[Trad] « Glyphosate et cancer : que disent les données ? »

Article publié par Andrew Kniss sur Control Freaks le 28 mars 2015.

Il y a un peu plus d’une semaine, l’International Agency for Research on Cancer (IARC) a annoncé que le glyphosate devrait être ajouté à sa liste des produits « probablement carcinogènes aux humains ». Le glyphosate n’était pas le seul pesticide ajouté à la liste, mais comme Nathanael Johnson l’a soulignée sur Grist, le glyphosate à tendance à faire paratonnerre du fait de son association avec les cultures GM Roundup Ready. Le présent billet intervient un peu tard dans la controverse. L’IARC est une agence respectée de l’OMS, et cette annonce a été largement diffusée. Personne ne sera surpris de voir que Monsanto a farouchement réfuté les risques sur la santé, alors que ceux qui par habitude s’opposent aux OGM et aux pesticides en profitent pour avancer leurs agendas. Je pense que le billet mentionné supra de Nathanael Johnson sur Grist et celui de Dan Charles sur NPR remettent correctement en contexte cette nouvelle classification. Grist a aussi posté une vidéo vraiment cool qui explique en quoi consiste réellement la classification de l’IARC dans le groupe 2A, « probablement carcinogène pour les humains » [ndtr : sur la signification réelle de cette classification].

Plutôt que de simplement reformuler ce que d’autres ont dit sur le sujet, je voulais vraiment porter un regard complet sur les preuves supportant cette classification. Je travaille avec les pesticides (spécialement le glyphosate), sur une base régulière, et je prends donc cette classification très au sérieux. Si le glyphosate est effectivement une source de cancer, je fais partie de la population qui y est le plus exposée. Comme la plupart des contributions raisonnables sur le sujet l’ont déjà soulignée, les produits du groupe 2A de l’IARC sont essentiellement problématiques pour les expositions professionnelles, c’est-à-dire les gens travaillant à leur contact sur une base régulière pendant de longues périodes. Il est hautement improbable que le grand public ne voit le moindre effet pathologique d’aucun produit entrant dans cette classification en se basant sur les preuves disponibles. Je suis surpris que l’IARC décide d’annoncer cette classification un an avant la rémission de la monographie complète détaillant les raisons de leur décision. Avoir leurs références complètes serait pour sûr utile pour comprendre quelles sont les données à l’origine de cette conclusion. J’ai donc fait une recherche bibliographique sur les études incluant le cancer et le glyphosate. Une review récente de Pamela Mink et al., 2012, a fourni un bon point de départ. Il devrait être souligné que cette étude a été financée par Monsanto ; cependant, je ne me suis pas véritablement reposé sur les conclusions de Mink, aussi ce conflit potentiel n’est-il vraiment pas pertinent. J’ai simplement utilisé l’article de Mink comme point de départ pour ma recherche bibliograhique sur les papiers enquêtant sur le lien cancer-glyphosate.

Récemment, Vox a présenté une illustration vraiment bonne qui résume très bien la raison pour laquelle vous ne devriez pas croire aveuglément dans une étude unique sur les causes de cancer ou ses traitements curatifs [ndtr : trad. De l’article de Vox sur LTC]. J’ai utilisé cette illustration comme modèle pour créer la mienne qui résume toutes les informations que j’aie pu trouver à propos de l’exposition au glyphosate et au cancer.

AllCancer_Allcites

Sur cette illustration, chaque point représente le risque relatif de cancer entre des gens ayant été exposés au glyphosate et ceux qui ne l’ont pas été. Pour lire cette illustration, tous les points à gauche de la ligne bleu (valeur inférieure à 1), signifient qu’en moyenne, les personnes qui ont été exposées au glyphosate étaient probablement moins sujettes au développement de ce type de cancer. Les points à droite de la ligne bleue signifient que les gens exposés au glyphosate étaient plus probablement sujets à développer ce type de cancer. Il y a deux choses importantes à souligner à propos de cette illustration. D’abord, c’est une simplification évidente des données. Présenter ces dernières ainsi exclut l’incertitude des risques relatifs estimés. Quand une étude présente ces estimations, elle utilise habituellement un intervalle de confiance de 95%. Cet intervalle est très important pour déterminer si on doit ou si on ne doit pas accorder du crédit aux estimations. De façon générale, si le point se positionne sur la valeur 1, on pourra conclure que la preuve est trop faible pour suggérer un lien causal. Quand bien même, si on se retrouve avec un nombre équivalent de points de part et d’autre du 1, ou si les points se regroupent proche du 1, on peut assurément conclure qu’il y a peu de preuves de liens.

Le second élément important à propos de cette illustration, c’est qu’on peut voir beaucoup de points à droite de la ligne pour le lymphome non-hodgkinien. C’est important car c’est spécifiquement le type de cancer invoqué dans l’article de Lancet Oncology et sur lequel l’IARC se repose pour annoncer officiellement sa nouvelle classification. Le tableau à la première page de l’article de Lancet déclare que « la preuve chez les humains » est « limitée » à propos du cancer de type « lymphome non-hodgkinien ». L’article de Lancet Oncology liste seulement 16 références, et autant que je puisse en juger, seulement trois de ces références comportent effectivement des informations sur le glyphosate et le lymphome non-hodgkinien (dorénavant abrégé LNH). Ces trois références semblent en effet suggérer un lien entre l’exposition au glyphosate et le LNH.

Chacune de ces études est une étude de cas. Ce genre d’études prend un grand nombre de cas pathologiques d’intérêt, trouve une population similaire ne présentant pas l’état pathologique étudié, et essaye alors de trouver les différences dans les facteurs de risques auxquels sont exposées ces deux populations. N’importe quel facteur plus prévalent dans la population des cas pathologiques étudiés sont vus comme de possibles facteurs de risque pour cette pathologie. Ces études de cas peuvent être vraiment utiles, comme Vox l’a souligné. Dans les trois études de cas référencées dans l’article de Lancet cité par l’IARC, tous les points d’estimation sont à droite de la valeur 1. Mais l’intervalle de confiance de McDuffie et al., 2001 inclut la valeur 1, signifiant que la preuve d’un lien dans cette étude n’était pas vraiment forte. Similairement, DeRoos et al., 2003 a utilisé deux modèles différents, et l’intervalle de confiance pour l’un d’eux contenait la valeur 1. En regardant dans différentes études de cas, j’ai vu que différents modèles étaient communément utilisés. Les auteurs évaluent parfois 2 voire même 3 modèles différents pour comparer le groupe des personnes exposées au glyphosate et celui des personnes n’y étant pas exposées. Nous reviendrons là-dessus plus tard. J’ai pu trouver plusieurs autres études (en plus des trois sur lesquelles se repose l’IARC), qui ont enquêté sur les liens entre glyphosate et LNH. Toutes ces études sont résumées dans l’illustration ci-dessous :

NHL_casecontrol

Bien que beaucoup d’intervalles de confiance contiennent la valeur 1, tous les points d’estimation sont plus grands que 1. Ainsi, en dépit d’une grande variabilité dans les données, l’association de l’exposition au glyphosate et du LNH semble effectivement raisonnablement consistante à travers ces études. C’est peut être ce qu’à constaté l’IARC avant de donner ses conclusions. Similairement à DeRoos, 2003, les deux études de Hardell ont utilisé plus d’un modèle. Dans ces études, la différence entre plusieurs modèles visait habituellement à l’ajustement de variables confondantes. La variable la plus souvent confondante dans les études sur le LNH était l’exposition à d’autres pesticides. Une très grande partie des personnes exposées au glyphosate pendant des longues périodes le sont aussi à d’autres pesticides. C’est une limitation très importante aux études de cas. Beaucoup de personnes utilisant de grosses quantités de glyphosate (comme les agriculteurs, les commerciaux applicateurs de pesticides et les scientifiques agronomes) tendent à être exposés à beaucoup de produits bien plus rares dans le grand public. Nous tendons à utiliser quantité de pesticides, mais aussi probablement à inhaler plus de poussières et de fertilisants. Nous travaillons en extérieur, exposés en plein soleil. Nous sommes aussi probablement plus exposés aux fluides hydrauliques et nous levons plus tôt que la population générale. Ces paramètres sont extrêmement difficiles à contrôler dans une étude de cas.

De plus, dans ces études de cas, une très petite minorité de cas de LNH étaient effectivement exposés au glyphosate. Par exemple, seulement 97 personnes (3,8% de la population étudiée) avaient été exposées au glyphosate dans l’étude de DeRoos, 2003. Similairement, seulement 47 personnes (2,4% de la population étudiée) avaient été exposées au glyphosate dans l’étude d’Eriksson, 2008. Ce sont de très petits nombres. En le prenant sous un autre angle, environ 3% seulement des cas de LNH dans la plupart des études de cas avaient effectivement été exposés au glyphosate. Ainsi, même si le glyphosate accroit effectivement le risque, ce n’est certainement pas un contributeur majeur au nombre de cas de LNH dans la population générale.

Mais les études de cas ne sont pas le seul type d’études qui ont été utilisées pour enquêter sur le lien entre glyphosate et cancer. DeRoos et al., a mené une étude supplémentaire en utilisant une méthode différente, et supposément meilleure. Les études de cohortes suivent un groupe de personnes pendant un temps donné voire pendant toute leur vie. Elles traquent les nombreux facteurs de risques et leur impact sur la santé. DeRoos et al., 2005, a suivi un groupe de 54 315 travailleurs agricoles. Encore une fois, il a utilisé deux méthodes différentes dans son analyse, mais les résultats furent opposés à ceux observés dans les études de cas.

Les estimations étaient inférieures à 1,0, avec un intervalle de confiance englobant le 1. Ces résultats suggèrent qu’il n’y a pas de lien discernable entre le glyphosate et le lymphome non-hodgkinien dans la population où l’usage du glyphosate était le plus commun. Plus de 41 000 participants sur les 54 315 que comportait l’étude avaient été exposés au glyphosate. Et 99,82% d’entre eux n’avaient pas de lymphome non-hodgkinien au moment de cette étude.

Alors, que signifie tout ça ? Je pourrai changer d’avis lorsque la monographie complète de l’IARC sera publiée, mais en me basant sur les études disponibles je ne peux pas voir la moindre preuve suscitant l’inquiétude, et je dis ça alors que je fais partie de gens exposés à plus de glyphosate que la grande majorité de la population. Il n’y a rien ici qui puisse ternir la réputation de pesticide très sûr du glyphosate. Et pour l’amour de dieu, arrêtez de dire des choses du type « le glyphosate est suffisamment sûr pour que vous puissiez en boire ». Boire du Roundup ne signifie rien du tout, de toute façon. Je pourrai fumer une cigarette et boire une bière devant une foule, ça ne rendrait pas ces produits moins responsables de cancers. Le glyphosate est toujours un pesticide après tout. Un équipement de protection approprié devrait être porté lors de l’utilisation de tout pesticide. Mais lorsqu’il est utilisé selon les normes en vigueur, je ne pense pas qu’il y ait de raison d’être effrayé, que vous possédiez du Roundup que vous utilisez pour désherber votre jardin ou que vous soyez un commercial épandant sur 400 hectares de maïs Roundup Ready.

Liens suggérés :

So Roundup “probably” causes cancer. This means what, exactly? by Nathanael Johnson, Grist

A top weed killer could cause cancer. Should we be scared? by Dan Charles, NPR

He’s not a Monsanto lobbyist, and weed killer isn’t safe to drink. by Matthew Herper, Forbes

Watch stick figures explain what “probably causes cancer” even means. by Suzanne Jacobs, Grist

Expert reaction to carcinogenicity classification of five pesticides by the International Agency for Research on Cancer (IARC). Science Media Centre

Weed killer, long cleared, is doubted. Andrew Pollack, New York Times

Monsanto’s statement on the IARC classification of glyphosate. Monsanto

Glyphosate as a carcinogen, explained. Farmers Daughter USA

6 commentaires sur “[Trad] « Glyphosate et cancer : que disent les données ? »

  1. L’auteur peut-il vraiment dire du mal de ceux qui le financent et qui l’occupent quotidiennement, sachant qu’il est en plus spécialiste du Roundup selon ses thèmes de recherche?

    Andrew R. Kniss, maître de conf en « maîtrise des mauvaises herbes » (weed control biology) et agronome.

    Le programme du Dr. Kniss à l’Université du Wyoming est financé par les sponsors suivants :

    Arysta LifeScience, BASF, Bayer CropScience, Dow AgroSciences, DuPont, FMC, Hatch Act Funds – USDA, Loveland Industries, Monsanto, NovaSource, Repar Corporation, StateLine Bean Cooperative, Syngenta, United States Department of Agriculture National Insitute for Food and Agriculture, University of Wyoming Department of Plant Sciences, University of Wyoming School of Energy Resources, Valent, Western Sugar Cooperative, Winfield Solutions, Wyoming Agricultural Experiment Station, Wyoming Crop Improvement Association, Wyoming Department of Agriculture, Wyoming Seed Certification.

    http://weedcontrolfreaks.com/about/andrew-kniss/

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