Comprendre la méthode scientifique : comment sait-on ce que l’on sait ? [Difficulté : facile] (1200 mots / ~6 mins)

Figure 1 Les données recueillies par les scientifiques ne sont pas forcément quantitatives (des suites de nombres), mais également qualitatives. Ici, Jane Goodall consigne des comportements observés chez des chimpanzés (Campbell et al. 2009)

Beaucoup de personnes non-scientifiques (et même parfois des scientifiques !) ont souvent du mal à comprendre les fondements de la démarche scientifique. Pourquoi une investigation scientifiquement menée, si elle ne permet pas de dégager des connaissances absolues, est néanmoins ce que nous avons de plus fiable pour appréhender et comprendre l’univers qui nous entoure ? Il arrive régulièrement dans mes échanges avec des non-scientifiques, que ceux-ci m’accusent de pédanterie et de scientisme, au motif que je penserais que ce qui est scientifique est forcément parfait, et que quelque chose qui n’a pas été mis à l’épreuve d’une démarche scientifique est forcément faux ou mauvais. Il n’en est rien. J’aimerais faire comprendre que la démarche scientifique est intrinsèquement humble, pondérée et méthodique. C’est précisément ce qui la distingue des allégations gratuites, des suppositions hasardeuses et bien trop optimistes au regard de leur capacité de description et de prédiction du monde qui nous entoure. On comprendra rapidement que les grands principes de la méthode scientifique n’ont aucune raison d’être limités à des gens en blouse blanche dans des laboratoires. Ce sont des repères simples pour des raisonnements fiables.

L’observation

Les scientifiques observent précautionneusement et systématiquement le monde naturel qui les entoure (voir l’illustration ci-dessus). Ces observations sont à la base de l’identification de problèmes, de la formulation de questions, et du rassemblement de preuves –les données– qui aideront à répondre aux questions et à résoudre les problèmes, c’est-à-dire combler les trous des connaissances à propos de la façon dont l’univers fonctionne.

Les hypothèses

Ces données sont utilisées pour formuler puis tester des hypothèses, de possibles explications des processus naturels mis à l’étude. Une hypothèse n’est pas une spéculation gratuite. Elle est basée sur un solide corpus d’observations, et fait sens au regard de celui-ci. Elle ne comporte a priori pas d’incohérence : son but est d’expliquer de manière cohérente les observations faites en amont. Une hypothèse, bien qu’étant quelque chose d’encore très peu fiable, n’est pas n’importe quoi, et n’est pas gratuite. Le but des scientifiques est de vérifier que cette hypothèse permet d’expliquer un phénomène naturel. Elle doit donc pour cela avoir un caractère prédictif, c’est-à-dire que l’hypothèse, si elle est correcte, permettra de prédire d’autres phénomènes naturels avec fiabilité. Les scientifiques vont donc chercher à invalider cette hypothèse au moyen de l’expérimentation. Si l’hypothèse explicative résiste à toutes les tentatives d’invalidation, sa fiabilité se renforce, et elle demeure temporairement acceptée. Ce processus d’invalidation des hypothèses proposées et d’acceptation temporaire des hypothèses non réfutées est ce qu’on appelle idéalement la méthode scientifique.

Dès lors et bien que la latin « scientia » signifie « connaissance », la science est plus qu’un corpus de connaissances factuelles. C’est une méthode pour acquérir de la connaissance, une façon de savoir au travers de l’examen méthodique des phénomènes naturels. Ce processus itératif (qui est sans cesse répété) augmente en permanence le corpus de connaissances construit à l’aide d’observations tangibles, répétables et mesurables. En cela, la science est fondamentalement empirique, elle est basée sur l’observation.

Les théories

Un ensemble d’hypothèses rendues très puissantes par les tentatives infructueuses de les invalider, leur grand pouvoir prédictif et leur cohérence les unes avec les autres, permettent aux scientifiques de formuler des théories. Pour beaucoup de non-scientifiques, une théorie est simplement une supposition gratuite. Ce n’est pas le sens du terme « théorie » en science. Une théorie est une explication basée sur un grand nombre de preuves, indépendantes, convergentes, cohérentes entre elles et répétables. Pour arriver à ce degré de connaissance, les scientifiques examinent et réexaminent les preuves en les passant au crible de nombreux tests contraignants. Une théorie, c’est en fin de compte une hypothèse tellement éprouvée, tellement solide, tellement étayée, qu’elle se distingue comme un socle de connaissances unificateur et extrêmement puissant de la science. Ainsi par exemple, la théorie de l’évolution est un corpus de connaissances et une explication cohérente du monde naturel extrêmement puissant, qui unit de manière cohérente tous les champs de la biologie moderne. On ne peut donc pas dire qu’une théorie scientifique ne soit pas fiable au motif que ça ne serait « qu’une théorie ». Au contraire, c’est parce que ce corpus de connaissances et le modèle qui en découle est extrêmement étendu et puissant qu’il accède au rang de théorie.

Ainsi, les scientifiques utilisent des observations, posent des questions, testent des hypothèses, et construisent finalement une théorie basée sur ces hypothèses. Les hypothèses expliquent les observations, prédisent les résultats de futures investigations, et peuvent être réfutées par de nouvelles preuves.

Un processus auto-correctif

On peut illustrer cela en prenant l’exemple de l’hypothèse de l’apparition de la bipédie (la capacité à marcher sur ses deux membres inférieurs) dans la lignée évolutive humaine. Au XIXe siècle, Darwin pensait que cette transition était reliée au passage d’une vie arboricole à une vie terrestre. Darwin basait cette hypothèse sur ses propres observations de la locomotion humaine, de celle des grands singes, d’anatomie comparée, de biologie comportementale… Sur la base de ces observations, Darwin émettait l’hypothèse que ce caractère avait du apparaitre dans la lignée humaine dans un contexte de changement environnemental voyant la transition d’un milieu forestier à de la savane favorable à ce mode de déplacement, et chez un animal semblable à un grand singe qui avait dû autre fois avoir un mode de vie et de locomotion arboricole.

Cette hypothèse a commencé à être battue en brèche au début des années 2000 quand des scientifiques ont commencé à découvrir en Ethiopie les restes des plus anciens hominidés connus alors. Ceux-ci, définis par des signaux anatomiques de bipédie, étaient néanmoins contemporains non pas d’un environnement ouvert de type savane, mais de forêt. Par ailleurs, en dépit des signes de bipédie, ces fossiles présentaient également des signes de rétention de l’activité arboricole. Autrement dit, non seulement ils ne vivaient pas dans une savane, mais leur bipédie n’était pas obligatoire et relativement précaire. L’hypothèse de Darwin sur l’émergence de la bipédie chez les humains ne résistait plus à l’épreuve des faits, et les scientifiques devaient la rejeter.

Ces observations étaient néanmoins toujours tout à fait conformes à la théorie de l’évolution, et plutôt que de conduire à une impasse, ces nouvelles observations générèrent de nouvelles questions, et de nouvelles hypothèses.

De fait, on observe que la science est un processus auto-correcteur. De nouveaux faits peuvent invalider ou provoquer le réajustement d’hypothèses anciennement formulées, de même que des théories. Une théorie, de son côté, extrêmement solide, ne peut aisément être invalidée par l’ajustement de composantes marginales de son corpus. Au fur et à mesure de la collection de nouvelles observations minutieuses, et de la mise à l’épreuve des hypothèses expliquant ces faits, la science corrige ses propres erreurs et complète son corpus de connaissance. L’étendue de ces connaissances est toujours plus grande, le raffinement des hypothèses et théories toujours plus pointu.

Conclusion

Le terme « méthode scientifique » est souvent motif à confusion. Plus qu’une « méthode » extrêmement rigide, la science est une guideline pour acquérir de la connaissance fiable. Nous pourrons voir plus en détail cette méthode scientifique dans de prochains billets, et constater qu’il ne s’agit pas d’un algorithme unique qui permet de répondre à toutes les questions. Cependant, les fondamentaux de la démarche, composée d’allez-retours entre des observations minutieuses et exhaustives, la formulation et l’invalidation d’hypothèses et l’auto-correction permanente, restent au cœur de toute démarche scientifique.

5 commentaires sur “Comprendre la méthode scientifique : comment sait-on ce que l’on sait ? [Difficulté : facile] (1200 mots / ~6 mins)

  1. Bonjour,

    Merci de votre article. Je suis moi même très intéressé par ces questions et par la capacité de la science à produire une connaissance d’une cohérence épistémologique particulière.

    Je suis surpris de ne trouver ici qu’une version simplifiée du falsificationnisme de Popper, voire d’un inductivisme encore antérieur [1], sans aucune considération pour la philosophie des sciences ultérieure à 1963 (et la publication de Conjectures et réfutations). En particulier, cette vision ne me semble pas pouvoir rendre compte de l’évolution historique effectivement suivie par la science [2] ; un peu comme un modèle trop simplifié, s’il possède une cohérence interne, n’est pas en mesure de rendre compte du réel.

    Que faites vous des réflexions menées par Lakatos, Kuhn ou Feyerabend sur la science comme activité sociale ? Sur les difficultés à falsifier effectivement une théorie, la théorie précédant l’observation (contrairement à [1]) ? Si vous les rejetez, pourriez vous expliciter les arguments qui légitiment votre démarche ?

    [1]  » En cela, la science est […] basée sur l’observation. »
    [2] Pour une introduction pédagogique, « Qu’est ce que la science ? », Alan F. Chalmers, La Découverte, 1987.

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  2. Bonjour D. Suchet,

    merci de l’intérêt porté à ce billet.

    Toutes ces références philosophiques sont fort intéressantes.

    Y-a-t-il une branche des sciences naturelles où la description simplifiée qui est ici faites de la méthode scientifique, à savoir un allez retour permanent entre les concepts de théorie, hypothèse, observations, en y ajoutant les concepts que vous souhaiterez pour combler les trous -expériences, modèles, …- et l’auto-correction, est fondamentalement erronée ?

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