La guerre des vaccins : entre peurs et persuasion.

Couverture du journal Science, avril 2017.

[Niveau : facile] (~2200 mots / ~12 mins) Les vaccins sauvent des vies, mais quelle est la meilleure façon de le communiquer aux parents inquiets pour leurs enfants ?

Le volume d’avril 2017 de la revue scientifique américaine Science comporte un dossier sur les vaccins, non pas sous l’angle de l’infectiologie, mais sous celui du scepticisme, à savoir à l’aune de l’antivaccinisme [1]. On y lit d’ailleurs abondement Paul Offit, sceptique bien connu. Les différents articles de ce dossier sont accessibles librement, mais sont bien entendus rédigés en anglais. Ces articles reviennent notamment sur la quantification de l’effet clairement bénéfique de l’introduction vaccinale illustrée par le cas états-unien [2] ; sur quelques mythes antivaccinaux parmi les plus répandus au premier chef desquels ceux portant sur le ROR depuis 1998 et la fraude Wakefield [3] ; sur les risques réels et fantaisistes de la vaccination (massivement favorables à la vaccination) [4] ; et sur la manière de communiquer des informations scientifiquement fondées (aka non anxiogènes) sur la vaccination comme sur d’autres sujets de déni scientifique (changement climatique, OGM, darwinisme…) [5].

C’est sur cette dernière partie, par Kai Kupferschmidt, que nous allons revenir ici en la synthétisant pour le public non anglophone et en y ajoutant quelques informations marginales.

La question de l’appel à l’émotion.

L’article s’ouvre sur le récit de la mort de la fille de l’écrivain britannique Roald Dahl, rapportée en style direct, de sorte à constituer un appel à l’émotion chez le lecteur. Le drame se déroule en 1962, un an avant l’introduction du vaccin contre la rougeole dont décède l’enfant. Pour un point sur la rougeole, centré sur la France, et recoupant certaines considérations du présent billet, vous pouvez vous reporter à celui-ci. L’histoire de Dahl quant à elle ressurgit en 2015, lors de l’épidémie de rougeole du Disney Land californien.

L’exemple est donné : l’appel à l’émotion est-il une façon pertinente de communiquer sur le sujet, et plus généralement, quelles sont les bonnes conduites à tenir ?

Paul Offit, que vous pouvez notamment lire dans la revue Skeptical Inquirer et interrogé dans le cadre de ce dossier, répond clairement par l’affirmative : « Je pense que nous sommes bien plus sensibles à la peur qu’à la raison […] Il faut que les parents réalisent que leur choix n’est pas sans risques ».

Pour Gary Freed au contraire, le procédé devrait être clairement évité : « Il nous faut trouver un moyen de mettre à bas la peur plutôt que de la combattre par encore plus de peur ».

La question n’est pas impertinente quand on sait que, selon l’OMS, la vaccination sauve 2 à 3 millions de vies annuellement mais qu’une petite communauté active et visible contribue régulièrement et localement à en amoindrir les effets (on peut citer en France la récente pétition antivacciniste du Pr. Joyeux). Au titre d’exemple de cette communication particulièrement agressive, l’article propose au lecteur de faire une recherche google image à « Paul Offit » pour en juger. De vous à moi, les infographies brocardant un médecin dans un simili avis de recherche pour « génocide » n’est pas encore le pire de ce que l’on peut voir venant de ces communautés anti-science.

Pour Cornelia Betsch, psychologue, la question est difficile tant les données sont encore parcellaires et parfois contradictoires, encore que certaines indications utiles puissent sembler bien établies. Quoi qu’il en soit, il ne faut pas perdre de vue pour la chercheuse, que si la fin recherchée est bien le maintien ou l’augmentation de la couverture vaccinale, alors la persuasion n’est pas la seule voie envisageable. Durcir les conditions et procédures d’exemption ou faciliter les consultations pour vaccination, sont d’autres méthodes efficaces de ce point de vue là.

Concernant l’appel à l’émotion que constitue l’anecdote de Roald Dahl, Freed et Offit ont chacun des données crédibles à mettre en avant pour défendre leur position. En 2015 par exemple, des chercheurs ont séparé 315 personnes en trois groupes, le premier recevant du debunking sur les allégations antivaccinistes, le deuxième recevant des informations non liées à la vaccination, et le troisième des images d’enfants souffrant de la rougeole, des oreillons et de la rubéole avec description des maladies. Dans cette expérience, le groupe soumis aux images d’enfants malades (qui représentent donc l’appel à l’émotion), voyaient in fine plus favorablement la vaccination que les deux autres groupes à l’issue d’un questionnaire. Ce type de données semble donc plaider pour un effet bénéfique de ce genre de communication basée sur l’émotion, et dans une mesure certaine, de la peur de la maladie.

Autre exemple en 2014 : Freed a confronté des parents à des images d’enfants malades et à leur histoire tragique. Étonnement, les parents en ressortirent encore plus convaincus des potentiels dangers de la vaccination contre la rougeole, comme si, selon Freed, cela n’avait fait qu’augmenter l’anxiété des parents.

Pour Betsch, l’appel à l’émotion peut ne pas fonctionner systématiquement, à cause de ce qu’elle appelle le biais d’omission, que j’avais déjà évoqué dans le billet cité supra sur la rougeole (voir la partie épilogue). En somme, face à un choix difficile aux risques mal évalués, nous avons tendance à préférer l’inaction, plutôt qu’une décision dont on pourrait regretter durablement de l’avoir prise. Tout se passe comme si on préférait rendre le hasard, oserais-je dire, le destin, responsable des conséquences potentielles, plutôt que nous mêmes. Le problème est bien évidemment que nous sommes tentés par ce raisonnement intuitif (et cognitivement confortable) tout en étant extrêmement mauvais dans notre évaluation raisonnée des risques réels, ce qui peut nous pousser à renoncer à prendre une décision active qui nous permettrait d’éviter le risque le plus élevé, tout en espérant que nous n’aurons jamais rien à nous reprocher ainsi.

Les croyants purs et durs, et les autres.

Néanmoins, cette stratégie reste valable pour la psychologue, dans le cas particulier des « fence-sitters » (employé ici avec un sens très légèrement différent à celui que j’utilise régulièrement sur ce blog), définis comme les personnes n’ayant pas véritablement d’avis, prêts à tomber d’un côté ou de l’autre de la barrière (fence-sitter = qui s’assoit sur la barrière). En effet, après avoir réanalysé les données de l’étude de 2015 mentionnée supra, Betsch a mis en évidence que seuls 21 des 315 participants tenaient vraiment une posture antivacciniste. Sans surprise, leur avis n’avait pas changé à l’issue de l’expérience. Ceux qui changèrent d’avis en revanche étaient ceux qui n’avaient à l’entrée par véritablement d’avis arrêté : les fence-sitters. Pour l’auteure de cette analyse, la conclusion semble sans appel : mieux vaut abandonner les croyants hardcores et se concentrer sur ceux dont l’avis n’est pas verrouillé. Ce groupe là peut être convaincu, aussi bien par l’information sur les risques réels des maladies évitables (l’appel à l’émotion) que par la correction de la désinformation (le debunking).

In fine, il faut savoir appréhender son interlocuteur et optimiser ses efforts en conséquence. Offit et Freed s’accordent sur le caractère très marqué de chaque profil, notamment en consultation, entre ceux qui doutent simplement, ont entendu quelques mauvaises informations, et ceux qui tiennent une posture militante radicalement antivacciniste. Pour Offit, inutile de s’évertuer avec ces derniers. Pour Freed en revanche, il est plus difficile de renoncer face à des cas apparemment sans espoir : « Ce sont des enfants. Ce n’est pas de leur faute à eux si leurs parents refusent de les vacciner ».

Le psychologue Stephan Lewandowsky a été interrogé sur les motivations à l’origine du refus de vacciner de certaines personnes : rumeurs lues sur tel ou tel réseau, vision négative de l’industrie pharmaceutique ? Un élément à ne pas négliger pour le chercheur est, d’après ses travaux sur le climato-scepticisme, l’adhésion politique des dénialistes en matière de changement climatique, plutôt que de leurs opinions concernant le rôle fondamentale du dioxyde de carbone dans celui-ci.

Le problème du raisonnement motivé par l’idéologie.

Lewandowsky a ainsi mis en évidence dans un article publié dans PLOS ONE et librement accessible (mais en anglais), que l’adhésion à une idéologie libre-échangiste était prédictive d’une posture antivacciniste, là où par ailleurs, beaucoup de libertariens voyaient les obligations vaccinales comme une atteinte aux droits fondamentaux des parents [6]. Contrairement à une impression souvent répandue, il ne semblait pas ici (échantillon états-unien), que l’adhésion à une idéologie marquée à gauche soit également prédictive. Plus récemment, un autre article paru dans la même revue arrivait à des résultats comparables [7]. Bien entendu, ni l’article, ni ce billet qui en fait mention, ne sous entendent un discours prescriptif ou normatif : il s’agit de la description d’une tendance en fonction de préférences politiques dans une population donnée, pas d’un jugement de valeur et des spéculations sur les opinions de chaque individu. Vous pouvez donc tout à fait continuer de lire ce blog, même si vous vous estimez économiquement libéral et que vous vous inscriviez ou non dans cette tendance.

Cette information est pertinente, car elle suggère dans ce cas que la bonne réception d’une communication scientifiquement fondée peut être fortement influencée par la proximité idéologique (ou disons philosophique), de l’émetteur et du récepteur.

Le problème de la pensée conspirationniste.

La corrélation est également extrêmement forte entre l’antivaccinisme et un mode de pensée conspirationniste, bien plus entre cette pensée et le rejet des OGM ou le climato-scepticisme, note Lewandowsky. A propos de cette dernière tendance en particulier, je vous renvoie au billet que j’avais déjà écrit sur le sujet. Ce mode de pensée est particulièrement problématique car les tentatives de démystification sont souvent vues comme des preuves supplémentaires du complot et tendent à encourager la personne que l’on cherche à convaincre dans sa croyance. Le résultat est donc totalement opposé à celui initialement recherché, ce qu’on appelle parfois l’effet backfire, ou réactance. Lewandowsky ne rejette pas pour autant le debunking (susceptible de provoquer cette réactance), non pas pour les croyants fortement impliqués dans leur posture, mais pour les autres, qui, sans cela, seraient uniquement exposés aux informations antivaccinistes. Des données récentes tendent d’ailleurs à montrer de manière quantitative l’efficacité des réactions rapides de debunking suite à la diffusion de hoax médiatique [8]. Plus récemment encore (mai 2017, et donc à prendre avec précaution), une étude publiée dans PLOS ONE (toujours open access), par John Cook (auteur de Skeptical Science), Stephan Lewandowsky et Ullrich Ecker, tendait à montrer l’efficacité d’une communication basée sur le debunking des méthodes de désinformation (notamment la fausse équivalence, très courante dans les médias mainstreams) concernant le changement climatique, et l’exposition du consensus scientifique sur le sujet [9].

Une autre possibilité consiste effectivement à présenter le consensus scientifique (qui, rappelons le, n’est pas un consensus d’opinion majoritaire). En 2015, une étude indiquait que les parents à qui il était précisé que le consensus plaidait massivement pour la sécurité et l’efficacité des vaccins (caractérisé par l’accord de 90% des spécialistes), étaient significativement moins enclins à rejeter la vaccination. Encore une fois, on peut noter des résultats similaires concernant le changement climatique. Une telle approche présente l’avantage, contrairement au debunking, de ne pas perpétuer le mythe involontairement.

Adapter sa communication au contexte.

J’évoquais plus haut la précarité des comparaisons entre populations de différentes nationalités, et pour cause. Cornelia Betsch a comparé la réceptivité de 2000 personnes réparties dans 3 pays asiatiques et 3 pays occidentaux à l’argument de l’immunité grégaire conférée par une couverture vaccinale optimale. Pour rappel, l’immunité grégaire, ou immunité de groupe, est le phénomène par lequel un pourcentage suffisant de personnes vaccinées dans une population (la couverture vaccinale de cette population), rend optimale (la plus efficace), la protection de cette population pour les pathogènes contre lesquels elle est immunisée, y compris pour les individus qui au sein de cette population ne sont pas vaccinés. Cela implique bien entendu que pour être atteinte, cette immunité de groupe n’a pas besoin d’une couverture vaccinale touchant 100% des individus de la population. Elle requiert en revanche un seuil minimal, généralement autour de 90% selon les pathogènes concernés dont la capacité de circulation peut varier. Cela est très utile pour les personnes qui ne peuvent pas être vaccinées pour des raisons médicales, mais qui se trouvent néanmoins protégées par l’immunité du groupe qui empêche la circulation des pathogènes autour d’elles.

Dans les pays asiatiques dans lesquels portait l’étude de Betsch, l’intention de vacciner restait égale (61%), que les répondants aient été ou non exposés à cet argument de l’immunité de groupe. Dans les pays occidentaux en revanche, ce pourcentage passait de 45% à 57% entre le groupe non exposé à cet argument et celui qui y avait été. Une hypothèse explicative proposée par l’auteure mettait en avant le biais possible d’une population de tradition plus individualiste (en Occident), par rapport à une population de tradition plus collectiviste (en Asie). Quelle que soit la cause et la pertinence des explications possibles, ces résultats semblaient néanmoins souligner les nuances nécessaires dans la communication scientifique en fonction des contextes culturels. En somme, une communication basée sur l’immunité grégaire peut être particulièrement bénéfique dans les pays occidentaux.

Du point de vue des relations interindividuelles, le poids de la relation entre médecin et patient est plus difficile à quantifier. Freed insiste sur la nécessaire fermeté à maintenir face à des parents tendant à l’antivaccinisme et imaginant que leur enfant sera en meilleure santé s’il n’est pas vacciné : « Il y a très peu d’enfants paralysés de la polio qui se sentent en meilleure santé avec la maladie plutôt que sans ». Offit quand à lui, s’accorde avec Freed en relayant en substance la posture tenue par sa femme en consultation lors de pareils cas : « Si vous ne voulez pas le faire, je ne peux vous suivre. Je ne peux pas rester là alors que votre enfant court un pareil risque ». Plus que la menace, la passion du praticien pour la santé de son jeune patient semble être efficace.

Assez ironiquement, on peut noter que la posture de Freed s’apparente contre toute attente à une certaine forme d’appel à la peur. Cet appel est-il pour autant infondé ? Sommes-nous, in fine, rattrapés par la limite de nos vœux pieux, et la réalité d’une approche raisonnée des risques et bénéfices de nos actions, ou inactions ? Car clairement, nous n’avons pas besoin de manipuler la réalité pour indiquer qu’objectivement, mourir de maladies évitables par la vaccination devrait effectivement être une source de peur.

Références :

[1] Science, avril 2017

[2] Wadman, M.,  et You, J., The vaccine wars, Science, 2017

[3] Wessel, L., Vaccine myths, Science, 2017

[4] Wadman, M., Vaccines on trial, Science, 2017

[5] Kupferschmidt, K., The science of persuasion, Science, 2017

[6] Lewandowsky, S., et al., The role of conspiracist ideation and worldviews in predicting rejection of science, PLOS ONE, 2013

[7] McFadden, B. R., Examining the gap between science and public opinion about genetically modified food and global warming, PLOS ONE, 2016

[8] Thaler, A. D., et Shiffman, D., Fish tales: Combating fake science in popular media, Ocean & Coastal Management, 2015

[9] Cook, J., et al., Neutralizing misinformation through inoculation: Exposing misleading argumentation techniques reduces their influence, PLOS ONE, 2017

5 commentaires sur “La guerre des vaccins : entre peurs et persuasion.

  1. Excusez moi. D’habitude vous êtes bn et factuel, mais là, c’est un désastre.
    Il y a un biais financier qui fait que certaines entreprises ont intérêt au Vacin.
    Les gens qui nous gouvernent confondent allégrement bénéfices des entreprises et bien être de la sociétés. Soit parce que c’est leur intérêt soit en raison de l’élément infinit d’Einstein. (Honnétement ayant fait de l’économie, j’ai un doute: Du CA et des bénéfices générent des impôts qui financent nos fonctionnaires et depuis Marx il n’y a aucune recherche sérieuse sur la valeur en économie)

    Face à ce double biais oui on attends des études particuliérement conclusives sur le bénéfice d’augmenter le nombre de vacins. (Comme vous l’avez dit à affirmation extraordinaire preuve extraordinaires) Hors soit les virologues ne maîtrisent pas leur boulot soit ils n’ont pas d’études accessibles et chiffrées à mettre à disposition de la population.
    J’avoue que j’aimerais voir un tableau simple:
    Vaccin contre, Population test, Quantité de malades si absence de vacin, quantité de malades avec vacins, nombre de personnes ayant été victimes d’Une réaction au vacin.
    Plutot que cinq cent milles heures de blabla là on pourrait juger et discuter à égalité.

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  2. Autrement dit, il faudrait avoir accès aux rapports bénéfices/risques. Par exemple, le vaccin Rougeole-Oreillons-Rubéole. Comme masse d’enfants, j’ai eu les trois maladies quand j’étais gamin. Je n’en suis pas mort, ni même n’en ai gardé de quelconque séquelle. La rougeole semble dangereuse et tuerait 777 000 personnes dans le monde chaque année. Mais combien (et quel type de personne) en France et dans les autres pays développés ?
    Je ne pense pas que plus de peur soit une façon intelligente de procéder, car ça peut marcher sur le court-terme, mais ensuite, il y a le retour de flamme. Les gens détestent être pris pour des cons et si ils se rendent compte que le seul argument c’est la peur, alors c’est qu’il n’y a pas d’autre argument. Et donc, c’est louche. Ensuite, il suffit de conjuguer ce constat avec par exemple le Mediator et la Dépakine (liste non exhaustive), et on obtient une défiance envers la médecine en général et les vaccins en particulier.

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  3. curieuse démarche…ce genre de recherche est payé avec de l’argent public?
    c’est assez agaçant de non pas vouloir défendre la science ce qui n’en a pas besoin, mais l’autorité scientifique…
    oui les gens trompent ou se trompent sur les vaccins..et alors? il y a des tribunaux pour juger de la diffamation…

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