[Trad] «Pourquoi la négation des consensus scientifiques sur les OGM et la vaccination devrait être traitée de la même façon ».

 

Caricature par James Gillray, 1802 : « La variole, ou les effets merveilleux de la nouvelle inoculation ! ». Cette caricature dépeint les allégations qui circulaient à l’époque selon lesquelles l’inoculation de la variole bovine (une procédure précurseuse de la vaccination que nous connaissons aujourd’hui) conduisait au développement de caractères bovins chez les inoculés. La proximité de telles représentations avec les allégations caricaturales qui peuvent encore irriguer les discours anti-OGM au 21e siècle sont assez frappantes (cette illustration et son commentaire ne figurent pas dans la version originale de l’article ici traduit).

Article publié par Keith Kloor sur Discover le 7 août 2014.

Plus tôt dans le courant de l’année [ndtr : en 2014], deux auteurs ont écrit dans Mother Jones :

« C’est facile de trouver de mauvaises informations à propos de la sûreté des vaccins sur internet ».

Ça c’est vrai. C’est aussi facile de trouver de mauvaises informations à propos de la sûreté des OGM sur internet.

Ce qui m’intrigue, c’est pourquoi les journaux libéraux [ndtr : aux USA, comprendre « progressistes »] reconnaissent les « mauvaises informations » sur les vaccins mais pas sur les OGM (Grist est dorénavant une exception notable, après avoir diffusé des informations biaisées sur les OGM pendant des années). Pour que ce soit clair, la science sur les OGM est aussi solide et reconnue que sur les vaccins. Alors pourquoi les journaux libéraux comme le Huffington Post, qui acceptent le consensus scientifique sur les vaccins, n’acceptent pas celui sur les OGM ?

Je vais présenter un exemple illustrant ce type de contradiction dans une minute. C’est en rapport avec un article sur les vaccins que le Huffington Post a rejeté il y a quelques semaines et un autre sur les OGM qui a été accepté. Mais d’abord et pour rappel, voyons ce que les institutions scientifiques majeures concluent sur la sécurité des OGM. Voici une revue générale utile par le Pacific Standard :

« Au sein de la communauté scientifique, le débat sur la sûreté des OGM est fini. Les conclusions écrasantes, selon les termes de l’American Association for the Advancement of Science, sont que « la consommation d’aliments contenant des produits de cultures OGM n’est pas plus risquée que la consommation des mêmes aliments contenant des produits de cultures modifiées par les techniques d’amélioration conventionnelles ». Les organisations gouvernementales et scientifiques majeures sont en accord avec cela. L’Académie des Sciences US n’a pas trouvé « d’effets néfastes pour la santé des populations humaines attribués aux OGM », et un rapport de la Commission Européenne arrive aux mêmes conclusions. L’OMS conclut que les aliments OGM « n’ont pas témoigné de risques pour la santé humaine, et n’en comportent probablement pas ».

Le jugement de la communauté scientifique est sans appel sur l’importance et par-dessus tout la sûreté des vaccins. Les mêmes corps scientifiques et les mêmes institutions disent que les aliments OGM ne présentent pas de danger à la consommation conseillent également la vaccination complète des enfants en accord avec les standards pédiatriques. Pourquoi alors certaines personnes acceptent le consensus scientifique sur les vaccins et pas sur les OGM ? C’est une question dont je souhaite que mes amis et collègues dans les médias s’emparent.

Comment cette contradiction peut-elle arriver au Huffington Post ? Eh bien j’ai appris que Robert Kennedy Jr., que j’ai récemment présenté dans le Washington Post, avait soumis un article au Huffington Post il y a quelques semaines. Cet article était abondamment annoté (803 notes de bas de page), ce qui en soi n’a aucune signification. Ce qui compte en effet, c’est la qualité des études citées. Ainsi, quiconque lisant cet article devrait avoir une expertise de la littérature médicale pour porter un jugement pertinent sur ces sources.

L’article de Kennedy a été rejeté par le HuffPost après une semaine d’allers-retours éditoriaux.

Je ne trouve pas ça surprenant, sachant que le HuffPost a abandonné son ancienne position anti-vacciniste. Les tentatives de Kennedy pour raviver le débat sur le thiomersal (un agent conservateur des vaccins qui n’est plus utilisé dans les vaccins pédiatriques aux USA [ndtr : de même en France]) se heurtent à l’hostilité et sont vues (à juste titre) comme sources d’oxygène pour la mouvance anti-vacciniste accusée de la résurgence de maladies infantiles pourtant évitables par vaccination. De plus, les campagnes anti-thiomersal de Kennedy se sont trop souvent illustrées par ses emportements immodérés, comme je l’ai relaté dans le Washington Post. S’il était resté sur un débat purement scientifique, comme il intime aux autres de le faire, et qu’il ne farcissait pas son franc parlé d’accusations abjectes à l’encontre de scientifiques respectés et d’agences gouvernementales, il aurait pu trouver un terrain moins hostile pour son nouveau livre.

Mais c’est une autre histoire que nous reprendrons peut être plus tard.

Ce que je trouve intéressant, c’est le double standard du Huffington Post. A peu près au moment où l’article de Kennedy était rejeté, un article de Carole Bartolotto apparaissait dans la section bien-être du HuffPost. Il était intitulé « Les organismes génétiquement modifiés (OGM) n’ont pas fait la preuve de leur sûreté ».

Tout comme Kennedy, Bartolotto est une contributrice semi-régulière du Huffington Post et est décrite comme diététicienne. Beaucoup de ses articles sur le HuffPost ont une tournure anti-OGM. Lorsque je lui ai dit sur twitter que son dernier article était un exemple de négation du consensus scientifique, elle m’a suggéré que je n’étais pas qualifié pour en juger car je n’étais pas un scientifique ou un professionnel de santé.

J’ai donc demandé à deux scientifiques qui ne sont payés par aucune industrie de biotechnologie et qui travaillent dans le domaine des biotechnologies végétales de faire la revue de l’article de Bartolotto. Il s’agit de Kevin Folta, Professeur du département de sciences horticoles de l’université de Floride, et de Karl Haro von Mogel, post-doctorant à l’université du Wisconsin, Madison, co-directeur de Biology Fortified, Inc. Leurs commentaires suivent leurs initiales dans la revue, après la section italique de Bartolotto. Lisez-les. En voici un court extrait :

« En science, nous savons que rien n’est jamais « prouvé » ; ainsi, demander que la science « prouve » la sûreté de quelque chose est un standard qui ne peut jamais être atteint. Il ne peut même pas l’être pour les aliments non OGM ».

C’est curieux que l’article de Kennedy sur le thiomersal arguant que celui-ci est un « puissant neurotoxique qui n’a jamais fait la preuve de sa sûreté » puisse être rejeté alors que l’article de Bartolotto arguant lui que « personne ne peut prétendre que les OGM ont fait la preuve de leur sûreté » est publié. Les deux articles vont à l’encontre du consensus scientifique. Celui de Bartolotto est un cas typique d’Argumentum ad Ignorantiam [ndtr : en français]. C’est une construction fallacieuse qui est en désaccord « avec le concept fondamental de la science qui est basé sur des preuves empiriques, non sur la peur et nos plus folles suppositions » selon Folta.

L’article rejeté de Kennedy, qui a finalement été publié hier sur Alternet, suit le même raisonnement, bien qu’il prétende que beaucoup d’études scientifiques montrent que le thiomersal est effectivement « une menace pour la santé humaine ». Mais c’est un énoncé général qui est aussi trompeur, car beaucoup de substances présentent une menace pour la santé humaine. La question de savoir si un produit particulier est une menace pour la santé humaine dépend souvent de la dose dont on est entrain de parler, et du degré d’exposition. Dans le cas du thiomersal composé en partie de mercure, il a été déterminé après beaucoup d’études qu’ « il n’y a pas de preuve convaincante de trouble causé par les faibles doses de thiomersal dans les vaccins » selon le CDC. Il n’y a pas plus de preuves scientifiques d’un lien entre le thiomersal et l’autisme.

La thèse de Kennedy est que la communauté scientifique se trompe à propos du thiomersal et est indûment confiante sur le manque de preuves entre ce dernier et l’autisme. Il en est tellement persuadé qu’il a écrit un livre là-dessus. L’article qu’il pensait publier dans le Huffington Post (finalement publié sur Alternet) est basé sur le livre et ses premiers retours. Le HuffPost avait-il raison de rejeter cet article alors qu’il publiait dans le même temps l’article sur les OGM rejetant tout autant le consensus scientifique ? Pourquoi l’un remplit les standards de l’HuffPost et pas l’autre ?

J’ai posé cette question à Stuard Whatley, le directeur de publication du blog de l’HuffPost. Voici sa réponse par mail :

« Le Huffington Post a rejeté le récent article de Robert Kennedy Jr car il a échoué lors de la revue médicale des sources soutenant ses allégations.

L’autre article dont vous faites mention, « Les organismes génétiquement modifiés (OGM) n’ont pas fait la preuve de leur sûreté » incluait des sources adéquates et a passé la revue médicale. Il a donc été publié sur le Huffington Post ».

Ce serait fascinant de voir les sources de l’article sur les OGM. Je me demande si l’éditeur du HuffPost voudrait les partager.

En l’occurrence, Mark Hyman est « chroniqueur médical pour l’Huffington Post » et siège à son conseil de revues médicales. Il a aussi travaillé avec Kennedy sur son livre à propos du thiomersal. Il a approuvé l’article de Kennedy, mais évidemment, il n’a pas été suivi par les autres membres du conseil, listés ci-dessous :

Julie Cooper, M.D.; Margaret I. Cuomo, M.D.; Mark Hyman, M.D.; David Katz, M.D.; Sandeep Kishore, Ph.D.; Shireen Khoury, M.D.; Christopher Lillis, M.D., FACP; Prabhjot Singh, M.D., Ph.D..

Ce que j’essaye de dire ? Pourquoi la négation du consensus scientifique dans un cas (sur la sûreté des OGM) s’observe si souvent sur le Huffington Post et ailleurs, alors qu’un déni similaire sur un autre sujet (comme la sécurité des vaccins) est refusé ?

Serait-ce que l’une des deux formes de déni est plus socialement acceptable que l’autre ?

Mises à jour de l’article :

09-03-2019, ajout de l’illustration introductive.

2 commentaires sur “[Trad] «Pourquoi la négation des consensus scientifiques sur les OGM et la vaccination devrait être traitée de la même façon ».

  1. Il n’y a pas de consensus scientifique sur les OGM. Sur la vaccination, si.
    https://enveurope.springeropen.com/articles/10.1186/s12302-014-0034-1
    Mais bon, d’un site qui nie des vérités scientifiquement démontrées comme la toxicité des pesticides et notamment du glyphosate (il suffit d’une recherche sur pubmed pour le constater) au nom de « l’esprit critique » , on n’espérait pas mieux. Dommage, pour le reste il y avait des choses intéressantes.

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