An analysis of stable oxygen and carbon isotopes from the « vampires » of Drawsko, American Journal of Physical Anthropology, 2017

[2] Gregoricka Lesley A. et al., Apotropaic Practices and the Undead: A Biogeochemical Assesment of Deviant Burials in Post-Medieval Poland, Plos One, 2014

[3] Barber P, Vampires, burial, and death: Folklore and reality, Yale University Press, 1988

[4] Pinheiro Joao, Decay Process of a Cadaver, in Schmitt A. et al., Forensic Anthropology and Medicine: Complementary Sciences From Recovery to Cause of Death, Human Press, 2006

[5] Beresford M., The Dangerous Dead: The Early Medieval deviant burial at Southwell, Nottinghamshire in a wider context, MBA Local Heritage Series, 2012

[6] Guilliano S., The British media’s portrayal of Romano-British and Anglo-Saxon deviant burials with emphasis on the vampire myth, University of Chester, 2013

[7] Tsaliki A., Vampires Beyond Legend: a Bioarchaeological Approach, Journal of Paleopathology, 1999

[8] Barrowclough D., Time to Slay Vampire Burials? The Archaeological and Historical Evidence for Vampires in Europe, Cambridge Red Dagger Press, 2014

[9] Nuzzolese E. et Borrini M., Forensic Approach to an Archaeological Casework of  »Vampire » Skeletal Remains in Venice: Odontological and Anthropological Prospectus, Journal of Forensic Sciences, 2010

[10]Minozzo S., et al.,  Commentary on: Nuzzolese E. et Borrini M., Forensic Approach to an Archaeological Casework of  »Vampire » Skeletal Remains in Venice: Odontological and Anthropological Prospectus, Journal of Forensic Sciences, 2012

[11] Borrini M, et Nuzzolese E., Author’s Response, Journal of Forensic Sciences, 2012

[12] Passalacqua N. V., et al., Letter to the Editor-Professionalism: Ethics and Scholarship in Forensic Science, Journal of Forensic Sciences, 2014

[13] Holtorf C., From Stonehenge to Las Vegas: Archaeology as Popular Culture, AltaMira, 2005

[14] Brittain M. et Clark T., Archaeology and the Media, Left Coast Press, 2007

[15] Tsaliki A., La paléopathologie des sépultures atypiques : méthodologie générale et étude de cas, in Ostéo-archéologie et techniques médico-légales, tendances et perspectives, Philippe Charlier (Ed), De Boccard, 2008

[16] Murphy E. M. (Ed), Deviant Burial in the Archaeological Record, Oxbow Books, 2008

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